« Il ne faut pas se laisser prendre à des mises en scène, qui ne sont pas des récits historiques mais de la propagande. Le refus du commandant du Gross Paris de détruire Paris est de la fiction ! Les choses sont beaucoup plus simples : il n’avait plus les moyens de le faire. »
C’est mon ami Maurice Kriegel-Valrimont qui s’exprimait ainsi: la Libération de Paris fut une insurrection populaire. Mais qu’il fallait taire, ou presque. Pour défendre cette « vérité historique », il avait d’ailleurs publié un livre, sobrement intitulé La Libération – Les archives du Comac (mai-août 1944), aux éditions de Minuit : documents à l’appui, Paris ne fut pas sauvé par la clémence d’un général allemand – mais par le soulèvement des habitants. Et cette insurrection ne s’est pas produite grâce à Londres, mais plutôt malgré Londres, dont les représentants ont à plusieurs reprises freiné le mouvement.
Ca n’était pas glorieux, d’avoir – pour des bonnes et moins bonnes raisons – « freiné » cette libération. Mieux valait donc oublier cet épisode. Et enterrer le rôle du Comac, le Comité d’Action Militaire de la Résistance avec.
Il aura fallu soixante-quatorze ans.
Soixante-quatorze ans pour que soit rendu, enfin, un hommage public au Comac. Ce samedi 25 août, à 14 h, devant le 8 avenue René Coty à Paris, sera inaugurée la première plaque en l’honneur de Pierre Villon, Jean de Voguë et Maurice Kriegel-Valrimont, tous trois dirigeants du Comac. (Toutes nos félicitations à Anne, la fille de Maurice, qui a arraché cet hommage.)
Je voudrais laisser la parole à Maurice Kriegel-Valrimont, militant de gauche, du Front populaire, député communiste, exclu du Parti. Il décrivait ainsi ses relations avec le grand aristocrate Jean de Voguë :
Maurice Kriegel-Valrimont: Il ne faut pas le voiler : la Résistance, dans son ensemble, ce n’est pas une idylle dans un pré vert, avec des pommes rouges et des lunes brillantes. Ce sont des tendances différentes. C’est la France, c’est la France dans sa différence, et cette différence, il ne faut pas la camoufler ! Je ne veux prendre qu’un exemple : au Comité d’action militaire, le militant syndical que je suis rencontre un homme des deux cents familles*. C’est Jean de Vogüé, c’est un homme des deux cents familles, c’est l’industrie sucrière ! Il est propriétaire du château de Vaux-le-Vicomte, le château de Fouquet. Il est officier supérieur de la Royale. C’est un représentant de l’oligarchie française. Dans le jargon de l’époque, c’est un ennemi de classe. Mais de quoi lui et moi nous apercevons ? C’est que, dans la mesure où nous voulons la libération du territoire, nous nous rejoignons.
F. R. : Mais justement, ce qui est surprenant, là, dans ce programme du Conseil national de la Résistance, c’est qu’on ne se limite pas à la libération du territoire, mais il va y avoir une volonté d’avancées sociales, et là, on se dit : si vraiment il y avait des gens des deux cents familles, à…
M. K.-V. : Mais ils y sont !
F. R. : …à l’intérieur de la Résistance, comment se fait-il qu’on ait un programme fort à gauche ?
M. K.-V. : Mais ça signifie une chose toute simple : la France, c’est aussi la Révolution française. La France, c’est aussi les Lumières. La France, c’est aussi la nuit du 4 Août, l’abandon des privilèges. L’origine sociale joue un grand rôle, mais il y a aussi la prise de conscience de l’intérêt national. Pendant la guerre, un certain nombre d’hommes, y compris d’origines sociales diverses, prennent conscience de ce qui est majeur du point de vue de l’intérêt national. Patriote, ça veut dire quelque chose. Et je ne revendique pas d’être moi tout seul un patriote. Je ne conteste pas que, à ce moment-là, de Vogüé est un patriote. Je n’ai aucun doute : il avait le sentiment de ses intérêts propres, mais dans certains cas, il passait outre à ses intérêts pour l’intérêt commun. Eh oui ! Mais ça c’est l’histoire. Quand l’histoire grandit, les hommes grandissent avec ! (Rires.) Et c’est beau à voir, c’est beau à voir !
D’ailleurs, vous savez bien à quelle vitesse, ensuite, on revient en arrière : à toute allure, et en y mettant la cravache !
Épigraphes
Général von Choltitz, commandant du Gross Paris : J’ai libéré des centaines de prisonniers, et comment me remercie-t-on ? Par une insurrection. Et vous avez l’audace, maintenant, de me demander de cesser le feu. Ah ah ! Pas question ! D’une façon ou d’une autre, je les exterminerai. Laissez-moi vous dire ceci : demain matin, il n’y aura plus de préfecture, il n’y aura plus de Résistance, il n’y aura plus de Paris. L’aviation aura tout anéanti.
Nordling, consul de Suède à Paris : Et si des bombes ratent leur but ?
Von Choltitz : Il y en a toujours qui tombent à côté, mais d’autres atteignent leur objectif. C’est la loi des grands nombres.
Nordling : Des bombes qui ratent leur cible risquent d’atteindre Notre-Dame, la Sainte-Chapelle, elles réduiraient en poussières des siècles d’histoire.
