Pour un statut des « mamans solos » ?

De passage à Cergy, Sanaa me fait rencontrer sa bande de copines, pas mal des mères célibataires, mais pas toujours. Et qui demandent « un statut de la ‘maman solo’, ça devrait exister, comme veuf. » Minis récits de vie.

Amandine : « On a dû arbitrer, ses activités ou mon sourire ? »

Je suis enseignante spécialisée, dans le design, mais là, l’Education nationale, c’est fini fini. Ils ne me reverront plus. Je me suis fait agresser par un jeune, malade, qui souffre de troubles psys. Il m’a soulevée, jetée au sol, et des mois plus tard, il m’en reste encore des séquelles, je souffre quand je marche. Cet accident, il n’est pas arrivé par hasard, ce sont des défaillances en séries, de l’institution, des institutions. Déjà, la place de ce gamin n’était pas là, au milieu des gosses qui ont des troubles de l’attention. Mais comme on manque d’hôpitaux de jour, il était chez nous. Et l’encadrement est totalement démuni face à cette maladie, nous ne sommes pas préparés, il n’y a personne pour s’en charger. Jusqu’à l’agression. Je suis encore traumatisée.

Mais bon, malgré tout, en tant que maman solo, je n’ai pas le droit de m’écrouler. Il faut tenir bon, et je fais une formation pour ma reconversion. C’est pas facile, la gestion du temps, de l’argent : soit pour moi, soit pour mon enfant ? On est toujours dans l’arbitrage. On culpabilise. Le mien, je le conduis au judo et au handball, je reste dans ma voiture pour écouter ma visio. Des fois, quand ça me paraît un cours important, je reste à la maison, mais je me dis : « Je suis une mauvaise mère… »

On a dû choisir : une mutuelle à quel prix ou ses activités ? Du coup, je ne peux pas aller chez le dentiste pour mon sourire. Alors que ça participe d’une perte de confiance.

Najwa : « Les collègues me payaient en tickets-restaurant »

Je travaillais dans la restauration. Je faisais des horaires de dingue, et avec mes trois enfants, c’était difficile. Le dernier établissement, c’était dans le XVIe arrondissement, à Paris. En semaine, on s’était arrangés pour que je sois de journée, mais le week-end, c’était pas possible. Je terminais à une heure du matin, le temps de rentrer… C’était dur, très dur.

Du coup, je suis partie dans la logistique, et c’est là que j’ai eu le déclic. Pendant la pause, je ramenais les petits plats que je me préparais. Et les collègues, ils trouvaient que ça sentait bon, ils demandaient à goûter. Petit à petit, ils m’en ont commandé, ils me payaient en tickets restaus. Et un jour, j’ai dû servir quinze couscous, même le directeur m’en réclamait. C’est là que j’ai pensé à me lancer comme traiteur. On a réfléchi pendant un an, on a trouvé des soutiens, comme Sanaa, et maintenant ça marche !

Mariem : « J’ai perdu des kilos »

Au lycée, une prof m’avait dit : « Toi, de toute façon, tu finiras par balayer les classes. » J’avais grandi avec une absence de confiance. Aussi, dans mon métier, je me définissais comme une exécutante dans l’administratif. Je vivais avec le père de mes quatre enfants. Et puis, il est parti, il m’a laissée avec eux. Là, c’était la cata.

Et puis, je me suis dit : « Tu dois te ressaisir, faut affronter l’avenir, te maintenir debout pour tes petits ». C’est comme ça que j’ai décidé de reprendre un cursus, en alternance. Mais du coup, je suis au Smic, j’ai perdu mille euros. Il n’y a plus d’activités pour les filles, plus de danse au Conservatoire, plus d’alto, plus de théâtre. Et plus de foot pour mon fils.

Les cours, la maison, le boulot… C’est dur. J’ai perdu des kilos. Et on ne sent aucun soutien, ni de l’école, ni de personne, pour nous accompagner dans ce chemin. Au début, dans mon groupe, on était 47, il en reste vingt aujourd’hui. J’espère tenir.

Mon fils m’a dit : « Tu n’es plus avec Papa, tu as perdu ton père, donc moi je me sens responsable de toi. » C’est lui qui s’occupe beaucoup de ses sœurs, qui tient la maison. Ca nuit à ses études, c’est pas normal.

