« J’irai pas au turbin – Lettre d’un fainéant » : un ouvrier écrit à Muriel Pénicaud

"Ma chère Muriel, j’irai pas au turbin. Je n’irai pas sur le chantier pour que vous et vos amis gardent le confort qu’ils croient dû à leur rang." Un ouvrier écrit à Muriel Pénicaud.

Ma chère Muriel,

J’écris depuis mon grenier (télétravail oblige) car en tant qu’ouvrier du BTP – limité intellectuellement de fait donc – j’ai du mal à comprendre la complexité de cette situation. J’en appelle à vos éclairages.

J’entends, de toutes parts, que l’ensemble des soignants demande à tout le monde de rester chez soi, de se confiner pour limiter la propagation du virus. Mesures qui semblent étayées et cohérentes, du moins à mes yeux naïfs.

Notre président nous a exhorté à prendre en compte le caractère urgent, exceptionnel et dangereux de la situation, nous sommes en guerre rappelez-vous. Bien qu’il n’ait pas eu le courage de prononcer le mot confinement, une majorité des chefs d’entreprise du secteur ont su lire entre les lignes et ont su, eux, prendre leurs responsabilités. Mon patron nous a dit à tous de rester chez nous, nous a garanti qu’il prendra en charge nos salaires tant qu’il le pourra : un mois, deux, peut-être trois. Nous avons assimilé très rapidement que la situation était grave et que nous devrons aussi faire des efforts pour que notre entreprise survive à cette crise. Nous étions prêts au confinement, prêts au sacrifice de nos rythmes et qualité de vie, prêts à avoir du temps disponible pour aider aux choses essentielles dans notre communauté, prêts à soutenir le personnel soignant aux abois.

Puis les entreprises du BTP se sont vues exclure des aides annoncées, la mienne comme beaucoup d’autres du secteur : pas dans les critères… Puis vous avez refusé des solutions claires et permettant la survie de ces entreprises : suppression des cotisations patronales et salariales sur les salaires versés pendant le confinement, par exemple.

Puis vous nous avez insultés, nous tous, une fédération entière, disant qu’il était anormal que nous n’allions pas au turbin, que nous étions fainéants. Alors vous nous demandez, à l’encontre des supplications de tout le personnel soignant du pays, de retourner à nos activités. Pour ma part, j’ai un chantier à venir, extrêmement urgent, de nettoyage de gouttières. J’ai aussi un chantier d’importance vitale de nettoyage de vitres – que ces pigeons sont inciviques : chier sur les carreaux en période de covid-19, ça m’écœure.

J’ai bien conscience que vous êtes assez éloignée du monde des chantiers, de la promiscuité que ces derniers engendrent, des efforts physiques qu’ils imposent, de l’habilité nécessaire à la réalisation des opérations, de la nécessité du travail de groupe, du danger généré par l’utilisation des outils (électroportatifs – engins – etc). J’ai bien conscience que vous êtes loin de notre quotidien. Mais que je le veuille ou non, quelle que soit l’ampleur de votre mépris envers nous, ces gens et moi-même vivons dans la même société que vous, et nous avons besoin de comprendre pourquoi nous devrions nous mettre en danger, nous-même mais aussi par extension nos familles, les personnels soignants, nos anciens, et finalement, l’ensemble de la population simplement parce que vous nous le demandez. Qui plus est de manière insultante.

Par ailleurs, vous supporterez que je sois sceptique sur le fait que vos proches se retrouvent à 3 dans un utilitaire pour aller poser des fenêtres lundi matin. J’imagine que tous vos proches ont le luxe de faire du télétravail, sans doute en tant que cadre supérieur, sans doute loin de nous dans des endroits agréables et spacieux, loin du terrain et de la promiscuité forcée qui est notre lot. J’imagine aussi qu’ils trouvent anormal que les braves soldats que nous sommes ne se sacrifient pas pour relancer la machine et pérenniser le système qui leur a permis d’accumuler un patrimoine de plusieurs millions d’euros. Et j’imagine qu’ils ont de très beaux documents powerpoint pour nous expliquer à quel point
nous sommes demeurés et combien il est important que nous les écoutions faire preuve de pédagogie car nous ne comprenons pas.

J’ai pour patrimoine : un VTT, un fourgon de 2008, un terrain non construit de 68m², un crédit immobilier auquel il reste 288 mensualités et une belle compilation dans un édition deluxe 3CD de la Blaxploitation.

Alors j’irai pas au turbin, je n’irai pas sur le chantier pour que vous et vos amis gardent le confort qu’ils croient dû à leur rang. Mais je ferai, bien entendu, tout ce que je peux faire depuis chez moi pour que mon entreprise passe cette crise et survive sans l’aide annoncée. En effet, la beauté de la chose est que je n’ai plus le statut ouvrier depuis 2 mois, que je peux faire du télétravail et que je pourrais tout à fait, comme vous le faites si bien, expliquer ainsi à mes collègues qu’ils doivent aller au front, ces fainéants. Mais j’ai trop d’amour propre pour ça. Alors j’irai pas au turbin et j’espère qu’on sera nombreux à en faire de même.

Cette situation me laisse donc perplexe, j’ai quelques doutes sur le bien-fondé de vos injonctions à retourner au travail et encore plus sur la manière dont vous le faites. J’attends donc vos lumières sur les raisons valables d’aller, lundi matin, nettoyer des vitres.

Vous observerez par ailleurs que, contrairement à ce que vous avez fait envers nous, je n’ai pas été insultant envers vous.

En attente de votre prompte réponse,

Maxime Besnard

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