Von Choltitz : J’entends tous les jours ce discours. Le président du conseil municipal est venu me voir, M. Taittinger, il m’a dit ce que vous venez de me dire. Que voulez-vous que je fasse ? Je suis avant tout un soldat, il est de mon devoir de me conformer aux ordres que je reçois.
Nordling : Général, vous vous battez contre l’armée ennemie, et non contre le peuple de Paris. Votre mission est d’empêcher les alliés de s’emparer de Paris, n’est-ce pas ? Si vous arrivez à négocier une trêve avec les insurgés, vous pourrez défendre Paris. (…) Alors ? Vous allez accepter un cessez-le-feu ?
Von Choltitz : J’ai besoin des ponts et j’ai besoin de temps. Un cessez-le-feu me donnerait du temps, c’est vrai. Mais c’est vous qui négocierez, monsieur le consul.
Nordling : Général, pour la postérité, vous serez l’homme qui a sauvé la plus belle ville du monde. » – Extrait de « Paris brûle-t-il ? », film de René Clément, 1966
« Il ne faut pas se laisser prendre à des mises en scène, qui ne sont pas des récits historiques mais de la propagande. Le refus du commandant du Gross Paris de détruire Paris est de la fiction ! Les choses sont beaucoup plus simples : il n’avait plus les moyens de le faire. » – Extrait de Mémoires rebelles, de Maurice Kriegel-Valrimont
Les archives du Comac
En 1964, pour le vingtième anniversaire de l’événement, Maurice Kriegel-Valrimont publie La Libération, sous-titré « Les archives du Comac (mai-août 1944) », aux éditions de Minuit. C’est un recueil, au jour le jour, des archives du Comité d’action militaire du Conseil national de la Résistance, « l’organe de commandement suprême des FFI en France ». L’auteur indique sobrement : « La publication de ces textes de 1944, en grande partie inédits, m’a paru nécessaire pour rétablir une vérité historique trop souvent ignorée ou travestie, en particulier pour ce qui concerne le rôle joué à l’époque par le général de Gaulle. »
Sa « vérité historique » à lui, c’est que Paris ne fut pas sauvé par la clémence d’un général allemand – mais par le soulèvement des habitants. Et que cette insurrection ne s’est pas produite grâce à Londres, mais plutôt malgré Londres, dont les représentants ont à plusieurs reprises freiné le mouvement.
Je vais, dans ce chapitre, en reproduire de larges extraits. Pas seulement en sa mémoire, pour défendre la « vérité », négligée, de mon héros. Pas seulement parce que ces documents, avec leur ton à la fois martial et enthousiaste, possèdent un certain charme, comme l’indice stylistique de la fougue, de l’ardeur, qui habitait ces hommes. Mais aussi parce que, comme tout épisode observé d’assez près, ce passé contient des leçons pour le présent.
D’abord, cette surprise, sinon ce choc, pour le lecteur : quoi ? La France est aux mains des Allemands, les Américains débarquent en Normandie, des maquisards se battent fusil à la main, et que font ces hauts dirigeants de la Résistance à Paris ? Ils se chamaillent sur qui commande qui ! Ils pinaillent, demandent des médiations au CNR, se querellent sur des broutilles (apparentes) de boutique : le 9 août, « le général Ely propose un autre texte… », le 14 août « finalement, le texte suivant est adopté… », etc. On se croirait à une bataille de motions dans un parti ! Sauf que, aux heures décisives, ce choix initial – la Résistance est-elle ou non sous les ordres de Londres ? – se révèlera cruciale.
Ensuite, le souci permanent qu’ont ces combattants de ne pas s’isoler, de ne pas s’appuyer seulement sur une avant-garde, mais de s’enraciner dans le pays, de construire une « action de masse ». Aussi déploient-ils des efforts constants pour mesurer le rapport de forces, pour prendre le pouls du peuple, pour ne pas se tromper sur son état d’esprit, avant de passer à l’insurrection.
Enfin, et surtout, la place qui demeure pour la volonté. L’espoir est mince : « Si pour Noël Paris est pris, ce sera épatant », estime alors Churchill*. Les Alliés ont prévu de contourner la capitale, et rien ne semble infléchir Eisenhower*. Mais l’élan des résistants, non pas impulsé du sommet, mais du moins encouragé – quand les sceptiques voudraient le ralentir – cet élan va bouleverser la donne.
C’est un véritable drame qui se déroule, à huis clos, avec une immense tension : entre leurs mains, ces personnages tiennent, en partie, le destin de Paris, et donc du pays, pour la guerre mais aussi pour l’après-guerre. La capitale finira-t-elle rasée par l’occupant comme Varsovie ? Pour échapper à cette tragédie, doit-on faire profil bas ou au contraire se rebeller contre l’ennemi ? Et comment gagner, pour la suite, la souveraineté nationale ?
