Le méga-mensonge de Macron : « Tous les surprofits ont été repris »

« Tous les surprofits ont été repris. » C’est Emmanuel Macron qui déclare ça, dans Le Parisien. Eh, oh, les « factcheckers », vous roupillez ? Y a une démission collective ? Vous avez fermé boutique ?

« Tous les surprofits ont été repris. »

C’est Emmanuel Macron qui déclare ça, dans Le Parisien.

Eh, oh, les « factcheckers », vous roupillez ? Y a une démission collective ? Vous avez fermé boutique ? Je veux pas jouer les paranos, mais dès que je vais pisser, dès que je mentionne que « la proportion de salariés qui ont un travail physiquement pénible a pratiquement triplé depuis les années 80 », j’ai droit à la VAR ! A la vérif par les cellules fact-checking de Libé, ou de France Info, ou du Monde, ou de 20 Minutes interposées. Qui me donnent raison en gros, le plus souvent, qui chipotent sur un détail pour dire de pinailler, parce que c’est votre métier.

Mais là, un truc aussi énorme ! Par le président en personne ! Et pas un pour réagir !
Pourquoi ?
Parce que plus c’est gros, plus ça passe ?
Parce que c’est l’Autorité du Chef de l’Etat ?

Je reprends l’échange :

Ouarda. Pardonnez-moi, mais les gros patrons se gavent, et nous, on souffre…
Macron. Ceux qui font de la rente sur ces prix, on leur a prise en totalité. Tous les surprofits qui ont été faits par les producteurs d’énergie dans le cadre de la crise, nous les avons repris et réinvestis pour protéger nos concitoyens et les petites entreprises.

Rarement, en si peu de mots, on aura vu un tel amas de mensonges, de contre-vérités.
Je n’ai pas le temps de toutes les reprendre, et ça n’est pas mon boulot, à moi, mais bon.

Dès le Covid, on a identifié des « profiteurs de crise » : les sociétés d’assurance, les géants du numérique, l’industrie pharmaceutique, les hypermarchés… A-t-on levé le moindre impôt, sur eux, le moindre, pour le reverser aux « perdants » ? Non, rien.

Et re-belote, avec le conflit en Ukraine. Cette fois, quels sont les profiteurs de guerre ? Les transporteurs maritimes, les firmes de l’énergie, les boîtes de l’agro-alimentaire. D’après l’Insee, un tiers de l’inflation, 37% exactement, est dû aux marges de entreprises. La Banque centrale européenne s’est réunie, un séminaire exceptionnel en Finlande, pour constater ça : une spirale bénéfices-prix. Et qu’a fait, chez nous, le gouvernement ? Rien. Même l’amendement, ultramodéré, des centristes du Modem, même leur bricole pour une taxe temporaire sur les méga-dividendes, même ça, Macron l’a mis à la poubelle. Pas question.

En pleine bataille des retraites, d’ailleurs, Emmanuel Macron recevait à l’Elysée une dizaine de patrons du CAC 40. Et pas pour leur demander des efforts, non, pour « les rassurer », comme quoi « son gouvernement tiendra bon, il n’y aura pas une hausse d’impôt, aucune taxation des superprofits ».

La « rente » fut si bien « prise en totalité », que Les Echos peuvent titrer : « Dividendes records pour le CAC 40 en 2022 ». Et Le Figaro : « Les dirigeants du CAC 40 n’ont jamais été aussi bien payés ». Qu’on observe, puisque le président nous y invite, qu’on observe les résultats des « producteurs d’énergie » : 36 milliards d’euros de bénéfices, l’an dernier. Contre 11 milliards en 2019, l’année avant les crises. Bonne nouvelle, donc, excellente pour nos finances publiques : Bercy aurait, sans nous en parler, récupérer 25 milliards de dollars ici ! Idem pour Engie dont, nous dit La Tribune, « le bénéfice net d’exploitation s’envole », à 9 milliards d’euros. La vérité, la vérité toute bête, toute simple, c’est qu’à ces sommes immenses, l’Etat n’a pas touché. Ces firmes n’ont, au mieux, versé que des aumônes, des « ristournes », des « remises à la pompe ». Qu’elles n’ont guère payé pour, comme le raconte Macron, « protéger nos concitoyens et les petites entreprises » : tous les « boucliers tarifaires », aujourd’hui, sont payés par un formidable endettement, comme le « chômage partiel », massif, d’hier…

Mais pourquoi, alors, pourquoi des propos aussi manifestement, aussi outrancièrement, mensongers ? Pourquoi prendre le contre-pied de la vérité ? Pourquoi réécrire l’histoire, de façon aussi grotesque ?

