Où sont les Français, M. Bardella ? Où est la France ?

A chacun ses perversions : j’ai profité des vacances de Noël pour lire Ce que je cherche, l’ouvrage de Jordan Bardella. Il faut connaître ses adversaires, surtout lorsqu’ils seront là pour des années, voire des décennies.

Le Peuple absent

Rien que dans le « Prologue », en six petites pages, le mot « politique » apparaît dix-huit fois : « La politique est entrée dans ma vie », « la politique engloutit toute mon existence », « on entre en politique comme en religion »…

Je le déplorais déjà, y compris pour des collègues de gauche : c’est un souci, d’entrer si jeune dans les partis, de n’avoir connu que ça, sans vie auparavant, comme permanent puis comme élu, « apparatchik » dès la sortie des études, ici avant même les études. Et de fait, au long de cette autobiographie, c’est à peine si le vaste monde apparaît. L’auteur se replie sur un petit monde : celui des médias dont il est friand (un chapitre est consacré à sa première interview chez Jean-Jacques Bourdin, un autre à ses ennemis de Complément d’Enquête et de Libération, un autre à son débat télévisé avec Gabriel Attal), celui du chef de l’Etat (un chapitre pour une conversation téléphonique avec Emmanuel Macron, un autre pour les « rencontres de Saint-Denis », une fascination), et surtout, celui des élections, des manœuvres, dans les bureaux du RN, dans les restaurants des beaux quartiers, les dîners, les déjeuners… Rien qui ne sorte de la politique, ni littérature ni peinture, ni sport ni musique, ni chanson ni passion, ni amitiés ni piété, le grand vide.

Avec audace, lui prône « la politique qui confronte au réel »… mais c’est justement ce réel qui est quasi absent de son livre ! Lui rend hommage à « une France travailleuse qui œuvre à bas bruit et qui n’a pas de relais »… mais cette France travailleuse ne trouvera pas de relais dans ses pages : elle en est presque exclue. Ainsi, note-t-il que, à l’automne 2018, « la France s’apprête à faire face à la crise des Gilets jaunes »… mais nous n’en rencontrerons aucun !
« La politique m’a fait découvrir la France comme je ne l’avais jamais vue », affirme-t-il. Mais on devine comment : à bord de TGV, dans un convoi de voitures, entouré par les collaborateurs, par les caméras, par les micros, enchaînant les selfies.
Il faut attendre la moitié du livre, la page 155, pour découvrir le premier dialogue avec des Français, triés sur le volet : « de jeunes dealers de Clichy-Montfermeil au pied d’une tour située à proximité du commissariat de police. » Avec cet échange :
« Tu distribues pour qui ?
-Marine Le Pen.
-T’es plutôt courageux de venir ici. Elle ou un autre, ça ne changera rien…
-C’est quoi ton avenir ? Tu ne vas quand même pas dealer toute ta vie ?
-J’en sais rien… Si ça devient trop chiant, j’irai peut-être en Syrie. Mes potes sont partis là-bas…
 »
Dans cette banlieue, dans « sa » Seine-Saint-Denis, nous ne rencontrons ni cariste ni auxiliaire de vie. Dans tout l’ouvrage, il n’y aura pas un mot d’un soignant, ni d’un enseignant. Lui veut « protéger le travail », prétend-il, « valoriser le travail », « s’élever par le travail », mais il n’y a rien, ou pas loin, sur les travailleuses, les travailleurs. Rien sur les femmes, les hommes, qui tiennent le pays debout. A peine un agriculteur est-il évoqué, qui se plaint de la « paperasse ». Et un ouvrier, « Stéphane » de la papeterie Arjowiggins, dans la Sarthe, en liquidation judiciaire. C’est la seule et unique visite du jeune leader dans une usine désaffectée, délocalisée. Aussi, devant ce « désarroi », est-il prêt à « une nationalisation temporaire », à une « intervention exceptionnelle de l’Etat », entorse à son programme anti-étatique. Hormis cela, le Peuple n’est présent qu’en toile de fond, en paysage. Les vrais rôles sont réservés aux grands personnages : Marine Le Pen, lui-même, et leurs collègues du RN (Kevin Pfeiffer, Alexandre Loubet, etc.).