« Tout le monde connaît maintenant la réalité des plans alliés pour l’ensemble de la France, commente Kriegel. L’administration militaire américaine, l’Amgot, avait prévu de faire passer sous sa coupe jusqu’aux sous-préfets ! Comment l’avons-nous évité ? Grâce à notre action et à celle de de Gaulle. »
Les personnages
« Villon, représentant du Front national*, est entré au Comac comme délégué du CNR, rapporteur pour les questions militaires, écrit Kriegel-Valrimont. Villon est architecte, il a 43 ans. Sa compagne, Marie-Claude Vaillant-Couturier, est déportée en Allemagne. Né à Soultz, dans le Haut-Rhin, il a déjà été interné pendant plusieurs mois au cours de l’occupation. C’est l’un des principaux artisans du rassemblement de la Résistance française. Que de responsabilités sur d’aussi frêles épaules ! Quand, au haut d’un escalier, au début de l’année 1944, deux agents nazis ont voulu l’arrêter, il a trouvé assez d’énergie pour s’en débarrasser d’un coup de pied bien ajusté, et sauter ensuite par une fenêtre. C’est le chirurgien des hôpitaux Leibovici qui soignera ses fractures. A Yves Farge qui s’étonne de la détermination que cache ce visage buriné et intelligent, il répond : “Voilà ce que le communisme fait d’un petit Juif malingre.” »
« Le représentant de la zone Nord, Vaillant (Jean de Vogüé), est un homme des “deux cents familles”, selon le terme qui a fait fortune à l’époque du Front populaire. C’est un des dirigeants du mouvement “Ceux de la résistance”. Il est proche de la quarantaine, élégant, les cheveux séparés par une raie impeccable. Vogüé était à Londres au moment de la défaite. Il en est revenu pour reprendre le combat. Animé d’un tranquille courage, il est sans cesse soucieux de traduire les intentions en actes. »
Les « trois V » – Villon, Vaillant et Valrimont, représentant de la zone Sud – dirigent le Comac. Ils sont assistés de Jacques Chaban-Delmas, le représentant de Londres.
« Délégué militaire. Celui-ci a 29 ans. Venant des milieux de l’inspection des finances, ce garçon brun, souple et sportif est apparu assez tardivement parmi les clandestins. L’évident souci qu’il a de nous séduire s’accommode mal des efforts qu’il déploie pour imposer la volonté de l’état-major de Londres. »
Quand sonne l’heure de libérer Paris, le général Pierre Koenig a 44 ans et déjà une longue carrière de militaire derrière lui. Il était parti à la Première Guerre mondiale sur ces mots de sa mère : « J’aimerais mieux te voir mort que vaincu ! ». Il revient du front et obtient la médaille militaire. En 1940, il rejoint de Gaulle à Londres « avec la résolution de continuer la lutte jusqu’au bout, quelle qu’en fût l’issue ». Pour avoir résisté à l’avancée allemande en Afrique du Nord, notamment face au général Rommel à Bir Hakeim en 1942, il est l’une des figures militaires les plus emblématiques de la France libre. Il représente le gouvernement d’Alger auprès du général Eisenhower. Et entend bien, comme le Comac, commander les FFI…
Les événements
13 mai 1944. « Organe de commandement suprême »
« Le Conseil national de la Résistance a décidé :
1°) – Le Comité d’action relève directement de l’autorité du CNR.
2°) – Il devient l’organe de commandement suprême des FFI en France.
3°) – Il prend le nom de Comité d’action du CNR (Comac). »
22 mai 1944. « Harcelez les troupes ! »
Estimant que les instructions de Koenig « tiennent un compte tout à fait insuffisant de la liaison nécessaire entre l’action des FFI et les actions de masse », le Comac lui adresse un télégramme :
« Comac a Koenig.
« Primo : peuple français tout entier uni dans même désir de participer à la libération du territoire. Nécessaire dès à présent d’envisager non seulement actions FFI mais aussi désir d’action du peuple entier, prouvé par augmentations du nombre actions armées et recul allemand, Déat, devant grèves patriotiques 1er mai. »
Dès cette date, explique Maurice Kriegel-Valrimont, « s’engage un débat qui ne se terminera qu’au mois d’août. Deux positions, deux directions, vont s’affronter. D’un côté, l’état-major qui siège à Londres et qui s’exprime par sa délégation militaire à Paris, de l’autre la Résistance intérieure.
« Sur les bords de la Tamise, on estime que le commandement des FFI doit dépendre de Londres et d’Alger, que les questions militaires doivent passer au premier plan et qu’il faut créer un état d’esprit unissant le peuple français en armes contre l’envahisseur.
« Le Comidac [premier nom du Comac] est unanime à penser que les FFI doivent exécuter les plans prescrits et les missions confiées par les Alliés, mais l’essentiel pour la Résistance reste la possibilité d’engager et de réaliser des opérations conçues par elle-même, destinées à libérer tout ce qui sera possible du territoire national par sa propre action. Pour cela, les F.F.I. doivent être commandés d’ici, de Paris, et non de Londres. »
Ce désaccord sur le commandement traduit un désaccord sur le fond, sur la lutte : les résistants de l’intérieur réclament de l’« action dès maintenant sans attendre le Jour J », des « armes distribuées sans délai », que « tous les cadres des FFI, y compris les cadres subalternes, auront à faire la preuve de leur sens de l’initiative et de leur esprit de sacrifice », tandis que l’état-major de Londres temporise, se montre méfiant à l’égard de la guérilla, sceptique sur un soulèvement populaire.
Pour son baptême, le Comac adresse ainsi à tous les FFI une déclaration tout feu tout flamme « à lire devant chaque formation militaire ». Je la cite quasi-intégralement, tant cette fièvre traduit la volonté qui anime ces hommes.
« Ordre du jour du 22 mai 1944.
« A tous les officiers, sous-officiers et soldats des Forces françaises de l’intérieur, combattants des groupes francs, corps francs, francs-tireurs et partisans, hommes du maquis !
