“Le changement de sexe, ce n’est pas une mode”

"Ceux qui vont jusqu’au changement de sexe, ils ne font jamais demi-tour. Ce n’est pas une mode : c’est une souffrance, et la médecine y apporte un soulagement." En visite au réseau "Transidentités" du CHU d'Amiens, entretien avec Cécile Manaouil, cheffe du service « médecine légale ».

A l’invitation du professeur Jardé, ancien député (de droite, mais on s’en fiche), je rendais visite, ce vendredi, au réseau « Transidentités » du CHU d’Amiens. Entretien avec Cécile Manaouil, cheffe du service « médecine légale », et également professeur en droit de la santé.

« On a tous les âges. Parfois des enfants, qui rentrent dans notre parcours par la pédopsychiatrie : ils ont des problèmes à l’école, on se moque d’eux… On leur pose des questions à partir de la ‘Licorne du genre’ : sur qui ils se sentent, sur leur présentation, sur leurs attirances… Mais on en voit arriver, à quarante ans aussi, parce que c’est mieux accepté aujourd’hui : jusque-là, une ou deux heures par jour, quand le conjoint était parti, ils s’habillaient dans leur propre genre… Et jusqu’à une presque retraitée, une infirmière libérale, qui est venue pour changer de sexe : ‘Mes enfants sont partis, mon père est mort, je veux terminer ma vie dans mon vrai corps.’

– Mais la plupart, ça reste des adolescents ?

– Il est certain que, à cet âge-là, la question du genre se pose avec plus d’acuité. Même si c’était déjà présent avant : ce sont personnes nées filles et qui font pipi dans un entonnoir. Ou alors, des petits garçons qui veulent absolument entrer dans les vestiaires des filles. Mais avec leur développement, avec le changement de leur corps, la dissonance avec leur apparence se renforce, leur souffrance avec. Je veux que l’on comprenne bien ça : leur dysphorie fait souffrir. C’est pour eux, pour elles, un parcours du combattant : il faut le comprendre soi-même, se l’avouer, le dire à sa famille, à ses parents, souvent subir des moqueries, des injures. Au travail aussi, j’en ai vu qui ont perdu leur boulot.


L’adolescence, donc, c’est le moment où on peut intervenir, sans rien de lourd, notamment avec les bloqueurs de puberté. Comme leur nom l’indique, ça bloque les hormones. Le retour en arrière est toujours possible. Avant seize ans, il faut l’accord des deux parents. L’étape suivante, c’est de délivrer des hormones, masculines ou féminines. Et enfin vient la chirurgie. »

C’est le professeur Raphaël Sinna, qui s’en charge : « Ceux qui vont jusqu’à la chirurgie, ils ne font jamais demi-tour. Sur les centaines de personnes que j’ai opérées, en huit ans, aucune n’est venue se plaindre qu’elle s’était trompée. D’après les études, moins de 1% regrettent. Et surtout, ces enquêtes montrent que les gens vont mieux après. Ce n’est pas une mode : c’est une souffrance, et la médecine y apporte un soulagement. Et de toute façon, ils ont le temps d’y réfléchir : le torse, mon agenda est plein pendant deux ans. Le pénis, jusqu’en 2027.

La plupart ne vont pas tout faire. Le plus souvent, on en reste au haut, aux seins. A enlever chez les uns, à créer chez les autres. Le haut parce que, pour passer en société, pour que l’apparence colle avec l’identité, c’est le plus important : le bas, on ne regarde pas, ou moins. On va avoir une chirurgie de la mâchoire, aussi. Et de l’orthophonie pour changer la voix. »

Autant la professeure Manaouil nous avait préparé l’enfantine « Licorne du genre », autant le professeur Sinna nous offre des images plus crues. « Je vous montre tout ? » Allez, on y va. Sur les torses en photo, des traits au feutre, là où la matière sera ôtée, ou rajoutée. « J’en profite pour leur faire des pectoraux, et en évitant la salle de sport ! » Viennent des clichés de vagins, de pénis découpés… « Là, j’ai fait une autre intervention, une métaïdoplastie, pour que la personne puisse faire pipi debout… Là, j’ai inventé ça, j’ai pris le gland, je l’ai remis au fond, pour faire un clitoris, et autour j’ai mis la peau du pénis, pour que la personne éprouve du plaisir durant la pénétration.
– Vous aviez appris ça, en école de médecine ?
– Non non, mais on bricole. C’est pour ça que j’aime cette chirurgie. Le reste, bof, on connaît, je ne dis pas qu’on peut faire les yeux fermés, mais bon. Tandis que là, c’est une aventure, avec beaucoup à inventer. »


« Je fais au mieux, si on peut rendre des gens plus heureux. Parce que, avant qu’ils n’arrivent sur ma table d’opération, ces personnes ont enduré des années de souffrance, des traumatismes, toujours, parfois des violences. »

J’étais, ce soir-là, accompagné de Lynda, militante Picardie debout et directrice du centre de loisirs Saint-Pierre, à Amiens : « Je me souviens d’un petit enfant, de six ans, en camping, il allait direct dans les tentes des filles : ‘Bah non, tu ne peux pas.’ Je l’ai suivi pendant dix ans, ce gamin, malheureux, ça n’allait pas avec sa famille. Et là, il est venu me revoir, ou plutôt elle, il était devenu une fille, et elle m’a dit : ‘Tu sais, Lynda, je vais mieux.’ »

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