On a appelé Mélissa sur son lieu de travail, en Normandie.
Derrière elle, sur l’écran Zoom, les rayons de Ricard et de Whisky.
« Quand je suis du matin, je me lève à 4 heures et demie, pour démarrer à 6h. Je fais tout, le nettoyage intérieur, extérieur, les commandes, les réceptions, la gestion, les encaissements… Je suis toute seule, la seule employée, jusqu’à la relève par ma collègue. Et on est là les week-ends aussi.
– Avec votre salaire, comment vous faites ?
– Mon mari gagne sa vie aussi, ça nous fait un peu plus de 3 000 € à nous deux, mais avec nos trois enfants, depuis un an, on ne s’en sort plus. Avant on vivait, maintenant on survit. On travaille pour payer le crédit, les factures.
Alors, avec les collègues, on offre nos services à d’autres stations. On fait des CDD pour avoir des compléments de salaire. Cet été, pendant mes congés, j’ai fait jusqu’à 65h par semaine. Je n’ai pris que deux jours de repos, zéro vacances.
– Et avant, vous partiez en vacances ?
– Ah oui, l’été d’avant, on était partis en Bretagne, même dans un petit hôtel. Maintenant, c’est terminé. Tout a augmenté.
– Vous vous privez sur quoi ?
– Sur tout. Les cafés, les sorties, les restaus, la salle de sport… Mais l’alimentation aussi. J’ai trois grands enfants. Avant j’achetais deux packs de lait, maintenant c’est un un seul pack. Pour le petit déjeuner c’est un verre de lait et un morceau de pain. Fini les Kellogg’s, le bol de céréales.
Et alors, la viande… Un petit poulet, il est passé de 5 € à 9€ ! On n’achète plus de bœuf, plus de viande hachée, plus de rôti, juste des saucisses et des lardons pour avoir un peu de viande.
Le chauffage, on avait déjà réduit il y a un an. Il me fait rire Monsieur Le Maire avec son col roulé : nous, on est déjà à la robe de chambre ! On ne met plus le chauffage électrique. Et pourtant on paie 180 € alors que l’an dernier on payait 110€. Je paie plus cher en utilisant moins !
– Mais vous avez touché à la prime Macron ?
– Rien. On ne touche rien. Même après la crise Covid, alors qu’on travaillait sept jours sur sept, on n’a rien touché. Total a versé 1000 €, mais pour nous, rien. Ils ont donné des cartes cadeaux pour les hôpitaux, mais nous, rien.
– Parce que vous n’êtes pas salariés Total ?
– Non, c’est un franchisé. Les locaux appartiennent à Total, l’essence vient de chez Total, sur nos tenues y a marqué Total, les objectifs de vente sont fixés par Total, même sur les bonbons, on a des objectifs à atteindre… C’est Total partout, sauf sur la fiche de paie.
– Et la grève chez les raffineurs, vous en pensez quoi ?
– C’est juste. Il en faudrait pour tout le monde. Même si ça viendra jamais jusque chez nous. Nous, on est le maillon en bas de la chaîne. Tu crois qu’on va relever notre salaire, toi ? »
Mélissa s’adresse, hors écran, à sa collègue.
Elle tourne son téléphone, Ophélie apparaît, dans sa veste Total.
« On n’a plus le choix, on doit courir après les heures pour éviter les découverts. Moi, entre mon contrat ici et mes CDD dans les autres stations, je travaille environ 15h par jour et tous les week-ends. Et pourtant, il ne nous reste pas grand-chose pour vivre à côté, rien à la fin du mois avec le crédits sur la maison, sur la voiture, les factures, les courses.
Et ici, on n’a pas de treizième mois, pas de Comité d’entreprise. Ça me fait rire quand je les entends raconter qu’on a eu des primes…
Aller travailler jusqu’à 55h par semaine, c’est misérable. C’est injuste et décevant. Alors qu’on est courageuses. »