« Le Comité d’action militaire, par décision du Conseil national de la Résistance et en accord avec le gouvernement provisoire de la République siégeant à Alger, agit dorénavant comme l’organe de commandement suprême des FFI en France.
« Dans ces heures graves pour l’avenir de la patrie et peut-être à la veille d’événements décisifs, la nation a les yeux fixés sur vous.
« Avant-garde de notre peuple, vous devez lui donner l’exemple de l’union la plus complète, par-dessus les différences d’origine et d’opinion, de métier et de croyance, par-dessus les différences d’organisation.
« Qu’une seule pensée vous anime : LIBERER LA FRANCE !
« Qu’une seule volonté vous hante : rivaliser d’ardeur pour porter des coups à l’ennemi et aux traîtres.
Camarades de combat,
« Il dépend de votre courage, de votre discipline, de votre esprit d’initiative que l’ennemi, chancelant sous les coups de l’armée soviétique et de l’aviation anglo-américaine, soit écrasé.
« De votre audace et de votre dévouement à la patrie dépend l’échec du plan de l’envahisseur qui, dès les débarquements alliés, veut transformer la France en un immense camp de concentration, et tenir tous les Français à la merci de quelques milliers de mitraillettes de ses SS et de la milice du traître Darnand.
« C’est en affaiblissant, aujourd’hui, par la guérilla et le sabotage, les forces de l’ennemi que vous répondrez à ce plan.
« C’est ainsi que vous acquerrez l’expérience du combat et la science militaire.
« C’est ainsi que sortiront de vos rangs des chefs aguerris, dignes de votre confiance et de l’admiration de notre peuple.
« C’est ainsi que vous serez capables d’encadrer les milices patriotiques qui se constituent dans les entreprises et les villages et l’immense multitude des patriotes qui ne demandent qu’à s’armer et à se battre contre l’oppresseur allemand exécré.
« C’est ainsi que vous serez capables de susciter et de prendre la tête des mouvements de masse pour empêcher les arrestations et les massacres et pour entraîner tout le pays à la désobéissance générale aux ordres de Hitler et de ses agents de Vichy.
« C’est ainsi que vous assurerez la possibilité pour notre peuple de passer à l’insurrection, inséparable, selon le général de Gaulle, de la libération nationale.
« C’est ainsi que vous contribuerez à la victoire de la France et des alliés.
« C’est ainsi que vous assurerez à la France un avenir digne de son passé de grandeur.
« Le Comac, sous l’autorité du CNR, vous ordonne donc :
« Attaquez l’envahisseur où vous le trouvez !
« Harcelez les troupes !
« Tendez des embuscades à ses convois !
« Faites dérailler ses trains !
« Faites couler ses péniches !
« Coupez ses lignes de communication !
« Armez-vous à ses dépens !
« Exterminez les traîtres, agents de la Gestapo, miliciens-assassins, PPF*, RNP* !
« FRAPPEZ, FRAPPEZ, FRAPPEZ par tous les moyens les bourreaux de notre peuple !
« Prouvez au monde que les Français de 1944 sont dignes de leurs aînés de Verdun et de Valmy !
« Gloire éternelle aux héros tombés dans les combats !
« En avant pour la victoire de la patrie !
« En avant pour la liberté de la nation !
« En avant pour son indépendance et sa grandeur !
« Mort à l’envahisseur allemand !
« Mort aux traîtres !
« Vive le gouvernement provisoire de la République présidé par le général de Gaulle !
« Vive la France ! »
12 juin. « Intensifier partout guérilla »
Le Comac adresse à Koenig le télégramme suivant :
« Comac demande à général Koenig user autorité pour obtenir Radio Alger, Brazzaville, BBC, New-York, Moscou, lecture intégrale et répétée ordre ci-dessous :
« Ordre à toutes les formations armées de la Résistance.
« Primo : soutenir par tous moyens action alliée…
« Deuxio : intensifier partout guérilla destruction dépôts de carburant, etc.
« Tertio : sabotage généralisé des productions ennemies… »
« La guérilla mobile en France »
« Nous n’avions pas de formation militaire ancienne. Il a bien fallu en acquérir une ! Qu’avons-nous fait ? Nous avons examiné les expériences du XIXe siècle, les soulèvements populaires, la Commune et les autres. Les francs-tireurs de Hugo nous ont servi de référence. Et puis j’ai étudié de façon très sérieuse Clausewitz. J’étais devenu un bon connaisseur de la conception du soulèvement populaire contre un occupant, telle qu’il l’a formalisée. Nous avons utilisé tous ces éléments dans les conditions où nous nous trouvions. Tillon l’a fait de son côté. D’un groupe à l’autre, il y avait des nuances, des différences. Mais l’important, c’est ce à quoi nous avons abouti, à savoir une conception de la guérilla mobile en France. Elle ne nous est pas venue de Tito – nous ne savions pas ce qui se passait en Yougoslavie –, ni de Mao dont nous avons découvert la pensée militaire des années plus tard. C’est ainsi que nous avons pris pour règle : “Ne vous accrochez pas à un terrain si vous n’en avez pas la maîtrise.” »
14 juin. « Freinez au maximum ! »
Chaban-Delmas informe le Comac que les parachutages seront interrompus « jusqu’à la lune d’août », et il donne connaissance d’un télégramme du général Koenig.
