Vous n’existez plus

"La loi Grand Âge arrive." On a failli vous croire, par naïveté. Il ne fallait pas. Il ne faut jamais vous croire. Vous trahissez sept années de promesses. Vos mots ne valent plus rien. Vos phrases sont du vent. Plus personne ne vous croit. Vous n'existez plus.

Madame la ministre, c’est avec colère que je monte à cette tribune. Vous vous fichez de nous.

Vous, tout le gouvernement, et le Président, vous vous moquez des Français. Vous vous moquez des personnes âgées. Vous vous moquez de leurs familles. Vous vous moquez des aides à domicile, des soignantes en Ehpad, des aidants. Depuis sept ans maintenant, vous vous moquez du pays tout entier.

Quel est l’enjeu ? C’est un défi démographique, gigantesque. Notre pays vieillit. C’est inédit dans notre histoire : le nombre de personnes de plus de 60 ans dépasse, d’ores et déjà, les moins de 20 ans. Et ça n’est qu’un début : d’ici une décennie, les plus de 75 ans vont passer de 4 à 6 millions, plus 50 %.

Ce choc en cours, comment l’affrontons-nous ? Par du bidouillage, par votre bricolage. Et c’est le grand craquage.

Le grand craquage des aidants, d’abord, des familles, toujours en première ligne, du lundi au dimanche. Jusqu’à l’épuisement, jusqu’à la dépression. Et souvent jusqu’à la mort : un aidant sur trois meurt avant son aidé. Quel projet portez-vous pour ces aidants ? Aucun.

Côté auxiliaires de vie, c’est le grand craquage aussi, guère mieux loties. Leur corps usé, leur esprit fatigué, les accidents du travail bondissent. C’est désormais pire, dans ces métiers, que dans le bâtiment. D’où des démissions en série. Et dans tous les départements, c’est la pénurie. Que faites-vous devant ce malaise ? Rien, presque rien, des mesures dérisoires comparées au défi.

C’est le grand craquage, enfin, dans les Ehpads, avec un découragement géant, un turn-over record.

Bref, la coque craque de partout. C’est déjà un quasi-naufrage. Et pourtant, je le redis : nous n’avons pas encore affronté le raz-de-marée. Il nous faudrait réparer, d’urgence.

Mais il nous faudrait inventer, également. Car nous ne pourrons pas, non, nous ne pourrons pas mettre une aide à domicile, salariée, payée, derrière chaque personne âgée. Nous ne construirons pas des Ephads à chaque coin de rue. Il nous faudrait imaginer, fonder une société du lien plutôt que des biens, donner un rôle aux voisins, nouer un pacte entre les générations, avec des béguinages, des colocations, des lieux de partage, bref, il nous faudrait une grande loi pour le grand âge.

Or, qu’avez-vous fait depuis sept ans maintenant ? Qu’avez-vous fait pour affronter ce défi ? Rien. Rien. Rien.

Si, vous avez promis. Aurore Bergé était à votre place, sur ce banc, cet automne. Et la ministre d’alors le jurait, main sur le cœur : « Je m’engage à ce que la loi grand âge voie le jour. » Et elle ajoutait : « Ce sera pour avant l’été. » Mais, sur nos bancs, nous demeurions sceptiques. On nous l’avait tant promise, cette loi grand âge. On l’a tant remise.

Emmanuel Macron lui-même s’y était engagé, et après lui, Agnès Buzyn, Olivier Véran, Jean-Christophe Combes… Aurore Bergé, à son tour, reprenait donc le refrain des promesses. Et elle insistait avec force : « Il va de soi que la Première ministre a donné son accord. » Et de fait, Elisabeth Borne le confirmait : oui, la loi Grand Âge arrivait…

On avait fini par le croire, presque, un peu, par naïveté. Il ne fallait pas. Il ne faut jamais vous croire. Car aujourd’hui, lorsqu’on vous interroge, lorsqu’on vous interpelle : « Quand cette loi verra-t-elle le jour ? » Comme réponse, nous n’avons que le silence, un silence gêné. Silence dans le discours de Gabriel Attal. Silence dans les grandes déclarations du président Macron. Vos silences sont des aveux : vous avez renoncé.

Vous trahissez sept années de promesses. Dans une démocratie pour de vrai, Madame Buzyn devrait s’expliquer. Madame Bergé devrait s’expliquer. Monsieur Véran devrait s’expliquer. Madame Borne devrait s’expliquer. Monsieur Macron devrait s’expliquer…

Mais non, on promet et on oublie, amnésie. Vos mots ne valent plus rien. Vos phrases sont du vent. Plus personne ne vous croit. Vous n’existez pas.

Un seul ministère existe et dirige tout : l’Economie. Bruno Le Maire règne en maître, ou plutôt en petit comptable minable, avec sa courte vue, avec son unique obsession, réduire les impôts des riches, baisser les taxes des firmes, leur accorder, même, à eux, à vos amis les nantis, des dizaines de milliards d’aides, à bourse déliée. Et le même a le culot, ensuite, d’hurler au déficit : bien sûr, c’est vous qui tous les jours le creusez ! Et le petit marquis de Bercy décide alors, depuis son château, de couper dans les dépenses des manants, les dépenses pour l’Education, pour la Recherche, pour l’Ecologie, pour la Santé, pour nos enfants et nos aînés…

Voilà sa voie pour la France, et il s’en vante, une France rétrécie, rikiki.

Sans vision, sans ambition, vous empêchez la Nation de se préparer comme elle le devrait, de se préparer à deux grands chocs, le choc climatique, et le choc démographique. Vous nous faites perdre du temps. Ces défis majeurs, ces causes de malheurs, vous les laissez aux suivants.

C’est nous qui devrons réparer, d’urgence.
C’est nous qui devrons inventer.

C’est nous qui devrons reprendre le flambeau d’Ambroise Croizat : que nos aïeux, nos parents, nous-mêmes bientôt, que nous avancions vers le Grand âge sans angoisse, non pas comme une antichambre de la mort mais comme une nouvelle étape de la vie.

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