Je ne viendrai pas à l’Élysée, Monsieur le président

Monsieur le président, grand merci pour votre invitation, mais je ne viendrai pas déjeuner à l'Elysée. Le pays réclame un médiateur, et à la tête de l'Etat nous avons un pyromane. Plutôt qu'un grand débat et des LBD, vous devez ouvrir de véritables négociations, autour de quatre points..

Monsieur le président,

Grand merci pour votre invitation, mais je ne viendrai pas déjeuner à l’Elysée. Je ne servirai pas de caution à votre manoeuvre : pour enterrer un dossier, énonçait Clémenceau, on crée une Commission. Pour enterrer une révolte, espérez-vous, on lance un grand débat. Un grand débat et des LBD, voilà donc votre réponse dans la crise.

Je ne viendrai pas.

Je laisserai à d’autres élus mon temps de parole et ma part de petits fours.

Et pourtant.

Et pourtant, croyez bien que je mesure la gravité du moment, pour notre pays, je la mesure, sans doute davantage que vous-même. Samedi après samedi, je suis déchiré par les déchirements de notre France. Quelle pitié ! que des hommes frappent d’autres hommes, que des Français affrontent des Français, et qu’importe qu’ils portent des uniformes ou des Gilets jaunes. Avec notre groupe parlementaire, dans l’hémicycle, c’est sans hésiter que les députés insoumis se lèvent pour rendre hommage à un policier blessé. Mais dès qu’on évoque les Gilets jaunes décédés, vos Marcheurs restent assis, comme si, revêtus de leurs chasubles, eux n’appartenaient plus au corps social, à la communauté nationale, comme s’ils comptaient pour rien. Vos marcheurs restent assis, et vous, vous restez muet, muet pour les 82 blessés graves, muet pour 82 estropiés, éborgnés, mutilés, 82 vies amputées d’un oeil, d’une jambe, pour toujours, vous n’êtes pas avare de mots, en général, mais pour ces 82 victimes, pour leurs 82 familles, vous n’avez pas trouvé un mot, pas un mot de compassion, pas un geste de tendresse. Elle commencerait pourtant par là, la paix sociale : par quelques phrases de sympathie, qui sortiraient de votre coeur, aujourd’hui sec et fermé. Par votre rigidité souriante, vous nourrissez le conflit plutôt que de l’apaiser.

Ce serait le premier pas vers la paix, que ces mots, faits de tendresse, d’humanité, un premier pas sur le chemin de la paix.

La solution, la solution immédiate, la solution la plus simple, vous la connaissez : votre démission. Vous êtes, à mes yeux, le pire président de la Vème République. Vous avez mené le pays droit dans le mur de la colère. A une souffrance, silencieuse, endurée depuis des années, par les intérimaires, par les personnes handicapées, par les auxiliaires de vie sociale, par les ouvriers multi-licenciés, par les mères célibataires, bref, les classes populaires, à cette souffrance, vous avez ajouté l’injustice, l’évidence de l’injustice. Comment avez-vous osé ? Comment avez-vous osé supprimer l’Impôt de Solidarité sur la Fortune pour les plus riches ? Comment avez-vous osé alors que, dans le même temps, vous alliez gratter sur la CSG des retraités, sur les APL des locataires, sur les emplois aidés des plus précaires, sur le gel des pensions et des allocations ? Comment avez-vous osé ? C’est si excessif, tellement abusif.

Mais ça ne suffisait pas.
A cette injustice, à cette évidence de l’injustice, comme on jette du sel sur une plaie, vous avez ajouté l’arrogance de l’injustice, à grand renfort de « gens qui ne sont rien », de « feignants », de « Gaulois réfractaires », de « vous n’avez qu’à traverser la rue » et autres « pognon de dingue », comme des provocations renouvelées. Ca ne touche pas qu’au porte-monnaie, au « pouvoir d’achat », l’orgueil d’un peuple en est blessé, son honneur : on se moque de lui, son propre chef de l’Etat se moque de lui.

Le plus simple, le plus efficace, oui, serait votre démission.
Et si, en une ultime décision, quittant votre palais, vous lanciez une Constituante, si vous ouvriez la voie à une nouvelle République, où toute la vie politique, civique, démocratique, ne tournerait pas autour du président-soleil, de ses désirs, de ses caprices, comme autour d’un astre, alors, sur le fil, vous laisseriez peut-être un nom pas trop piteux dans notre histoire…

Mais ne rêvons pas.

Ne rêvons pas à votre démission.

Ne rêvons pas à cet horizon.

Il est une voie, alors, plus modeste, pour que s’apaisent les tensions, pour que se renoue un dialogue, pour que revienne une concorde sociale, week-end compris. C’est d’ouvrir des négociations, de véritables négociations, pas des opérations d’enfumage et de communication. Des discussions autour de quatre demandes, claires, simples, des Gilets jaunes, et qui n’ont reçu, pour seules réponses qu’un « non » sans concession, ou votre silence.

Une demande sociale : une TVA 0 sur les produits de première nécessité.

Une demande fiscale : le retour de l’Impôt de Solidarité sur la Fortune.

Une demande démocratique : le référendum d’initiative citoyenne.

Une demande judiciaire : l’amnistie pour tous les Gilets jaunes.

Ces demandes, vous les connaissez, elles vous sont répétées depuis des mois, elles sont scandées de ronds-points en manifs. Mais à la place de discussions, sérieuses, à la place d’un compromis, à la place d’une main tendue, vous choisissez chaque jour la répression. L’escalade. Camp contre camp. Les tirs de flash-ball et les peines de prison. Et votre ministre de l’Intérieur qui recourt à l’Armée, qui promet de ne pas trembler, d’avoir la main ferme, d’aller encore plus loin. Même les actions non-violentes, désormais, même les protestations les plus pacifiques, se voient frappées de poursuites, de garde à vue, de mises à l’épreuve et de sursis. Votre caste se resserre, en mode autoritaire, habillé d’un sourire marketing, et de déjeuners à l’Elysée, d’échanges avec élus, et philosophes.

Vous fabriquez des enragés.

Vous fabriquez des jusqu’aux-boutistes.

Le pays réclame un médiateur, et à la tête de l’Etat nous avons un pyromane.

Cette stratégie, je la condamne. Je ne veux pas la cautionner, même par un coup de colère dans votre palais, et que vos services puissent dire : « Vous voyez, il s’est exprimé. »

Je ne viendrai même pas pour vous énoncer cette chose simple : Il n’y a pas de paix sans justice.

Bien à vous,

François Ruffin

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