« Ordre formel général Koenig. Etant donné l’impossibilité actuelle d’effectuer ravitaillement armes et munitions freinez au maximum je répète freinez au maximum activité de guérilla constituez petits groupes isolés plutôt que gros détachements rompre partout contact lorsque cela est possible en attendant que soyons en mesure effectuer nombreux parachutages. »
Valrimont « élève une très vive contestation basée sur les trois points suivants :
– l’interruption des parachutages est décidée au moment où on en a le plus besoin ;
– la communication d’ordres directs aux mouvements constitue la négation de tout commandement intérieur ;
– la transmission d’un ordre absolument contraire aux décisions du Comac, celui de freiner la guérilla, risque de briser la lutte en France et de causer au pays le plus grave préjudice.
« Nous disons à Chaban-Delmas que la résistance intérieure ne peut pas admettre ce qui vient de se produire.
Visiblement, Chaban-Delmas est bien ennuyé. Il invoque un rendez-vous impérieux pour nous quitter et nous demande de reporter la question à la prochaine réunion. »
Et le Comac adresse aussitôt aux FFI un ordre contraire… s’appuyant sur le général de Gaulle, dont « les trois V » retiennent ce qui les arrange !
« En aucun cas il ne faut, comme l’a dit le général de Gaulle, se laisser mettre hors de combat sans combattre.
« Exemple : si des Allemands interdisent de sortir dans la rue, afin d’avoir le temps de mettre en place un dispositif de contrainte contre un quartier ou une ville, la descente dans la rue des troupes FFI est capable d’entraîner des masses d’hommes qui, malgré leur désir de se battre ou de se défendre, n’oseraient pas en prendre l’initiative.
« Si les Allemands ou la milice de Darnand tentaient de fouiller un groupe d’immeubles afin de découvrir des “suspects”, une attaque venant de l’extérieur dirigée contre les forces répressives peut être déclenchée et déborder l’ennemi, si des groupes de FFI en prennent l’initiative.
« Pour de telles actions des forces armées de la Résistance en faveur de l’action des masses, les diverses formations, y compris les groupes de base, doivent avoir la plus grande liberté d’initiative, chaque soldat des FFI doit être à l’affût de toute occasion d’action de ce genre et la proposer à son chef.
« (AUCUN CHEF FFI NE POURRA EXCUSER SON INACTION PAR L’ABSENCE D’ORDRE DE SES CHEFS HIERARCHIQUES.)
« Partout où le rapport de force le permet, le but de l’insurrection doit être de débarrasser le pays de l’envahisseur, de destituer les représentants de Vichy, et de les remplacer par des pouvoirs provisoires instaurés et contrôlés par les comités de la libération. »
19 juin. « Déchiré l’ordre de Koenig »
Le télégramme de Koenig a néanmoins semé la confusion :
« Villon rapporte que le délégué militaire de l’Ain, où l’action était en cours, a purement et simplement déchiré l’ordre de Koenig. Mais la paralysie qu’a provoquée ce télégramme dans les régions voisines peut causer les plus graves préjudices aux départements de la région de Lyon partiellement libérés. »
De plus, « Chaban-Delmas informe alors le Comac qu’il n’a pas transmis le télégramme du 12 juin adressé à Koenig [concernant la demande de radiodiffusion], parce qu’il le considérait contradictoire avec celui de l’état-major de Londres. »
Le Comac note que Chaban « s’est interposé comme un écran entre le commandement FFI et l’état-major de Londres. »
Koenig fait parvenir un nouveau télégramme, qui contredit complètement le précédent :
« Ordre général opération n°1. La mission de toutes forces de l’armée intérieure est de se battre… Faire continuer au maximum la guérilla insaisissable contre lignes communication ennemies… »
Et Valrimont de conclure : « “Faire continuer au maximum la guérilla insaisissable”, tel avait été l’ordre du Comac, telle avait été la réalité de la lutte, et le dernier télégramme de Koenig en était le constat. »
21 juin. « Soumis au général Koenig »
Chaban ne lâche pas le débat : il « considère que les FFI doivent être soumis au commandement du général Koenig [et non au Comac]. Il considère que l’action extérieure est essentielle et que l’action intérieure doit lui être subordonnée.
L’insurrection nationale ne doit se faire que lorsque la désorganisation de l’armée ennemie sera suffisante pour l’empêcher d’utiliser les moyens dont elle disposera encore, et dont l’utilisation à l’heure actuelle aboutirait à des représailles dont il ne pense pas que la Résistance doive prendre la responsabilité. »
3 juillet. « Un million d’hommes prêts à agir »
Pascal Copeau, alias Corton, co-dirige le Mouvement de Libération de la zone Sud.
« Il apporte au Comac les informations sur l’action qui a suivi le débarquement en zone Sud.
« Nombreuses opérations militaires insurrectionnelles… Trois foyers de soulèvement dans la région de Lyon… Dans l’Ain, dès le 6 juin, occupation de certaines villes comme Bellegarde, Oyonnax, Saint-Claude et La Cluze. Dans le Vercors, les FFI contrôlent le massif, mais ils sont exposés à des attaques. Dans l’Ardèche, un important mouvement insurrectionnel a libéré Annonay et la région avoisinante.
« La conclusion de Copeau est formelle : étant donné la température du pays, on peut dire qu’il y a un million d’hommes prêts à agir et à se battre. Dans l’ensemble, dit-il, la répression est peu importante ; elle a été au total moins coûteuse que deux heures de bombardement sur une grande ville.