Parce que, lui le sait : c’est plus que son talon d’Achille, c’est une béance, une plaie ouverte, ce sentiment d’injustice. Et pas seulement pour lui, pour son image, d’un évident « président de ses amis les riches », mais pour la France : le pays en est miné.

Pourquoi nous, nous devrions payer ?
Pourquoi nous accepterions des efforts, des sacrifices, si les « gros » en haut n’en font pas ?

***

Cette question ne saurait être traité que par des chiffres. Que par de l’économique. Que par les dizaines de milliards qui échappent à l’Etat.

C’est une affaire de morale.
C’est moralement que le pays est miné.

Avez-vous lu le rapport interministériel sur la gestion de l’eau, sur les défaillances des préfectures durant la crise estivale ?

Bien que peu soucieux de polémique, les inspecteurs s’attardent, notamment, bizarrement, sur le cas des golfs.

Durant l’été 2022, tandis que des centaines de communes étaient approvisionnées par des citernes, ou des bouteilles d’eau, les greens, eux, continuaient d’être arrosés en toute tranquillité. C’était certes légal, un accord passé entre la fédération française de golf et les ministères, une dérogation même en cas de « crise » sécheresse, mais néanmoins choquant. Et « peu compréhensible » pour les inspecteurs eux-mêmes.

Le souci, ici, n’est pas seulement les milliers de litres gaspillés. Mais c’est que, ensuite, cette injustice détruit le consentement de tous autres. Des « stations de lavage de voiture », par exemple, « contraintes à un arrêt total de l’activité. » Ou encore : « les efforts demandés aux agriculteurs irrigants leur ont parfois semblé disproportionnés par rapport à ceux demandés aux gérants des golfs. »

Voilà pourquoi, plus que jamais, nous avons besoin de justice : le défi climatique réclame, à tout le pays, et à vrai dire à tous les pays, des changements gigantesques. Ils ne seront pas acceptés, car pas acceptables, si une partie de nos concitoyens y échappent, s’ils ne participent pas à l’effort commun : tous, alors, toutes, voudront y échapper, demanderont une « dérogation », grugeront dans leur coin.

La justice, sociale, fiscale, environnementale, est impérative pour l’unité de la Nation. Sans cela, nous n’affronterons rien ensemble.

***

Voilà qui me rappelle un échange avec Pablo Servigne, à propos de son livre (à lire absolument) L’Entraide, l’autre loi de la jungle :

François Ruffin : Il y a des règles à l’entraide…
Pablo Servigne : Il ne faut pas compter seulement sur le bon sens, ou le bon coeur, ça ne suffit pas. Il faut être compétent : il y a des principes, des méthodes, pour faire émerger l’entraide dans un groupe. Aujourd’hui, nous disposons de ce savoir, on pourrait faire des Business schools avec ces formations, des prix Nobel entièrement dédiés à l’altruisme. Ca rééquilibrerait un peu, ça ferait un vrai projet de société.

F.R. : Alors, quelles sont ces règles ?
P.S. : On peut illustrer ça avec le jeu du « bien public », qui a donné lieu à plein d’expériences, depuis des décennies. Autour d’une table, on réunit un petit groupe de participants. Chaque joueur reçoit une somme d’argent, et il peut contribuer à un pot commun, qui se trouve au milieu. A chaque tour, les chercheurs prélèvent le contenu du pot, ils doublent la somme, et ils la redistribuent à parts égales, quel que soit le niveau de participation. Donc, si chacun mise, ça roule, tout le monde y gagne. Mais si certains misent peu, ou rien, eh bien les altruistes, qui ont cru au collectif, ils en sortent perdants…

