Une Pac pour rien : toujours pas de cap

La PAC est un "échec" social, économique, écologique, l'Europe bafouille, personne n'a plus de vision, de stratégie, nous dit-on. Mais dans tout cela il y a un grand absent : la régulation du marché.

Mercredi dernier, en Commission des Affaires économiques à distance, je me suis tapé 8 heures de Zoom sur la Politique agricole commune. Vous mesurez l’épreuve… C’était hyper-technique, et même si j’avais révisé, le pilier 1, le pilier 2, les éco-conditions, la HVE, les aides couplées, fallait quand même s’accrocher. Et pourtant, ça en dit long sur l’Europe, sur l’agriculture, sur la mondialisation. Je vous résume.

Un réquisitoire contre la Pac

Chez les experts, et notamment l’économiste de l’Inrae, on a entendu un réquisitoire contre la Pac, avec un triple échec, qui fait consensus :
– « échec écologique » : pas de transition en cours, ou alors à mini-pas ;
– « échec social » : pas de maintien des agriculteurs, divisés par trois en trente ans ;
– « échec économique » : aucune garantie des revenus.

Et la nouvelle Pac, qui se négocie en ce moment, ne relève pas le gant : c’est du bidouillage, « sans vision, sans stratégie », nous dit-on. Et peut-être que l’Union européenne n’est plus capable que de ça : à 27, on se met juste d’accord sur le minimum, des compromis sans élan.

Avec, dans tout cela, un grand absent : la régulation du marché. La Pac a longtemps disposé d’instruments : les quotas de production, quotas d’importation, prix garantis, coefficients démultiplicateurs, etc. C’était à coup sûr imparfait, mais cela assurait un socle face à des cours fort changeants. Tous ces outils furent démantelés, pour des raisons idéologiques, plongeant l’agriculture dans le grand casino mondial, avec des plongeons – comme dans le lait ou dans la betterave. Et à aucun instant, à travers sa « nouvelle » Pac, l’Europe n’envisage de rétablir des règles. De garantir un prix. Le prix, le prix, le prix, qui est la clé des soucis.

Deux chemins pour l’agriculture

Les subventions européennes viennent ici combler les prix : toutes les filières sont déficitaires, hors subventions, à hauteur de 15% pour l’horticulture ou le maraîchage, entre 70% et 90% pour les viandes, 40% pour les graines, etc. Le secteur bovin est ainsi subventionné à hauteur de 240 %.

Et des syndicats agricoles, pourtant, les députés de droite, ou macronistes, viennent nous seriner « compétitivité… compétitivité… compétitivité… » L’Europe maintient cet objectif de « compétitivité », en même temps que la « transition écologique », que la « souveraineté alimentaire continentale, et même mondiale », que la « durabilité économique ». Tous les lièvres sont courus à la fois, ce qui en dit long sur la confusion. Mais quel est le sens de la « compétitivité » avec ces hyper-subventions ? Aucun.

Il y aurait, alors, deux chemins cohérents, me semble-t-il :

1 / on vise pour de bon la « compétitivité », avec des batailles à l’export, et on lève tous les freins : on baisse « les charges », on diminue les normes environnementales, on en finit avec l’agriculture familiale, on fait des gains de productivité par le gigantisme. Mais tout cela, sans subvention, dans la seule loi du marché ;

2/ on renonce à la « compétitivité » internationale, on privilégie notre autonomie alimentaire, on protège notre marché intérieur d’importations à moindre coût social, à moindre norme environnementale. Et les subventions viennent accompagner une transformation de notre agriculture.

Mais là, on choisit de ne pas choisir, de tout faire et son contraire.

L’air du temps a changé, eux ne changeront jamais

Le comble, de « tout faire et son contraire », c’est le ministre de l’Agriculture, Julien Denormandie, qui dénonce les « importations sauvages », qui promet des « clauses miroirs ».

C’est quoi ça ?

C’est une rupture avec le libre-échange : en gros, c’est de mentionner, dans les accords internationaux, que si les antibiotiques sont interdits pour l’élevage en Europe, eh bien, il est interdit d’importer des bœufs dopés aux antiobios… que si le salaire minimum, ici, est de 1100 €, eh bien, il est interdit d’importer depuis des pays à bas coût…

Et le ministre fait l’éloge de ces « clauses miroirs » comme s’il les avait inventées ! Comme si on ne les réclamait pas depuis belle lurette…

Magnifique.

Mais comment les croire un instant ? Les mêmes. Les mêmes qui signent des accords de libre échange depuis trente ans, du Gatt à l’OMC, et sans clause aucune. Les mêmes qui signent le Ceta avec le Canada, pour l’importation, en France, en Europe, de bœuf élevé aux hormones, dopé aux antibiotiques, avec 46 molécules en prime, 46 molécules interdites ici, l’acéphate, l’amitraze, l’atrazine, 46 molécules qui détruisent les rivières ou refilent le cancer.

Les mêmes qui signent avec le Mexique, un accord qui prévoit, notamment, « l’ouverture du marché européen à 20 000 tonnes de viandes bovines mexicaines chaque année, à 7,5% de droits de douane », de la viande jusqu’ici interdite pour « raisons sanitaires ». Les mêmes qui signent avec Singapour, avec le Vietnam, les mêmes qui négocient avec l’Inde. Les mêmes qui passent ces textes en force à l’Assemblée, ou qui contournent le dangereux Sénat. Bref, les mêmes qui organisent le grand déménagement du monde, au nom de « l’investissement », les mêmes sortent ça, désormais, comme un lapin d’un chapeau : « clauses miroirs ».

C’est que l’air du temps a changé.
Mais eux ne changeront rien.

Et j’en reviens à cette interpellation, lancée par le président de la Fédération nationale bovine aux députés, à l’occasion des Etats généraux de l’alimentation : « Qu’attend-on de nous ? Vous voulez la compétition, le modèle néo-zélandais ? On le fera. Une agriculture familiale de proximité, qui intègre le bien-être animal ? On le fera. Vous voulez tout à la fois ? C’est aux Français et à vous, les politiques, de fixer un cap. »


Aucun cap n’est fixé, ni avec les Ega, ni avec cette Pac.

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