« Chaban-Delmas déclare que, devant cet exposé des faits, il est prêt à soutenir l’action.
« Je rappelle que Chaban-Delmas avait prévu que les foyers d’insurrection ne tiendraient pas quinze jours devant le retour offensif de l’ennemi et que l’action intérieure n’aboutirait jamais au moindre changement d’attitude des Alliés et au moindre envoi d’armes. Je me félicite, par conséquent, de l’accord de Chaban-Delmas, à condition qu’il ne change pas d’avis et qu’il participe aux solutions nécessaires. »
5 juillet. « Grande nation indépendante »
C’est publiquement que, dans sa directive, le Comac désavoue les envoyés de Londres :
« L’aspiration à la liberté, à l’indépendance et à la grandeur n’a de sens que dans la mesure où le peuple français participe au combat.
« La France ne pourra faire figure de grande nation indépendante que si les Français sont les artisans de leur libération.
« Les FFI, liées aux masses populaires, ont libéré des portions de territoire dont la superficie dépasse de très loin celle de la tête de pont alliée. Cette libération, non conçue par l’état-major interallié, est le fait de l’initiative des formations de l’intérieur, elle est le fait de la France.
« Contrairement aux prévisions du DMN [le Délégué militaire national, Chaban], ces actions ont été hautement appréciées par l’état-major interallié qui, dans un communiqué, a reconnu que des divisions entières de l’ennemi avaient été paralysées par les FFI et tenues loin des zones de combat.
« Les missions alliées qui ont pu constater l’ampleur des actions en France sont immédiatement intervenues pour satisfaire aux demandes d’armes et de matériel, et le jour où parvenait dans l’Ain l’information du général Koenig que les parachutages étaient suspendus et le télégramme donnant l’ordre de freiner la guerilla, parvenait également, sur la demande d’officiers alliés, le plus important parachutage jamais reçu.
« Nul doute que le rôle des chefs de la Résistance soit de souligner les possibilités intérieures pour obtenir les moyens qui permettront de développer l’action libératrice, à tel point qu’elle devienne un élément dont la stratégie alliée ne puisse pas méconnaître l’importance.
« Il est dès maintenant impossible de nier que l’action intérieure n’est pas dans une dépendance étroite des conceptions stratégiques alliées.
« Certaines fautes ont été commises. Des formations se sont livrées au jour J à des actions qui n’étaient pas liées à l’action des populations et qui ont abouti à des échecs dans la mesure où les objectifs étaient trop ambitieux ; l’erreur a été d’agir sans liaison avec les masses, en vertu d’une “idée” qui attribuait au jour J des vertus magiques.
« Les ordres du Comac précisent qu’il faut agir selon la situation concrète et tenir compte des possibilités et de la volonté de participation des masses à l’action que l’on veut entreprendre.
« Une autre faute a été commise : sur les indications des radios alliées, de nombreux Français ont quitté leur foyer pour rejoindre le maquis. Dans certaines villes, on a constaté des départs massifs ; dans ce cas, on a agi en vertu de “l’idée” de “ groupements mobilisateurs” exposée dans une instruction Koenig, dans le cadre de la stratégie alliée.
« Là encore, les faits ont démontré qu’on avait simplement dirigé vers des lieux de concentration qui n’étaient nullement préparés à cet effet, des hommes désarmés, courant des risques inutiles, sans aucune possibilité d’action. »
31 juillet 1944. « Même seul »
Le Comac durcit encore le ton : qui ne combat pas est un traître !
Voilà l’« Ordre du jour adressé à tous les officiers de l’armée française » :
« I – Rechercher immédiatement le contact avec l’une des organisations intégrées aux FFI.
(…)
« II – Si vous n’avez pas le moyen de prendre contact avec une organisation de Résistance, formez vous-même un groupe de combat avec cinq ou six patriotes sûrs, afin d’agir sans cesse contre l’ennemi, ses troupes, ses transports.
(…)
« IV – Même seul, sans moyen immédiat de joindre les FFI, les milices patriotiques, ni de former un groupe de combat, même sans armes, vous devez agir contre l’ennemi en exécutant des sabotages, en vous attaquant à ses soldats ou officiers isolés, ou contre les traîtres avérés ou agents de la Gestapo ou délateurs.
« Ceux qui se soustrairaient à l’exécution de ces ordres, ceux qui se contenteraient d’attendre qu’on vienne les chercher, (…) ceux-là perdraient définitivement le droit de revendiquer la qualité d’officier ou de sous-officier français. »
16 août. « Vous creuserez des tranchées »
Alors que « des troupes françaises, anglaises et américaines ont débarqué entre Nice et Marseille », même à mains nues, luttez !, exige le Comac :
« Empêchez les formations d’Hitler d’opérer les mouvements prévus. Que pas une voie de chemin de fer, pas une route, pas un canal allant du midi au nord de la France ne soit utilisable par l’ennemi ; que chaque tournant de route soit une embuscade, que de chaque fourré surgisse un danger pour lui.
« A défaut d’armes, vous tendrez des câbles, vous abattrez des arbres, vous creuserez des tranchées, vous déboulonnerez des rails, vous crèverez des pneus, vous incendierez les citernes et les dépôts de carburant ennemis.
