« J’ai horreur qu’on me regarde comme une malade. La pire phrase, pour moi, c’est ‘ma pauvre’. Donc je fais tout pour maintenir une vie normale, mais ça veut dire, malgré ma demi-solde, mettre la main au porte-monnaie. »
Cindy souffre d’un cancer du sein, devenu métastatique. Et chaque mois, ce sont des centaines d’euros, parfois plusieurs milliers, qu’elle débourse.
« Dans les couloirs de l’hôpital, je discute avec des jeunes femmes. C’est leur corps qui est diminué, la vie de couple qui est touchée, souvent le divorce à la clé. Elles arrivent avec leur tête pleine des soucis avec le banquier, c’est comme un engrenage. Moi, j’ai cette chance, grâce à mon mari : je peux payer. Pour couvrir ma maladie, pour régler les crédits, il a changé d’emploi pour un poste mieux rémunéré. »
La maladie est une épreuve, une terrible épreuve. Une épreuve pour la santé, bien sûr, mais pour le moral également.
Elle ne devrait pas se doubler d’une autre épreuve, financière.
Or, aujourd’hui, c’est le cas.
Médicaments, consultations, transports, vêtements adaptés, sous-vêtements, crèmes dermatologiques, prothèse capillaire… Le cancer du sein serait, d’après la Ligue, l’un des plus coûteux pour les patientes. Le reste à charge se chiffre à plusieurs milliers d’euros. 1391 €, minimum, pour une prothèse mammaire. 4 000 € avec les dépassements d’honoraires.
Cindy : « Il faut avoir de l’argent quand on est malade. Enfin, je tempère : si les opérations, les médicaments n’étaient pas remboursés, on serait endettés pour des siècles ! La boîte que je prends, là, pour vingt jours, c’est 9 000 €. »
Je vais râler, oui, après.
Je vais dénoncer les lacunes, les manques, les insuffisances.
Mais d’abord, je veux dire mon salut à la Sécu.
Merci à Ambroise Croizat et ses amis. Merci à nos aïeux, qui n’ont pas seulement repoussé l’occupant nazi, qui ont bâti cette formidable utopie, cette utopie concrète, ce rêve devenu réalité : la Sécurité sociale. Sans quoi Cindy, les 60.000 Cindy qui, chaque année, souffrent d’un cancer du sein, elles ne seraient pas seulement ruinées : elles ne se soigneraient pas, elles ne survivraient pas. Et la Sécu offre au moins une égalité devant ça.
Mais pas au-delà.
Car il y a le reste : la peau qui brûle, les mains asséchées, les pieds abîmés, et contre quoi il faut des lotions.
Les bras qui gonflent, avec comme secours des manchons.
L’acupuncture et le pédicure, la réflexologie ou la sophrologie, pour apaiser l’esprit.
Les sourcils qui ne repoussent pas, et qu’on se fait tatouer.
Le dessin, aussi, sur les seins implantés.
Le soutien-gorge et le maillot de bain.
Ce sont, bien souvent, des soins prescrits, recommandés, par le médecin. Des soins pourtant dits « de confort ».
C’est une bataille financière, budgétaire, qu’il nous faut mener aujourd’hui. Mais aussi de vocabulaire. Pourquoi ces remboursements atténués ? Pourquoi ces traitements qui ne sont pas couverts, ou mal, ou peu ? Parce que les mots le sont aussi, euphémisés. On parle de « soins de support », « soins oncologiques de support », la kiné, le sport, la psychologue, le diététicien… Mais est-ce que ce sont des soins ou non ? Ou des soins à moitié ? Ils sont recommandés par le médecin ? Alors ce sont des soins. Point.
Nausées, vomissement, rougeurs, démangeaisons, diarrhées, constipation, épuisement, perte de goût, d’odorat, maux de tête… voilà les effets secondaires de la chimio. Contre tous ces maux, les femmes recherchent des remèdes, pour leur réconfort, pour se soulager. Comment oser les nommer de « confort » ?
Et puis, et puis, il y a l’implant capillaire, la perruque comme on dit.
« La chimio va me faire perdre les cheveux durant des années, témoigne Cindy. Alors, je me suis achetée une belle perruque, en cheveux naturels, mais qui coûte plusieurs milliers d’euros. C’est le prix d’une Twingo. La Sécu n’en rembourse que 350 €. A ce prix-là, ce sont des perruques de carnaval. En synthétique, ça commence pour de vrai à minimum 1.500 €. »
Cindy prend soin d’elle, elle se soigne.
« Parce que, énonce-t-elle, pour être aimée, il faut d’abord s’aimer soi-même. Si je suis dans la honte, la honte de moi, la honte de mon corps, je serai mal entourée, et je vais m’isoler dans la maladie. »
Alors, cher collègue, camarade rapporteur, votre proposition de loi apporte du mieux, du mieux sur les sous-vêtements, du mieux sur les crèmes, et évidemment, on prend. Il n’empêche que demeurent des lacunes, des manques, des insuffisances, des béances. Sur les implants capillaires, mammaires, les dépassements d’honoraires. Et il nous faudra encore, demain, agrandir l’œuvre d’Ambroise Croizat, le rêve réalisé de nos aînés.
Et non le racornir. Et non le rétrécir.