Un samedi soir à Bollaert : la colère du kop

Ce samedi-là à Bollaert, à la mi-temps, la sécurité a expulsé des supporters. C'est triste, qu'on en soit là : à vouloir, ici aussi, que le peuple rentre dans le rang.

Ca faisait des années que je n’étais pas allé à Lens, un goût d’enfance, souvenir d’enfance, d’adolescence. Parce que c’est la croix et la bannière pour choper des billets. Guillaume, le président de Picardie debout !, habitué des tribunes, s’en est chargé : il faut surveiller le site du club, bondir sur le clavier et la carte bancaire, en un quart d’heure tout part, pire qu’un Black Friday.

Bollaert, on y va pour le public, d’abord, pour la communion.

Dans Les Russkofs, envoyé au Travail obligatoire en Allemagne, en 1943, François Cavanna est envoûté par les chants des femmes russes, par ces immenses chorales, leur langue mystérieuse, leur douceur, leur tristesse, par ces refrains entonnés toutes ensemble, dans la nuit, avec espoir et mélancolie. Quand on entre dans le temple des Sang et Or, quand résonne la Lensoise, et les Corons à la mi-temps, il y a de cela, aussi, de l’espoir et de la mélancolie, de la force qu’on se donne, bien au-delà du football, un pays, un peuple qui se veut fier, encore, malgré tout, qui s’appuie sur son passé, qui le maintient comme une identité. Même si les casques de mineurs se font rares, dans le public (Guillaume porte l’un des derniers).

C’est du kop, de la tribune Marek, que partent les chants, écharpes brandies et tournoyantes. Eux sont debout, rarement assis, dansant, criant, en une communion qui fait envie. Mais les places, là-bas, ne se libèrent jamais, occupées à jamais par les ultras. En face, il y a les tribunes VIP, avec – on le devine – des petits salons, en intérieur. Pas de ola, pas de chants ici. Ca me semble une métaphore de la vie : ils ont le champagne, mais les riches s’emmerdent. Tandis qu’en face, dans le populaire, y a de la joie. De la colère aussi.

Car le kop déploie un immense tifo : « Votre gestion enrage les tribunes » C’est que la Ligue se vend aux plus offrants, aux chaînes de télé, et qu’elle décale les matches le vendredi soir, pour étaler le spectacle sur tout le week-end. Au détriment des supporters, pour qui le samedi est le jour du foot, qui prend l’après-midi, la soirée. L’argent, ici aussi, l’emporte sur les gens. Comme plein de députés, j’ai signé une protestation contre ça.

A la douzième minute, venant de Marek, des projectiles sont lancés sur la pelouse. Des balles de tennis, ou des pommes (de loin on ne voit pas bien). Le match est arrêté, temporairement. Et le speaker prévient : « Si ça se reproduit, le match sera arrêté définitivement. » Mais ça ne se reproduira pas. Et pas un fumigène ne sera jeté sur le terrain.

Dans les dix dernières minutes, le kop s’en va. Il se passe quoi ? On ne comprend pas. Ils quittent le stade. Bon, d’accord, Lens perd 2-1 (contre Nantes, au fait), et niveau jeu, c’est bof bof, mais on les a vus en D2, on a assisté à des naufrages, avec des supporters toujours là par dizaines de milliers.

On ne comprend qu’après.

La rumeur qui apporte la réponse.

La sécurité a expulsé les spectateurs qui, en première mi-temps, ont jeté des balles et/ou des pommes. Du coup, le kop a quitté le stade, en solidarité avec leurs camarades. Je trouve ça beau. Un peu triste, aussi : ils ont raté les dix minutes palpitantes, Lens qui égalise, puis Lens qui l’emporte sur le fil (sur un but de poussin…). C’est triste, surtout, qu’on en soit là : à réprimer le geste le plus innocent, le plus inoffensif. A vouloir, ici aussi, que le peuple rentre dans le rang.

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