« Et chaque fois que vous le pourrez, vous prendrez des armes à l’ennemi et vous armerez les patriotes. »
17 août. « Attaquer un char »
La grève s’étend à Paris, chez les cheminots, dans le métro, la police. Les affiches des résistants ne sont plus arrachées. Laval* et certains services nazis évacuent la ville. Von Choltitz exécute soixante-huit patriotes.
Le Comac diffuse une instruction très détaillée sur les moyens d’attaquer un char…
19 août. « Sans pitié »
La grève devient presque totale : PTT, textile, métallurgie, etc.
Les FFI s’emparent des Halles, de la poste centrale, de la Pitié, de la préfecture de police.
D’après von Choltitz, « la liaison entre les points d’appui allemands devient difficile ». Et le général allemand ordonne de « nettoyer les points de résistance importants », « sans pitié », de « détruire les maisons d’où partiront les coups de feu ».
20 août. « Un sabotage »
Alors que l’insurrection gagne du terrain, coup de tonnerre :
« Rol à Comac
Le 20, à 7 heures du matin
J’apprends par un officier d’état-major que Chaban (DMN) a donné hier des ordres impératifs au colonel Lizé [chef FFI du département de la Seine, adjoint de Rol-Tanguy] pour éviter tout combat dans Paris, et toute effusion de sang. »
Par le biais du consul de Suède, Von Choltitz a proposé une trêve aux résistants. Une option qu’appuie, devant le CNR, Chaban – de retour de Londres : « Après des conversations qu’il avait eues avec les généraux américains, et en particulier avec Patton, il n’y avait pas lieu de compter sur une arrivée prochaine des Alliés. Il se prononçait en faveur d’une trêve. Villon s’y était opposé de la manière la plus vive, en dénonçant les dangers que ces pourparlers faisaient courir à la population et la gêne majeure qu’ils apportaient au développement de la lutte.
Le CNR avait renvoyé sa décision au lendemain. »
Dès lors, dans les rues, en pleine bataille, des ordres contradictoires sont délivrés.
A la préfecture, « il a été décidé de cesser le feu à 21 h 40 », et des voitures de police circulent dans les rues, avec des haut-parleurs, prônant la trêve… »
Le commandement FFI condamne, à l’inverse, ce « sabotage ».
Le Comac donne son « opinion sur les pourparlers de trêve ».
« Le Comac exprime sa surprise de voir que des pourparlers pour une trêve ont été poursuivis par des personnalités non-qualifiées. »
Voilà pour la forme.
Et sur le fond :
« Les partisans de la trêve prétendent que celle-ci doit avoir pour but de sauver les occupations de certains bâtiments publics d’une attaque où elles auraient le dessous par manque de munitions.
« Le Comac, fort de son expérience et de l’étude des bons et mauvais exemples de lutte menée par les FFI dans le pays, peut affirmer que le sort de l’action engagée ni celui des combattants ne dépendent de la possession d’un immeuble, qui n’a qu’une valeur de symbole.
« A Paris comme ailleurs, la tactique du plateau des Glières est une faute, alors que la guérilla mobile est efficace.
« Il faut appeler toute la population à participer effectivement à la lutte, l’inviter à établir des obstacles gênant l’ennemi, etc. »
21 août. « Je n’obéis pas »
Le CNR se réunit pour trancher.
« Chaban-Delmas évoque encore des représailles possibles ; il soutient qu’une quantité considérable de chars Tigre peut intervenir à tout moment et il qualifie la trêve avec von Choltitz de gentleman’s agreement. »
Les « trois V » se fâchent.
Jean de Vogüé est le plus acéré :
« Je viens de quitter les combattants et j’y retourne car, avec eux, je suis à mon aise et le devoir est clair. Nous faisons la guerre : c’est une chose dure, qui réclame de l’énergie, de l’audace et de l’abnégation. On l’a oublié en 1940, d’où la défaite. Il ne faudrait pas l’oublier maintenant. Il faut de la clairvoyance dans les décisions, puis du caractère, et une énergie indomptable dans l’exécution ; enfin de l’audace réfléchie de la part du commandement et de la troupe.
« Je parle en officier français, venu en France pour combattre et, depuis quatre ans, j’attends ce moment. Depuis deux jours, les combats sont déclenchés. Le moral des FFI est magnifique ; ils prennent des armes sur l’ennemi, la cohésion des diverses formations se réalise, l’autorité des chefs sur les hommes s’affirme, la population apporte son aide. Le moral de l’ennemi est brisé : il ne veut plus se battre dans Paris, mais sauver ce qui reste : ses propositions le prouvent, elles émanent d’un ennemi qui se sent battu.
« Et c’est ce moment-là qu’un homme, se parant du titre de général français, choisit pour négocier, pour accepter les conditions d’un ennemi en pleine retraite ! Il ne voit donc pas la place de ces journées dans l’histoire du pays ? Il arrête des combats victorieux qui rendront au peuple parisien sa fierté, son sens de la grandeur, l’unité dans la victoire !
« N’importe quel sous-lieutenant sait que, quand l’ennemi faiblit, il faut redoubler les coups pour l’abattre, qu’il ne faut jamais arrêter une troupe bien engagée, qu’on ne négocie pas sous le feu ! Ce n’est pas au moment où on peut saisir la victoire qu’il faut s’arrêter, laisser s’échapper l’ennemi et se déshonorer !
