Mon Cantonales ‘Tour : carnet de campagne

Un Goodyear et une ass'mat à Doullens, une personne handicapée et le Secours pop à Corbie, Dupond-Moretti à Péronne, des punaises à Amiens-Nord : récit de mon tour des cantonales, ce weekend.

« Je travaillais chez Goodyear, côté pneu agricole. On était rentables, mais ils ont tout fermé… L’an dernier, j’étais en Belgique, ça faisait huit mois, comme ajusteur-monteur, j’allais être embauché.
– Qu’est-ce qui a coincé ? »

Le gars me montre son masque.
« La pandémie. Tout s’est arrêté. Faut repartir à zéro, l’intérim, les missions… Là, lundi prochain, je commence en Normandie.
– Comment tu fais pour te loger ?
– Le camping-car. J’ai pas le choix. J’ai une femme et des enfants, j’ai ma mère aussi à m’occuper, mon père est décédé… C’était un militaire, je lui dois ça, toujours droit, toujours debout. »

On est sur la place de Doullens, venu filer un coup de main à Sonia pour les cantonales. J’aime ces moments où de campagne, à écouter les gens, leur parler, chercher le chemin qui trouvera un écho, une résonance, dans leur tête ou dans leur cœur.

Ass’Mat : « Comment je vais l’annoncer aux parents »

Un peu plus tôt, une assistante maternelle est venue me remercier de « prendre la parole pour nous ». Elle me cause de son salaire, de ses horaires :

« Le minimum, c’est onze heures par jour, 5 h 30 – 16 h 30… Ca, c’est le minimum. Sinon, vous ne le répétez pas, hein, mais je ne respecte pas la loi : normalement, il y a onze heures de repos obligatoire, de coupure, entre deux journées de travail. Je fais des nuits, parfois, je garde des enfants la nuit, pour des parents qui sont postés, et lendemain, j’enchaîne sur ma journée. »

J’en viens à ma proposition pour les ass’mat : construire un autre statut, vraiment salarié, par le biais des départements ou d’associations. Moins dépendant des parents.

« C’est sûr que, les relations avec les parents, c’est pas toujours simple : ils sont les employeurs, les clients, et du coup on a toujours peur de perdre les contrats… Si mon fils a un rendez-vous médical, je lui donne la priorité, mais avec une crainte. Ma mère était déjà assistante maternelle, avant moi, et elle a eu des soucis de cœur. Mais alors que sa santé était en danger, sa vie même, alors qu’elle devait se faire opérer, c’est pas ça qui l’inquiétait : ‘Comment je vais l’annoncer aux parents ? Est-ce qu’ils vont me retirer les contrats ?’ Ca, c’est énormément de stress. »

Corbie : « Ma fierté, ce sont les études de mes trois enfants… »

Sur la place de Corbie, c’est une dame qui, à la terrasse d’un café, me reconnaît.

« Je touche l’allocation adulte handicapée, et j’ai vu que, cette semaine, les Marcheurs ont refusé l’autonomie, ils veulent que ça dépende des revenus du conjoint… C’est dégoûtant. Pour moi, je m’en fiche, les hommes, je ne veux plus en entendre parler.

Mon souci, il est ailleurs, j’ai trois enfants, trois enfants qui font des études, et c’est pour moi une fierté. Le premier est en BTS, la deuxième dans le commercial, le troisième encore au lycée… Ils sont partis à Rouen, à Amiens. Mais c’est moi qui dois leur verser des sous ! Je viens encore de leur envoyer 200 €. Sur ma petite AAH.
– Ils ne travaillent pas, à côté ?
– Si. Tous les samedis, et toutes les vacances. A l’usine à côté, pour les huiles de moteur. Mais ils sont fatigués. C’est dur, comme jeunesse, pour réussir ses études. Et au lycée, le petit, on lui remet des paniers repas du Secours populaire… C’est une honte ! »

Devant le Secours populaire, justement, on tourne une petite vidéo avec Elodie : ici, les élus sont déjà du Rassemblement national, dont un à moitié fantôme, qui n’a pas siégé durant la seconde partie de son mandat. « Quand on avait besoin, pour remplir une demande d’aide, ou un autre dossier, il fallait se rendre dans les permanences des conseillers d’à côté. »

Flixecourt : « Tous deux ne se connaissent pas encore »

A Flixecourt, c’est pire : les candidats RN pour les cantonales n’habitent pas le canton. « Huguette Leclerc, 63 ans, est retraitée à Quend, où elle demeure » (dixit le Courrier picard). C’est sur la côte, au bout du département. Mieux : le binôme ne s’est pas encore rencontré ! « Tous deux ne se connaissent pas encore » (Le Courrier picard, toujours.) Un mariage politique à l’aveugle ! Et ils n’ont aucune proposition locale : « De leur programme, ils citent spontanément ‘le refus des mineurs isolés et le retour aux 90 km/h sur les routes départementales’ » (Courrier picard).