Cette déconnection entre les politiques et le réel, lui en a trouvé la cause : « La fin du cumul des mandats voulue par François Hollande a été une erreur. » Voilà un dirigeant moderne, un enfant du XXIème siècle, prêt à renouveler la démocratie…

Les deux Frances

La terre, Jordan Bardella la connaît peu, mais elle ne ment pas. C’est la vraie France, éternelle, celle des prés et des clochers, que la Ville vient perturber : « Nos campagnes sont aujourd’hui menacées, en proie à l’exode urbain qui engendre un nombre croissant de plaintes pour « nuisances sonores ». » Voilà, la grande menace ! Le chant du coq que les citadins font taire. Une anecdote qu’il aura entendue à la radio…

Dans le Médoc, il échange avec un éleveur bovin : « On a donné des milliards aux villes et aux banlieues. Pourquoi nous n’avons rien ? » Et lui vient appuyer, confirmer : « A la découverte de ces coins de France oubliés, je me suis sans cesse interrogé. Ne valait-il pas mieux avoir vingt ans à Saint-Denis plutôt qu’à Guéret dans la Creuse ? » Il renforce ce conflit : en banlieue, c’est « l’école gratuite, les services publics, les logements sociaux à loyer modéré, les cafés ouverts tard le soir, le supermarché à proximité : le décor est planté pour une vie où rien ne fait défaut. Là où les investissements ont été les plus massifs, les niveaux de criminalité atteignent des records. » Et de les opposer à « l’autre jeunesse française, celle qui grandit dans le Cantal ou dans l’Ardèche, qui a connu l’isolement, les écoles et les hôpitaux qui ferment, les longs trajets pour se rendre à une consultation médicale, les gares où les trains ne s’arrêtent plus. Dans ces zones rurales, il est pourtant rare de voir des bandes de jeunes s’en prendre au mobilier urbain, incendier nos véhicules ou défier des forces de l’ordre. »

C’est faux. C’est factuellement faux. La Seine-Saint-Denis est classé « désert médical avancé ». Le 7e pire département, à égalité avec l’Ain, l’Aisne, le Cher, l’Eure. Les établissements scolaires y sont en grosse galère, avec des profs souvent peu expérimentés, non remplacés, des élèves sans enseignant durant des semaines ou des mois. Ce département, et même après l’héritage des Jeux Olympiques, demeure sous-doté en gymnases, piscines, stades, équipements sportifs. Les logements y sont délabrés, après des années sans investissement (c’est dans ce budget qu’Emmanuel Macron a le plus sabré).

J’avais découvert avec soulagement, quand il est paru, en 2004, L’Atlas des fractures géographiques, de Christophe Noyé et Christophe Guilluy. Eux éclairaient ce que, dans ma Picardie, j’observais : la « France périphérique », comme ils l’appelaient, l’éloignement des ouvriers et employés dans les villages, pour cause de loyer moins élevé, de l’attrait du pavillon, ou des cités que l’on fuit. Et puis, à partir de 2010, de Fractures françaises, Guilluy a opposé quartiers et campagnes, a considéré les premiers comme presque privilégiés comparés aux secondes : une proximité de la capitale et donc du capital, avec des retombées politiques, médiatiques, économiques… C’est une opposition que, d’emblée, dès ma lecture, il y a quinze ans maintenant, j’ai récusé : fallait-il nourrir une concurrence, au sein des classes populaires ? Les « ruraux » souffrent, il est vrai, d’un éloignement, pour les études, le pouvoir, les  emplois, les loisirs. Mais les quartiers ont droit au mal logement, à la concentration des misères, à l’assignation à résidence, aux discriminations. C’est un concours ? On doit évaluer, classer, pour qui c’est le pire ?

Dès lors, j’ai fait le choix de réunir, de regarder le commun, de réconcilier – résumé par une formule, « France des bourgs et des tours », etc. Jusqu’à me fâcher franchement avec ma famille politique, quand elle a fait du Guilluy à l’envers : « la priorité pour la jeunesse et les quartiers populaires » qui implique, pour « le reste », de « laisser tomber ». 

Quant à Jordan Bardella, il n’est pas simplement hémiplégique. C’est bien pire : les habitants des banlieues, parce que « immigrés », se voient interdits de citoyenneté, et presque d’humanité, réduits à des « bandits », des « enclaves étrangères », avec une « situation de guerre ».

