Une journée en circo… au procès des Goodyear !

Tout le monde connaît au moins un Goodyear. Moi, c'est le mec d'une copine. C'était. Il a bien essayé de se reconvertir. Ça a été la Bérézina. Il s'est pendu dans sa véranda.

Jeudi 4 octobre. Telegram.7h23.
« Je suis là. »
François a pris le train très tôt, levé 5h30, pour faire l’aller-retour Paris-Amiens sur la matinée.

Il y a du monde devant Mégacité. 
Ici, tout le monde connaît au moins un Goodyear.
Moi, c’est le mec d’une copine. C’était. Il a bien essayé de se reconvertir. Ça a été la Bérézina. Il s’est pendu dans sa véranda.

On entre dans la salle.
C’est un procès géant, « hors norme ». Plus de 800 ouvriers qui contestent le motif économique de leur licenciement. Alors, il a été déplacé dans le Zénith d’Amiens, là où d’habitude, on vient faire la fête.
C’est un vrai spectacle : les juges et les avocats sont sur scène, effets de manches et plaidoiries déclamées sous les spots, les centaines de personnes du public dans la pénombre.
François redevient journaliste et noircit les pages de son cahier.
« 2,7 milliards de bénéfices »
« Loi Macron, loi El-Khomri »
« 8% d’augmentation par rapport au record de l’année précédente »
« 4 années de suite à plus d’un milliard de bénéfices »

« Viens t’asseoir là, tchiote ! » Frites et salutations d’usage. « Vous bossiez à l’usine ?
– Ouais ».
Je sors mon cahier et les sourcils se froncent : 
« T’es pas journaliste au moins ? »
– Non, je travaille avec François Ruffin
– Ah, ça va alors. Ruffin, il a toujours été là. C’est un fidèle. T’as de la chance de pas être journaliste. Je t’aurais envoyé bouler. Entre notre soi-disant violence et notre fainéantise, merci bien. »

Il y a Bénito, 58 ans. Son père est rentré à l’usine en 1962, lui en 1984. « Ca m’a semblé logique. »
Et son pote L. qui ne veut pas donner son prénom.
« Bénito, il était au pire des postes. A “la tour des noirs.” C’est pas raciste hein, il s’excuse d’avance Bénito. On s’appelait comme ça parce qu’en sortant on était noir de carbone. Moi, je prenais deux douches au boulot et encore une en rentrant pour enlever tout ce noir.
– Mais, ça ressemble à quoi ce carbone ?
– C’est de la poudre. Des camions de 23 tonnes à décharger pour remplir les silos. J’en ai bouffé du carbone !
– Et respiré aussi j’imagine ? 
– Ah, ça oui ! J’ai fait des radios à la médecine du travail. Ils disent qu’il n’y a rien. Pour l’instant, ça va. Mais j’en ai connu plusieurs qui en sont morts. Problèmes respiratoires. »
L, lui, travaillait à la maintenance.
« On réparait des machines, elles étaient totalement indispensables. Mais complètement obsolètes.
Le père de Bénito bossait déjà dessus, t’as qu’à voir. »

Qu’est-ce qu’ils font maintenant ?
Chômage pour Bénito. « On me propose que des trucs ridicules. L’autre coup, c’était livreur de pizza à mi-temps à Abbeville. »
L est à la retraite. « C’était galère de retrouver du boulot. Les patrons ne voulaient pas des anciens de Goodyear. On était étiquetés violents. Aujourd’hui, c’est un peu mieux. On est plutôt étiquetés courageux. »

Ils ne voudront pas me parler du reste, de l’annonce du licenciement, des conséquences sur leur famille. « C’est vieux tout ça, c’était y’a longtemps. Il est tellement long ce procès. »

« Aujourd’hui, un procès comme ça, ça ne serait plus possible, assène François devant la caméra.
Avec les lois Macron, on juge au niveau de la filiale et plus au niveau du groupe. Et on sait qu’ils peuvent rendre une filiale déficitaire facilement. Donc avec les lois du nouveau régime macronien, ce procès serait perdu d’avance. »

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