Céline : « Votre enfant dévie… »

Quand arrive l’adolescence, on est un peu démunis. Votre enfant fait des bêtises, une mauvaise rencontre, il dévie… On est seuls et on pleure. On n’est pas armés pour ça, alors qu’on a tracé des choses pour eux. Il décide de faire n’importe quoi, qu’est-ce qui s’est passé ? Comment on l’éloigne du poison des réseaux sociaux ?

Et pourtant, on pourrait se dire : ‘Céline, tu es directrice adjointe d’un établissement, tu sais te débrouiller, tu as des contacts’, mais non. Et c’est tellement une honte, aussi. On n’a pas d’institution pour en discuter, pas d’interlocuteur, ma bouée de sauvetage, c’est Sanaa. Sinon je me noie.

Meriem : « Nous sommes assignés au social »

Quand j’étais lycéenne, je voulais faire experte-comptable. Mais mon prof m’a dit : ‘Tu ne trouveras pas de stage’, parce qu’il faut connaître Untel et Untel. Pour ma grande sœur, c’était une évidence : en tant qu’enfants d’étrangers, il y avait des choses interdites. Mais moi, par naïveté, peut-être parce qu’elle avait ouvert la voie, il n’y avait pas de limite à ma réussite. Je croyais que la vie, ce serait comme l’école : au mérite. Tu travailles, on te félicite. Donc je me suis pris des claques, et j’ai compris : comme nos parents sont ouvriers, nous, notre place, c’est le social. Nous sommes assignés au travail social.
A toutes les étapes de ma carrière, j’ai senti le plafond de verre.

Kheira : « Il m’a demandée de passer auto-entrepreneure… »

Je faisais de la gestion, j’établissais des factures pour une entreprise de sécurité. Le dirigeant m’a demandée de passer en auto-entrepreneure, parce que je coûtais trop cher en charges, en Urssaf. Je me suis tue. ‘Ne vous inquiétez pas, il m’a dit, on se charge de tout.’ Je leur ai donné les documents, et ce sont eux qui m’ont tout fait au tribunal. Ca ne changeait rien, je travaillais sur place quand même, aux mêmes horaires. Sauf que pendant deux mois et demi, il ne m’a pas payée. Il me devait 6 000 €…

J’ai mon loyer à payer, 900 €. Le loyer de ma fille étudiante, qui est en Master de finance, 600 €. Mon Edf, son Edf. Quand elle a réussi son examen, son école à Nantes, elle m’a appelée : « J’ai eu l’Ensia, je veux y aller mais je ne veux pas y aller. Pour t’aider. » Je lui ai ordonné d’y entrer, je me priverais. Parce que je n’ai pas le droit aux APL, aux aides financières, alors il faut serrer le budget. J’ai pris un petit crédit, aussi.

Le souci, maintenant, c’est que je suis dans une société de BTP et qu’ils m’ont mis en burn-out. Le patron m’envoyait au déjeuner avec le chargé d’affaires, pour appâter les clients, le corps de la femme qui devait servir à ça. Mais je refusais, je me mettais en jean baskets. Ca l’a fait rager. Il s’est mis sur mon dos. Toujours des reproches, toujours. Mon médecin m’a dit : « Il faut se mettre en arrêt maladie. » Mais je ne peux pas ! Tenir avec 75% de mon salaire, je ne peux pas !

***

Un quart des familles sont aujourd’hui monoparentales (24% exactement), et dans l’écrasante majorité, ce sont des « mamans solos » (83%). Et à l’évidence, les difficultés sociales sont accrues : le taux de pauvreté des enfants est alors de 40%, le double des mineurs dans la population (20,7%). Un tiers des mères sont sans emploi. Un quart de leurs logements sont surpeuplés. Pour en sortir, des réformes fiscales sont recommandées : que la pension alimentaire (lorsqu’elle est versée…) ne soit pas comptée dans les ressources de la mère. Mais au-delà, c’est à un accompagnement qu’il faudrait œuvrer, pour retrouver une habitation, pour une formation, pour des modes de garde, bref, pour que la séparation ne conduise pas à une chute, voire à la solitude. « Aujourd’hui, c’est débrouille-toi… », conclut Mariem.

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