« Ah mais pour déposer une plainte en gendarmerie, c’est jusqu’à 18 h ! Là, c’est trop tard. »
Séparée de son mari, Sylvie a tout subi.
Les insultes.
Les gifles.
Les menaces.
Les guets-apens au supermarché.
Le rétroviseur cassé.
La porte de garage broyée.
Les appels en série, dix, quinze, vingt dans la journée.
Avec un flot d’injures.
D’injures jusque chez elle.
D’injures devant l’école des petits.
La peur qui envahit la vie.
Elle a cherché un refuge, un secours.
S’est tournée naturellement vers la gendarmerie.
Mais au long de son calvaire, comment Sylvie fut-elle accueillie ? « 18h, c’est trop tard. » Qu’à cela ne tienne, Sylvie revient le lendemain. Mais ce n’est toujours pas possible : « Le gendarme qui suit votre dossier est en vacances. » Sylvie y retourne le mardi suivant : « Pourquoi vous n’êtes pas venue avant ? » Au fil des mois, elle essuiera des : « Il faut prendre votre mal en patience », « C’est dur pour lui aussi ». Son ancien conjoint ne rencontre pas de limite, il s’en trouve donc encouragé. Et il peut lui lancer : « Les flics, ils s’en foutent de toi, ils pensent que tu es folle… » « Le pire, conclut Sylvie, c’est qu’il a raison. Ils nous ont conseillés d’aller voir un psy, mais je ne veux pas une thérapie de couple, juste une protection. Ils ne m’offrent aucune protection.«
Ce récit, vous le savez, Monsieur le rapporteur, vous le savez, Madame la Ministre, ce récit en vaut mille. Les réseaux sociaux fourmillent de ces histoires, de ces femmes déposant plainte pour « violences conjugales », essayant du moins, et à qui un gendarme, un policier, réplique :
« Vous allez ruiner sa vie, le pauvre »,
« Pensez à vos enfants »,
« Nous ne sommes pas ici pour régler les scènes de ménage ».
Cette mauvaise volonté, le président de la République l’a constatée, lui-même, un casque sur les oreilles, au 3919, la plateforme d’accueil téléphonique des violences conjugales.
Qu’il n’y ait pas de suspense : je vais voter pour votre proposition de loi. Mais comment prétendre, c’est l’intitulé de votre texte, comment prétendre « agir contre les violences faites aux femmes » sans un article, sans une ligne, consacrée à leur accueil dans les gendarmeries, dans les commissariats ?
C’est la clé de voûte.
C’est le service public de proximité.
C’est le premier asile, pour les femmes victimes.
C’est le lieu qui incarne la Loi, la Loi munie d’une matraque, de menottes, d’un revolver si besoin, la Loi qui doit s’interposer entre le faible et le fort, la Loi qui trop souvent déçoit. Si vous ne changez pas cela, rien ne changera.
Je veux comprendre. Comprendre ces réticences des policiers et des gendarmes. Comprendre le pourquoi. Le machisme des forces de l’ordre, d’abord. A coup sûr, la police est une institution virile. Même les femmes recrutées, les policières intègrent, sans doute, en partie, les valeurs viriles du groupe. Mais il y a autre chose, je crois. Avec ces violences conjugales, le policier doit s’incruster dans l’intime, dans le couple. On devine son malaise : est-ce sa place ? Il est un gardien de l’ordre public, pas de l’ordre privé.
Surtout, qui sont ici les délinquants ? Des hommes ordinaires. Pas des voyous, des toxicos, pas les habitués du commissariat, au casier long comme le bras. C’est vous. C’est moi. C’est eux. Enfin, j’avancerais même : qui est le plus crédible ? La femme arrive au poste, déglinguée, le cerveau retourné, avec la peur, avec le doute, elle y arrive après une lutte, une lutte contre elle-même, une lutte contre son échec, une lutte contre sa honte. Bizarrement, elle est moins assurée dans sa vérité que l’agresseur dans ses mensonges.
Ces hypothèses, je ne les mentionne ni pour condamner ni pour excuser. Juste pour comprendre. Pour qu’on y travaille, avec les associations, avec les gendarmes eux-mêmes, avec les policiers eux-mêmes. Pour que ça change. Pour qu’ils en fassent une priorité, leur affaire, leur fierté même. Comme de la sécurité routière hier. C’est un verrou, sinon.
Parce que là, vous renforcez l’ « ordonnance de protection ». Très bien. Le domicile conjugal serait réservé à l’épouse, à ses enfants. Très bien. Avec interdiction pour le conjoint violent d’approcher. Très bien. Sur décision du juge des affaires familiales. Très bien. Mais à quoi bon, à quoi bon cette loi, cette loi en plus, si le premier maillon fait obstacle ? S’il fait obstruction ?
Voilà pourquoi, par des amendements, j’ai demandé que les policiers, que les gendarmes, reçoivent « une formation régulière aux violences sexistes et sexuelles« . Que m’a-t-on répondu ? « Irrecevable ». « Irrecevable pour absence de lien direct avec le texte ». J’ai demandé que la hiérarchie policière soit formée aux violences conjugales. « Irrecevable ». « Irrecevable pour absence de lien direct avec le texte ». J’ai demandé que votre « ordonnance de protection » soit expliquée à tous les agents, dans tous les commissariats. « Irrecevable ». « Irrecevable pour absence de lien direct avec le texte ». Mais au contraire, quel lien est plus direct !
Vous fabriquez une loi, là, certes. Ce sont des mots. Des articles. Des alinéas. Mais comment les ferez-vous entrer dans le réel, dans la vie, dans la vie des femmes, si les gardiens de la loi ne s’en saisissent pas ? C’est comme si vous fabriquiez un outil, un nouvel outil, un outil juridique, mais sans des mains pour s’en saisir ! Un outil, mais sans artisan, sans artisan formé, sans artisan compétent.
Eh bien, je réclame, moi, que policiers et gendarmes soient les artisans, les artisans de ce changement.