Le tract qu’ils distribuent aux cantonales est national : le même qu’à Toulon, à Bordeaux, à Choisy-le-Roy, etc. Comme si notre coin, avec le départ de l’industrie, n’avait pas des besoins à lui !

Ca désarçonne les candidats sortants, de gauche, ce vide. Les gens vont voter Marine Le Pen, les yeux fermés : « Comment lutter ? » ils se demandent. On apporte notre pierre contre le découragement : porte après porte, rue après rue…

Péronne : « Votre politique, je la subis depuis que je suis né ! »

C’était prévu dans mon Cantonales Tour, ce samedi : Péronne, où l’ex-leader de Génération identitaire vient s’implanter avec l’étiquette RN. La visite de ministres nous est annoncée :

« On y va quand même ?
– Bien sûr, pourquoi ? »

C’est Vincent qui tombe le premier sur Dupond-Moretti, qui lui tend notre tract Picardie Debout !
« C’est quoi ça ?, demande le garde des Sceaux, tout surpris (à Paris, ils connaissent pas ce vaste mouvement de libération de la betterave…)
– Eh bien, dans le coin, on a eu plein de délocalisations, de fermetures d’usines…
– Ah mais on a des propositions là-dessus, vous devriez regarder notre programme.
– Je le connais, votre programme,
réplique Vincent : depuis que je suis né, je le subis.
– Ne soyez pas désobligeant, Monsieur.
– Mais je ne suis pas désobligeant, c’est votre politique qui est désobligeante ! »

Sur le marché, y a plus de militants que de chalands. Les gens repartent avec le panier plus chargé de tracts que de légume. Et ce gros nase de Dupond-Moretti va assurer au candidat RN la plus formidable des publicités : chapeau l’artiste !

Amiens-Nord : « Des punaises au Conseil départemental ! »

« J’adorais mon travail de médiation sociale. J’allais chez les familles, des blanches, des arabes, et je voyais bien que la pire discrimination, c’était pas la couleur, c’était l’argent. Je prenais note des problèmes, souvent de logement, d’humidité, de chauffage, et beaucoup aussi de punaises de lit… Je remontais l’information à la mairie, qui en discutait avec l’office HLM, et mon travail s’arrêtait là.

Quand je voyais que, pour des gens, à cause des maudites punaises, ils étaient obligés d’abandonner l’appartement, qu’ils envoyaient les enfants chez les grands-parents, que ça les déscolarisait, moi, je revenais à la charge : ‘C’est pas normal, il faut agir !’ Mais on me répondait : ‘C’est plus votre rôle, maintenant…’ Donc, je servais juste de tampon. Du coup, je retournais chez les familles le soir, et je leur conseillais de bloquer les loyers, de passer par un huissier. Et c’est que je me suis dit, pour défendre les gens, il faut que je passe au cran du dessus. Que j’entre en politique. »

Saïd est le candidat insoumis sur Amiens-Nord pour les cantonales.
« Donc tu vas faire quoi ? je l’interroge. Tu vas ramener des punaises au Conseil départemental !
– Pourquoi pas ! »

Gamaches : « Le mois prochain, je suis dehors »

On termine la journée en fanfare. Au sens propre. A Gamaches, après le match de foot, un défilé en musique à travers les rues, avant un pot-concert sur la place centrale. Une dame, croisée sur le pas de sa porte, vient tendre l’oreille :

« Moi j’irai plus voter. C’est fini. Là, je survis avec 740 € de pension invalidité, je n’ai pas droit à l’AAH, et dans un mois, je suis dehors. Je n’arrive plus à payer le loyer. Le maire, le député, jamais je ne les ai vus.
– Vous êtes pas sur ma circo, je m’excuse.
– Et l’Assistante sociale, quand je l’ai rencontrée, elle m’a dit : ‘Vous n’êtes pas encore dans le rouge.’ Comme s’il fallait attendre de crouler sous les dettes ! Donc, dans un mois, je vais devoir partir…
– Et où vous allez dormir ?
– Je ne sais pas, peut-être dehors. »

Pour des aides d’urgence, on prend ses coordonnées. Et on va lui transmettre celles de Sabine, à Abbeville, qui est un peu notre guérillero du handicap…

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