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F.R. : Tandis que les égoïstes, ou les prudents, s’en tirent gagnants.
P.S. : Voilà le principe. Eh bien, en moyenne, les joueurs placent la moitié de leur pécule, la moitié, même lorsqu’ils ne se connaissent pas. Ils font largement confiance. Les humains sont nettement plus coopératifs que les économistes ne le prétendent ! L’Homo economicus, c’est un modèle théorique qui n’aurait jamais dû sortir de son laboratoire ! Toujours avec ce jeu, les chercheurs ont forcé les participants à se décider plus vite. Eh bien, les contributions ont augmenté. Au contraire, si on leur disait « prenez le temps de la réflexion », ça diminuait les mises. La spontanéité conduit à un comportement pro‑social. David Rand, un professeur à l’université de Yale, concluait : « La plupart des gens pensent que l’intuition est égoïste, mais nos expériences montrent que, lorsqu’on développe l’intuition chez les gens, cela augmente la coopération. »

F.R. : Oui, enfin, là, on a l’impression que tout est rose, que l’entraide va de soi, qu’elle est spontanée. Pourtant, tu soulignes l’importance des sanctions.
P.S. : Eh oui, c’est un des moyens les plus efficaces pour favoriser l’entraide : la punition. Parce que, dans notre jeu du pot commun, toutes les expériences témoignent de la même dynamique : au bout d’une dizaine de tours, les mises s’effondrent, les participants cessent de contribuer au pot commun, avec des niveaux proches de 0 %. Chacun décide de garder ses billes. Pourquoi ? Parce qu’ils constatent que, dans le groupe, des joueurs ne s’en sont pas privés. Il suffit d’un gars, d’une fille, d’une poignée, et ça suscite du dégoût, on l’a analysé dans des zones du cerveau.

F.R. : Ca, ce passage, je l’ai trouvé vachement éclairant. Parce que, quand tu te balades en milieu populaire, dans les brefs échanges, tu ressens ce dégoût, à l’égard des riches, qui ne paient pas leurs impôts, mais aussi contre les « assistés », « les profiteurs du système », le sentiment qu’il y a des passagers clandestins, qui ne paient pas leur part. Comme s’il y avait une exigence d’égalité, déçue, trompée, blessée même, et que, du coup, « bon, ben, puisque c’est comme ça, moi aussi je vais faire pareil ». Mais moins par un véritable égoïsme que par déception, oui, comme on rentre dans sa carapace.
P.S.  : Exactement. C’est pour ça que, des élites égoïstes, et pourtant mises en valeur, applaudies, récompensées, c’est particulièrement décourageant, pour tout le monde. Pour toute la société.
Mais je reviens à mon jeu. Au onzième tour, des scientifiques ont dit : « On va mettre une nouvelle règle, vous avez le droit de punir un égoïste. Vous pouvez lui retirer ses gains. » Aussitôt, les niveaux de coopération regrimpent à 80 %, 90 %, presque 100 % ! Même, les gens sont prêts à payer pour punir les égoïstes !

F.R. : Il existe tout de même également des ressorts plus positifs…
P.S. : Oui, il y a le pendant de la sanction : la récompense. Punir les égoïstes, récompenser les altruistes, voilà les deux fondements de la réciprocité en groupe, de l’entraide, depuis la nuit des temps dans les sociétés humaines. Quand tu as une médaille, parce que tu as fait un acte de bravoure, la légion d’honneur, un machin. Quand tu donnes à des oeuvres caritatives, tu obtiens des réductions d’impôt.

F.R. : Quand tu dis « machin », on sent bien que ça ne marche plus, que ces décorations ne font plus envie…
P.S. : Peut‑être. Peut‑être qu’il faut trouver de nouvelles récompenses. Mais il reste une chose universelle, la clé de voûte : la réputation. C’est‑à‑dire les ragots, les cancans. C’est un patrimoine mondial de l’humanité ! C’est un des ciments de la socialité humaine ! La réputation, c’est hyper puissant, et ça existe chez les autres espèces, chez les singes, même chez des poissons ! [Rires.]
Ils coopèrent plus parce que d’autres les regardent ! C’est pareil dans notre jeu du bien commun, les joueurs vont miser plus s’ils se savent ou se sentent observés… ne serait‑ce qu’avec l’affiche d’un gros oeil sur le mur !

Nous vivons ce temps, sans sanction, où les tricheurs, loin d’être punis, sont célébrés, récompensés. D’où le dégoût qui se répand dans les cœurs. D’où les refus de participer au « pot commun », par son argent, ou par son temps.
Contre les égoïsmes, il faut des sanctions.
Pour surmonter, ensemble, de formidables défis.
Pour refaire société.
Où alors, le chacun pour soi l’emportera. Qui mènera à la défaite de tous.

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