« En 1986, le duo Chirac-Balladur a décidé de libérer les prix. Avant ça, le préfet avait délégation pour fixer les prix. Il s’appuyait sur la DGCCRF, qui menait des enquêtes sur les marges, sur les taux. »
Michel Branchi, économiste (et communiste) sait de quoi il parle : la DGCCRF, la Concurrence et la Répression des Fraudes, il en fut le directeur. En charge de lutter, à sa manière, contre la « vie chère ».
« Par arrêté, l’Etat fixait le prix de revient d’importation, avec l’octroi de mer. C’était une ordonnance émise par de Gaulle en 1945, que le patronat, le CNPF, a beaucoup combattu. Ils dénonçaient des ‘effets pervers’, que ça ‘conduisait à l’inflation’. Ca nuisait surtout à leurs profits, qui étaient contenus, qui étaient transparents. Mais dans les années 80, ils ont obtenu la liberté des prix, sauf sur le carburant et le ciment.
Du coup, aujourd’hui, personne ne sait quelles sont les marges. Je lis des chiffres, sur le groupe Hayot notamment, dans les journaux, dans les rapports, mais personne ne connaît vraiment leurs marges. L’Insee, comme les journalistes, comme le Rpprac, comparent les étiquettes en hexagone et ici. Mais personne ne sait comme se forment les prix, sur le pack d’eau, sur le papier toilette, sur les 6000 produits, entre le coût de transport, de stockage, de logistique, etc.
Ils ont cassé l’outil qui permettait de savoir, et d’agir sur les prix. »
Juste après lui, nous rencontrions Aude Goussard, co-fondatrice du RPPRAC, qu’elle vient de quitter, militante indépendantiste de longue date.
« J’ai remis cette note à Manuel Valls lors de sa venue. Parce qu’il tient des propos durs sur le groupe Hayot, qui ‘étouffe l’île’, mais quelles sont les mesures concrètes qu’il propose ? Baisser la TVA et l’octroi de mer. Ce n’est pas logique. Il met en cause la grande distribution sur l’île, en Martinique comme en Guadeloupe. Mais c’est l’Etat, et les collectivités, qui vont se priver de recettes… pas les profiteurs ! Qui dit, même, qu’ils vont répercuter ces baisses d’impôt sur les prix ? Qui dit qu’ils ne vont pas en profiter pour augmenter leurs marges ?
La proposition de loi de Béatrice Bellay sur la vie chère, en revanche, avec ses limites, vise des points plus pertinents. D’abord, que les Observatoires des prix et des marges soient intégrés à la négociation annuelle. Qu’en cas d’échec des discussions, après un mois, le préfet fixe le prix en se fondant sur le prix le plus bas en hexagone. Ensuite, que les sanctions soient renforcées pour les entreprises qui ne publient pas leurs comptes. Enfin, que la concurrence soit effective dans les grandes surfaces, que les seuils de concentration soient abaissés. »
Selon nous, se joue ici en Martinique et ailleurs, le même combat, et la même comédie, que dans l’hexagone. Sur les prix de l’électricité, le marché ne marche pas… mais le gouvernement laisse faire « le marché ». Sur les logements, le marché ne marche pas… mais le gouvernement laisse faire « le marché ». Sur la casse industrielle, le marché, mondialisé, ne marche pas… mais le gouvernement laisse faire « le marché ». Sur les trois années d’inflation, en particulier sur l’alimentation, le marché n’a pas marché… mais le gouvernement a laissé faire « le marché ». Le gouvernement n’agit pas, ou fait semblant, à la fois par dogme, par idéologie : le marché est sacré. Et parce que cette inertie, ce laisser faire, rapporte gros aux plus gros, à ses amis.
La question est, pour la vie chère dans les outremers : le gouvernement va-t-il faire une entorse, une exception à sa règle du marché sacré ? En revenir à une fixation des prix, non « naturelle », par la concurrence, par les « acteurs économiques », mais plus administrative, étatique, politique ? Va-t-il choisir de protéger, protéger les habitants, protéger leur droit à se nourrir, protéger contre le marché ?