« La part des salariés qui subissent trois contraintes physiques est passée de 12% en 1984 à 34% aujourd’hui. » Je suis tombé sur cette statistique dans un bouquin, La Sobriété gagnante. Ca m’a sidéré, c’est contre-intuitif, on se dit que le travail, avec les ordinateurs, le numérique, s’est si bien allégé. Ca m’a tellement stupéfait, que j’ai douté.
Je suis allé voir dans le rapport en question, on ne peut plus officiel, une note de la Dares, le ministère du travail, de décembre 2017, intitulée « Quelles sont les évolutions récentes des conditions de travail et des risques psychosociaux ? » Eh bien si, de 12% à 34%. Ca triple presque, pour ces cinq contraintes, « rester longtemps debout, rester longtemps dans une posture pénible, effectuer des déplacements à pied longs ou fréquents, devoir porter ou déplacer des charges lourdes, subir des secousses ou des vibrations ». Mais pire. Ca grimpe de 13% à 46% parmi les employés de commerce et des services, de 23% à 60% parmi les ouvriers qualifiés, de 21% à 63% parmi les non-qualifiés. Parmi eux, 38% sont exposés à un bruit intense, 40% sont au contact de produits dangereux, 66% respirent des fumées ou des poussières. On est très loin du travail dématérialisé…
J’en discutais avec Christine Erhel, économiste du travail, auteure du (formidable) rapport sur « les travailleurs de la deuxième ligne ». Ces données ne l’ont pas surprise : « C’est une chose très connue, très documentée parmi les chercheurs qui s’intéressent aux conditions de travail. Les contraintes, dans la logistique par exemple, se sont renforcées. C’est du néo-taylorisme…
– On est encore plus dans Les Temps modernes, finalement ?
– Oui. Ceux qui disent que les robots libèrent les travailleurs, ce n’est pas vrai, ça empire. Amazon en est l’illustration, l’homme y devient un appendice de la machine, pour reprendre les termes de Marx .
– Est-ce qu’il y a moins pire ailleurs ?
– Oui, dans les pays Nordiques, la Suède, le Danemark…
– Ca lasse. Ce sont toujours les mêmes.
– Eh oui, mais il existe bel et bien d’autres cultures managériales. »
Je pose cette question ici, bien sûr, parce qu’elle est capitale dans le débat sur les retraites. Si le travail était « magique », comme le rêve la start-up Nation, légère et douce, pourquoi ne pas faire deux années supplémentaires, ou même plus ? Mais non. C’est l’inverse qui se produit. Sur les corps, mais aussi sur les esprits. Ainsi, les contraintes de rythme (« Devoir toujours ou souvent se dépêcher, des délais à respecter en peu de temps, interrompre une tâche pour une autre non prévue, situation de tension avec public… ») ont explosé : de 6% en 1984 à 35% aujourd’hui. +20 points pour les cadres, +30 pts pour intermédiaires, +27 pts pour employés, +45 pts pour ouvriers qualifiés.
Le travail est ainsi devenu plus intense. Physiquement, mais également psychiquement. D’où le refus, massif, aujourd’hui, qu’il soit en plus rallongé.