(Je le mentionne, pour la forme : autant le pays serait, presque, en « situation de guerre », divisés entre les campagnes et les quartiers, entre les Français et les immigrés, autant il n’y a pas l’ombre d’une lutte, d’un conflit avec la grande bourgeoisie, le capital, les grandes fortunes. Les dividendes, les profits, les inégalités, la répartition des richesses, ces mots ne figurent pas, pas une seule fois, dans les 316 pages de l’ouvrage. Rien, non plus, sur la fiscalité des patrimoines, des flux financiers. C’est dire le rôle historique que viendrait remplir un gouvernement Bardella, une présidence Le Pen, quant à la question économique, sociale : ne rien changer, continuer comme avant, comme depuis cinquante. Et c’est d’ailleurs, il le rappelle, en compagnie d’Eric Ciotti, issu de la droite libérale, qu’il fut entendu par le « président du Medef, Patrick Martin, qui souhaite auditionner les différents prétendants au poste de Premier ministre ». Afin de rassurer, d’assurer les patrons que son projet n’a rien de « dangereux ». Pas dangereux pour eux.)

Les Iolanda d’aujourd’hui

Tout comme il y a deux Frances, il y a une bonne et une mauvaise immigration. La bonne, c’était celle de ses grands-parents, maternels, « fuyant une Italie du Nord devenue trop rude ». Nous sommes en 1963, et l’Italie n’est alors ni fasciste ni en conflit. Et l’Italie du Nord, industrielle, industrieuse, connaît une époque plutôt prospère. Eux profitent de l’accord franco-italien sur la main d’œuvre, et je suis heureux qu’ils aient trouvé, chez nous, près de Paris, une terre où vivre mieux. Mais on est loin d’autres réfugiés qui traversent les déserts et les mers, qui échappent à la misère et à la guerre. « Un logement les attendait à leur arrivée », sommaire, « une chambre, une bassine en guise de salle de bains, et des toilettes communes dans la cour ». Six années plus tard, ils accèdent à « un immeuble offrant le confort moderne ». Aussitôt ou presque, ils sont embauchés, elle comme « fleuriste », lui comme « ouvrier de chantier ». Malheureusement, lui décède, elle obtient « la nationalité française et intègre la fonction publique ». Ils ont travaillé dur, et en échange, notre pays leur a offert une habitation correcte, un emploi stable, des papiers en règle… Leur petit-fils, président du Rassemblement national, se montre en empathie avec ces immigrés.

Mais pour les suivants, il en fait moins preuve : c’est la mauvaise immigration. A seize ans, au lycée, il est recruté par une association, Alfaccueil pour « enseigner notre langue à des étrangers en quête d’intégration. Je vais y consacrer deux heures les lundis et jeudis, de 20 heures à 22 heures. » Face à lui, « des travailleurs du bâtiment et de la restauration qui, pour la plupart, ne parlent pas un mot de français. Les visages de ces Pakistanais, Afghans, Africains de l’ouest ont tous l’air perdu… Mes élèves sont des salariés épuisés par des journées entières de travail. La plupart d’entre eux vivent entassés à cinq ou dix dans de sordides appartements de 20 ou 30 mètres carrés, loués par des marchands de sommeil. »
On croirait un plaidoyer. Après telle description, en effet, lui pourrait plaider pour un meilleur accueil : puisqu’ils produisent, puisqu’ils apportent à la Nation, eux mériteraient un habitat digne. Des permis de circuler, de travailler, sans se cacher. Un salaire, des horaires normales, pas exploités. Et même un enseignement du français plus encadré, plus professionnel, plutôt que par des jeunes sympathiques, mais inexpérimentés…

Jordan Bardella en tire la conclusion inverse : « Comment espérer s’intégrer et faire corps avec notre société sans maîtriser les rudiments de notre langue ? Les décideurs de nos politiques migratoires font venir des populations du bout du monde sans jamais se soucier des perspectives d’assimilation. » Dans ces immigrés, il ne reconnaît pas le parcours de ses grands-parents, mais au contraire : leur contraire. Et il achève par une condamnation : « Leurs progrès dans l’apprentissage du français sont minimes, voire parfois inexistants. Certains désertaient les cours, mais tous étaient reconnaissants. J’ai réalisé à quel point il était difficile de concilier des univers culturels qui semblaient si éloignés. Si l’intégration de Iolanda et Severino a si bien fonctionné, c’est qu’elle était européenne. » Et d’ajouter, après un passage sur « la culture islamique en terre laïque » : « L’intégration noblement incarnée par mes grands-parents semble antédiluvienne. »
Voilà des hommes et des femmes de bonne volonté, qui travaillent dur, qui survivent entassés, qui prennent des cours de français, mais malgré leurs efforts ils sont exclus. Repoussés. Inassimilables. Par essence. Jamais ni eux, ni leurs enfants, ne seront vraiment français.
Nous sommes habités de la conviction inverse : qu’avec le travail, la langue, le logement, la sainte-trinité de l’accueil, nous pouvons encore et toujours intégrer les Iolanda et Severino d’aujourd’hui. Qu’avec l’école, aussi, gratuite, obligatoire et laïque, l’école pilier de la République, nous pouvons fabriquer des citoyens, des Français. Que, profondément, Jordan Bardella tourne le dos à l’histoire, à sa propre histoire familiale, mais à notre histoire aussi, à l’Histoire de France.

