« Au refuge, j’ai enfin trouvé un lieu où je ne suis plus un intrus »

"J'ai toujours peur de sortir. Même en plein jour, je ne me sens pas au sécurité. Mais au Refuge, j'habite un appartemment où, enfin, je ne suis plus un intrus." Au Refuge de Paris, j'ai rencontré Ambre, 21 ans, personne trans passée par « l’enfer des foyers ».

Au Sénat, les Républicains ont déposé une proposition de loi « sur la prise en charge des mineurs en questionnement de genre ». A l’Assemblée c’est le groupe RN, qui a dégainé sa version, « visant à protéger les mineurs » en matière de « transition de genre ». Dans les kiosques et les médias, c’est le livre Transmania contre « l’idéologie trans », qui défraie la chronique.

Alors, chez les personnes concernées, la crainte, après quelques avancées, d’un grand backlash politique, médiatique. Les associations appellent à une mobilisation, partout en France, ce dimanche. Redisons-le : notre objectif, comme humanistes, est de lever tous les obstacles au bonheur. Que ces obstacles s’appellent « le frigo vide » ou « le genre assigné ».

Parce que derrière les grands mots, les grands concepts, il y a des vies. Des vies marquées par des traumatismes, de la violence, des discriminations, des humiliations. Des vies qui se battent pour leur part de bonheur, pour leur reconnaissance. Des vies qui méritent toute notre attention. Des vies comme celle d’Ambre, 21 ans, rencontrée Au Refuge, à Paris.

« Je suis née assignée homme, mais depuis toujours, j’étais un petit garçon très efféminé. Je dansais sur Pokerface ! Heureusement, ma famille d’accueil, ils étaient très sympathiques, très bienveillants, et ils ont flairé que j’étais queer très rapidement, sans doute dès mes quatre ans. Les soucis sont venus après. On m’a remis chez mes parents, mais c’était très compliqué, ils n’étaient pas aptes à s’occuper de nous. Donc je suis retournée dans un foyer d’urgence, où j’ai connu la violence des jeunes caïds, les violences entre eux, contre eux-mêmes, contre moi. C’étaient dur, des années traumatisantes. Alors, on m’a exfiltrée vers un lieu de vie, plus tranquille. Mais à 18 ans, l’Etat m’a refusée le Contrat Jeune Majeur. Du coup, c’était dehors : l’Aide Sociale à l’Enfance m’a renvoyée chez mes parents. Le choc.

Eux avaient déjà découvert, vers mes 14 ans, que j’avais un petit ami. C’était une expérience brutale, pour eux et pour moi. Et de mon côté, grâce à une influenceuse américaine, j’avais mis un mot sur ce que j’étais, sur ma transidentité. Et ça, ma famille ne l’acceptait pas.

L’ambiance dans l’appartement était terrifiante. Ça allait se terminer par une mort, je le sentais, la mienne : soit ils allaient me tuer, soit je me tuerais toute seule. Donc un soir, je suis passée par la fenêtre de ma chambre, au 4e étage, j’ai jeté mes valises en bas, et j’ai fait un numéro digne d’une acrobate, façon Cirque du Soleil. La voisine du dessous s’est montrée très compréhensive, elle m’a conduit à la gare, d’où j’ai pris le train pour Paris. Je suis restée deux semaines à la gare de Lyon, avec mes affaires, en SDF, à économiser quelques sous pour squatter le MacDo en face. La rue, quoi, avec des violences. Je ne veux pas en parler. Et puis, une personne que je connaissais par Internet m’a dit : ‘Tu ne peux pas rester comme ça ! Viens chez moi !’ Et c’est comme ça que, de canapé en canapé, je suis arrivé ici, au Refuge. J’habite un appartement où, enfin, je ne suis plus un intrus. Parce que chez les autres, tu déranges toujours, tu marches sur des œufs.

Être chez soi, quelle tranquillité ! En revanche, j’ai peur de sortir. Le quartier, Porte de Vanves, ça craint. Je me prends des insultes en journée : ‘travelot, pédé…’, même en plein jour, je ne me sens pas en sécurité. Alors le soir, je n’essaie pas. C’est comme ça, on vit avec ça, avec cette menace. Se faire cracher dessus, se faire taper, ça arrive, on le sait, et moi par exemple, je marche vite parce que je me suis déjà fait courser.
J’ai entamé mes démarches pour changer mon état civil parce que, depuis toujours, depuis que je suis petite, quand je joue, je m’appelle ‘Ambre’. Mais bon, comme ça passe devant le tribunal, il faut un avocat. Le Refuge facilite, ils ont le contact, ils connaissent le chemin.

Sur le plan médical, j’avais déjà entamé ma transition. Après des recherches acharnées, j’ai trouvé un endocrinologue qui m’a donnée du gel d’oestrogène, c’est la version la moins risquée, mais mes taux hormonaux ne sont pas bons. Je n’avais aucun changement, juste de l’acné. Arrivée sur Paris, on me dit : ‘Il y a des injections’. Pour les femmes trans, c’est illégal, alors que c’est gratuit pour les hommes trans, va comprendre ! Bref, on m’en procure, et je m’en injecte toute seule. Ma médecin est au courant, et 100% OK avec ça.

Je recherche du travail, mais pour l’instant, léger. D’abord, quand j’ai travaillé chez Zara, c’étaient plein de questions de mon tuteur : ‘Est-ce que tu es déjà opérée ? Tu vas te faire opérer ? Etc.’ Je ne lui parle pas, moi, de ce qu’il a dans le caleçon ! Surtout, il faut être bien pour travailler. Moi, dans ma tête, c’est wouh, le grand huit. J’ai vécu tellement de choses, accumulé tellement de violences, de souffrances, j’ai tenu devant l’urgence, mais maintenant que je suis au calme, c’est comme si mon corps se relâchait. La psychologue du Refuge est super bien, je discute avec elle, et après on verra…

Comme loisir, je fais du voguing-queer. Tu ne connais pas ? C’est une danse, qui date des années 70, qui reprend les Unes de Vogue, pour se moquer des codes de genre. Je fais drag-queen, aussi, je suis une baby drag, accompagnée par une maman drag, qui me forme au maquillage, à l’art de la scène. J’en fais un stand-up politique. On s’amuse trop bien ! Faut venir nous voir ! »

Je n’ai pas encore trouvé le temps de venir voir Ambre en stand-up. Peut être qu’on se croisera dimanche, à Paris ou lundi à Amiens pour les droits LGBT, contre la transphobie.

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