Que fera-t-on de cette crise ?
Rien.
C’est leur but, que tout reprenne comme avant : « Comment est-ce que l’on fait pour redémarrer notre économie au lendemain de cette crise ? » s’interroge Bruno Le Maire. Et il nous sert un couplet connu, refrain automatique, répété par lui et les siens depuis des décennies : « Toutes ces mesures sont faites avec une idée très simple : il faut que l’économie puisse redémarrer très fort… Nous avons la capacité de rebondir… Un plan de relance est prévu, et nous y travaillons… pour que, dès que nous serons sortis de la crise, la machine économique redémarre le plus vite possible… »
« Rebondir », « relancer », « redémarrer », « très fort » et « très vite », soit, mais dans quelle direction ? « Il faudra que le pays reparte », nous dit-on encore, mais vers où ? Le sens n’est jamais énoncé, précisé : cette « machine économique » servira-t-elle les hommes, la planète ? Ou mènera-t-elle à notre destruction ? Ne pas poser ces questions, c’est déjà y répondre : que ça reparte, oui, comme avant. Et l’on devine la suite, leur suite, leurs éléments de langage récités en boucle : après ce « choc violent », des « efforts » seront « nécessaires » pour « remonter la pente », point de PIB après point de PIB, il faudra « réduire les déficits ». Les milliards, les centaines de milliards, versés pour que ça « redémarre », pour que ça « relance », pour que ça « rebondisse », nous devrons les payer par des « sacrifices ».
Ce chemin s’annonce douloureux, mais rassurant peut-être, parce que connu : cette autoroute de la pensée, ce boulevard de la politique, nous l’empruntons depuis trente ans. Faisons-leur confiance, alors : pour un retour à l’identique, tel quel, à des nuances près, ils sauront faire. Ils seront les meilleurs, vraiment.
Ou alors, s’ouvre à nous un autre chemin, un sentier à découvrir, incertain : cette crise, c’est un embranchement qui nous est offert, l’occasion d’une bifurcation. Tant qu’à faire. Au point où on en est. Puisqu’on va galérer. Qu’on redonne un sens, une direction, à notre économie, à nos sociétés. Qu’on se prépare pour les prochains soubresauts. Qu’on soit prêts pour le monde d’après.
Car on le pressent.
On le devine.
On le sait, intimement.
Ce Covid-19 n’est qu’un prémisse, une répétition générale, un échauffement avant le réchauffement. Inondations, canicules, tornades, les catastrophes vont se succéder. Les dix plaies d’Égypte seront pour nous : les eaux du fleuve changées en sang et la terre en poussière, les poissons qui périssent et les troupeaux qui se meurent, le pays dévasté par les mouches les sauterelles et les poux, les pustules et les ulcères, la grêle en plein été, la canicule en hiver, trois journées de ténèbres… La nature est déréglée, elle va se venger, elle se venge déjà.
Comment réagirons-nous ?
Par la guerre de tous contre tous ? Par le sauvetage des plus riches, des plus malins, des plus puissants, et par l’oubli, l’agonie des restants ?
Ou par l’entraide, par l’égalité, par la fraternité ? Moins pour tous mais tous pour un ?
La crise apporte à coup sûr le pire, la mort, des morts, mais elle peut amener le meilleur, le renouveau, la renaissance.
C’est dans l’obscurité de la nuit nazie, dans la pire déchéance de la France, que Maurice et les siens ont rédigé « Les Jours heureux ». C’est une crise frumentaire, des disettes dramatiques, le trésor du Royaume à sec, qui ont accouché des cahiers de doléances, puis de la Grande Révolution, d’une secousse d’espérance qui a bouleversé l’Europe et qui continue de nous habiter. C’est la crise de 1929 qui nous a apporté les quarante heures et les congés payés…
Mais la voix passive, « nous a apporté », n’est pas indiquée. Ce sont les Hommes qui font l’histoire. Ce sont les syndicalistes, les militants d’alors, qui ont permis le Front populaire. Cette même crise qui a débouché, en Allemagne, sur le national-socialisme, aux États-Unis sur le New-Deal.
C’est à nous de permettre, pour nous, pour nos enfants, une happy end, dès maintenant, activement.