Son histoire cachée

De l’histoire, d’ailleurs, l’auteur en parsème dans tous ses chapitres : des pincées « de Clémenceau, Jaurès et de Gaulle », une cuillérée de Jeanne d’Arc, « l’histoire de France me fascine dans sa continuité ».
Lui cite L’Etrange défaite, de Marc Bloch : « Il est deux catégories de Français qui ne comprendront jamais l’histoire de France : ceux qui refusent de vibrer au sacre de Reims ; ceux qui lisent sans émotion le récit de la Fête de la Fédération. » Mais la Révolution, justement, la grande Révolution française, source de notre République, souffle de notre démocratie, cette flamme de Liberté qui a embrasé l’Europe, cette lueur d’Egalité qui deux siècles durant a illuminé le monde, cette Révolution, jamais Jordan Bardella ne la mentionne. Il célèbre plutôt les « spectacles du Puy du Fou en Vendée [qui] illustrent parfaitement le génie français, son âme et sa vocation universelle ».

Lui s’en prend ainsi à la cérémonie d’ouverture des Jeux Olympiques, avec « l’idéologie woke érigée en contre-religion… Pour les wokistes, l’histoire de France est un long défilé de colonisateurs qui n’auraient cessé de piller les autres civilisations… Le wokisme voit de l’oppression, de la domination et de la discrimination dans les moindres recoins des sociétés occidentales… On ne saurait se faire respecter quand on adopte une posture de repentance exploitée comme une faiblesse par le reste du monde… Aucun pays ne réussit en se reniant, aucun pays ne compte en effaçant ses racines. » Mais à l’inverse, lui n’aperçoit, dans notre passé, nul colonisateur, nul esclavage : « Être français est un acte d’amour pour une civilisation qui n’aura jamais cessé d’étonner le monde. » Comme si cette civilisation n’avait pas, aussi, opprimé, dominé, discriminé. Comme si affronter sa part d’ombre, regarder ses blessures en face, sans amnésie, ne grandissait pas aussi. « Connaître sa honte, soutenir sa gloire », recommandait Lao-Tseu. Un adage que je fais pleinement mien.

Mais l’histoire que le président du Rassemblement national ignore le mieux, qu’il choisit d’ignorer, c’est la sienne : celle de son mouvement. Quand il s’engage à seize ans, reconnaît-il, « j’ignore tout de son histoire, de ses fondateurs et même de Jean-Marie Le Pen. » Ces lacunes, il ne semble pas pressé de les combler : le FN étant devenu RN, par la magie d’un changement de nom, par le passage du père à la fille, puis de son exclusion, quarante-six années seraient effacées. Pas de « continuité » dans l’histoire, ici, au contraire le miracle d’une rupture qui du passé fait table rasse. Et qui autorise, même, une réécriture. Eux seraient « les héritiers de Pétain », comme l’affirmait Elisabeth Borne ? « Cela relève du mensonge historique le plus grossier. » Et d’ajouter : « C’est également un comble pour celle qui fit ses classes en politique au Parti socialiste, héritier direct de la Section française de l’internationale ouvrière dont les députés accordèrent les pleins pouvoirs au maréchal Pétain le 10 juillet 1940. » Pour mémoire, et sans gloire : en l’absence des communistes, emprisonnés, en proportion, ce sont les socialistes qui ont le moins approuvé cet abandon, par 90 « oui » sur 163 parlementaires. Bien moins que les groupes du centre, de droite, ou très à droite.
Surtout, quel culot ! Car oui, Jordan Bardella est bien l’héritier d’un parti fondé en 1972, par Pierre Bousquet, ancien Waffen-SS et premier trésorier, par Léon Gaultier, également ancien Waffen-SS, par Roger Holeindre, engagé dans l’Organisation de l’armée secrète.
Ces origines, non seulement son dirigeant les dénie, les renie. Mais il fait tout pour les déguiser, semant comme des petits cailloux au fil des pages : comme chanteur, il choisit l’Arménien Aznavour, complice (modeste) des Manouchian, des « terroristes » de l’Affiche rouge, ces métèques aux « noms imprononçables ». Et quels sont « les grands discours politiques » pour lesquels « je me suis passionné dès mon adolescence » ? « De Gaulle, son appel à la Résistance dès juin 1940… André Malraux, incliné devant les cendres de Jean Moulin… » et jusqu’à « l’entêtement de Victor Hugo à abolir la peine de mort ». Et de citer, on l’a dit, l’historien juif et résistant Marc Bloch, arrêté, torturé, assassiné par la Gestapo.
Tant d’efforts, tant d’efforts pour se rétablir encore du bon côté. Et quand Jean-Marie Le Pen décède, le masque tombe de nouveau. Jordan Bardella honore « le serviteur de la France » et le « tribun », et reste silencieux sur le parcours du fondateur : tortionnaire en Algérie, antisémite notoire et condamné pour ça.

L’écrivain Raphaël Llorca vient, à son tour, de publier une recension critique de Ce que je cherche. Qu’il conclue ainsi : « Les failles du bardellisme s’exposent au su et au vu de tous, avec, à terme, le risque de voir ses inconséquences, pour ne pas dire son insignifiance, lui exploser à la figure. Car c’est peut-être là qu’est la véritable révélation du livre. En voulant lever le voile, Jordan Bardella nous a exposés à la persistance de son vide. […] Qu’il semble loin, dès lors, le temps où le mouvement nationaliste pouvait s’enorgueillir de s’appuyer sur une doctrine, des auteurs, un corpus de pensée. Citer Napoléon en exergue (« Ce que je cherche avant tout, c’est la grandeur : ce qui est grand est toujours beau ») ne suffit pas à masquer la rupture profonde que Bardella introduit dans la tradition politique dont il se veut le porteur. »

Mais justement, ses « failles » supposées sont sans doute sa force. 312 pages lisses, certes, de « vide », d’ « insignifiance ». Mais qui cache quoi ? Un projet. Et c’est ce vide qu’il nous faut remplir, cette insignifiance qu’il nous faut signifier.

Face à cette volonté de tout « lisser », à cette insignifiance, notre force, en face, c’est le surgissement permanent du réel, de la vie entre deux selfies.

Le réel de l’histoire, l’héritage du Front national, nous l’avons dit.

Mais le réel aussi de son histoire récente, ses liens avec le fric, les financements étrangers, les abus de biens sociaux, les détournements de fonds publics. Le procès Le Pen-RN nous donne une opportunité : « Tête haute, mains propres », ça ne l’a jamais été mais là, le clou peut être enfoncé.

Le réel des votes de cette formation politique, à l’Assemblée comme à Bruxelles : « contre » la mise en place de salaires minimums en Europe, « contre » l’encadrement de la rémunération des stagiaires, « pour » le report du règlement visant à lutter contre la déforestation importée, « abstention » sur le droit à l’avortement dans la Charte des droits fondamentaux, « contre » un texte visant à réprimer le harcèlement sexuel, « contre » une directive hostile aux discriminations, « abstention » sur un plan d’action pour l’égalité entre les hommes et les femmes, « contre » une résolution sur les violations de l’état de droit et des droits fondamentaux en Hongrie, etc.
C’est un chapitre, parmi d’autres, que Jordan Bardella a oublié dans son livre.

Surtout, l’os face à Bardella : le réel de la vie, du pays, contre leur idéologie. Au fond le RN fonctionne comme les libéraux, par grands concepts, des dogmes plaqués sur la réalité, pour faire peur : à la place de la « dette », le « déficit », « le coût du travail », c’est « l’assistanat », « l’immigration », « l’islam ». Qu’on lui oppose, avant tout, des récits, des voix, des vies, des visages, de toute un peuple qui, par ses mariages, par son travail commun, par ses amitiés au lycée, etc, ne se prépare pas à la « guerre civile ». Mais qui, au contraire, n’aspire, n’espère qu’une chose : faire ensemble. Faire France ensemble, une France grande, belle, ambitieuse, juste et fière. Seul ce projet commun, ce projet partagé, tirant vers le haut, nous sortira de l’ornière.

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