« Et quel effet cela aura-t-il sur les combattants ? Quel effet moral ? On risque de rompre leur cohésion, et de livrer leur enthousiasme qui est leur force principale. Il ne faudrait pas croire qu’on peut ainsi les arrêter, puis les relancer dans la lutte comme des pantins. Pour ma part, je n’obéis pas à un ordre de trêve. Ma conscience d’officier et de Français me l’interdit.
(…)
C’est tout ce que j’avais à dire : je demande aux membres du CNR de se hausser à la hauteur des événements, et je vais retrouver mes camarades de combat. »
Le CNR se rallie à un appel au combat.
Sera placardée l’affiche suivante :
« Parisiens,
« L’insurrection de Paris a déjà libéré de nombreux édifices publics de la capitale. Une première grande victoire est remportée.
« La lutte continue. Elle doit se poursuivre jusqu’à ce que l’ennemi soit chassé de la région parisienne.
« Plus que jamais, tous au combat !
« Abattez les arbres, creusez les fossés antichars, dressez des barricades.
« C’est un peuple vainqueur qui recevra les Alliés. »
22 août. « Rôle de frein »
Devant les faits, Chaban se rend.
« Les conditions de l’insurrection nationale sont réunies depuis aujourd’hui. Contrairement à certaines informations que l’on m’avait données, le commandement allemand ne dispose pas d’une importante réserve de chars Tigre. L’état-major de l’hôtel Meurice doit disposer au total d’environ 3 000 hommes. Que ceci soit notre dernière discussion. Jusqu’à maintenant, j’ai joué un rôle de frein ; aujourd’hui, je suis décidé à me battre. »
Et voici simple, immédiate, la réponse de Jean de Vogüé : « Vous avez joué un rôle de frein… Consolez-vous, vous n’avez pas freiné grand-chose. »
24 août. « Des forces d’ordre »
L’offensive FFI s’est accentuée.
La division Leclerc parvient à Longjumeau.
Les Allemands sortent par la porte Dorée et la porte de Vincennes.
Mais une consigne tombe de la préfecture : « Par ordre du général Koenig, les gardiens de la paix ne sont plus sous le commandement des FFI. Ils repassent sous l’autorité du préfet de police. »
Il s’agit, explique-t-on, de constituer des « forces d’ordre ». Et les gardes gouvernementaux refusent, désormais, d’obéir au commandement. Un groupe de la préfecture reprend même un canon aux FFI !
Alors que les barricades sont encore attaquées par les chars, les policiers se préparent à lutter contre un autre ennemi : les rouges. Que l’insurrection nationale ne tourne pas à la révolution sociale.
Les patriotes en pestent :
« Lizé (…) est un colonel d’active, un homme tout d’une pièce. Pendant la préparation de l’insurrection, il disait à son chef d’état-major, Massiet-Dufresne, qu’il était décidé à faire obstacle à une emprise communiste sur Paris. Mais il a vécu l’insurrection au contact des combattants et il s’est comporté comme un combattant. Maintenant, il s’indigne : “Que signifient toutes ces interventions de Koenig qui nous empêchent d’utiliser toutes les forces disponibles pour lui porter [à l’ennemi] des coups décisifs ?” »
Et Kriegel-Valrimont de conclure : « Tous les regards sont fixés sur Chaban-Delmas. »
25 août. « Mission accomplie »
La division Leclerc arrive, et le QG allemand est pris.
« Il reste une seule question, celle de la signature de la reddition.
« Je fais remarquer à Leclerc que les combattants de la Résistance française, qui ont engagé la lutte et qui la poursuivent, seraient écartés de la victoire d’une bataille qu’ils ont menée et qu’ils sont décidés à poursuivre.
Le général Leclerc convient de la nécessité de faire participer les combattants de Paris à la victoire obtenue et l’acte de reddition est immédiatement dactylographié à nouveau, portant en tête qu’il est conclu entre le colonel Rol, commandant des FFI de l’Île-de-France, le général Leclerc, commandant de la deuxième division blindée, et le général Von Choltitz, commandant militaire des forces allemandes dans la région de Paris.
« C’est à la suite de cette décision que Rol et moi emmenons von Choltitz dans une voiture blindée à la gare Montparnasse. Quand je regarde Rol à côté de moi, je lis, comme dans un miroir, des sentiments simples et forts : nous sommes maigres, mal rasés, mal habillés, mais enfin ce pourquoi tant des nôtres ont sacrifié leur liberté et leur vie est accompli. »
27 août. « La France, c’est moi »
« Le général de Gaulle a convié au ministère de la Guerre les dirigeants militaires de l’insurrection parisienne. Nous sommes un peu plus d’une vingtaine. Il fait une entrée solennelle. Les présentations sont d’un laconisme militaire ; il congédie chacun des officiers par un “C’est bien, au suivant !” L’un des présents a le bras droit en écharpe, il a été blessé ; au moment où de Gaulle s’approche de lui, dans un geste touchant, il tend sa main gauche. De Gaulle ne la voit pas, et cette main tendue tombe, inerte, au bruit sec du : “Au suivant !”
« Nous aurons tout de même droit à quelques paroles, parmi lesquelles on entendra : “Je vous remercie de ce que vous avez fait ; c’est très bien, vous avez libéré Paris. Grâce à vous, la France aura sa place plus glorieuse dans le monde. ” (…)
« Quelques temps plus tard, avec une délégation du Mouvement de libération national, nous constatons la même attitude, et nous entendons tomber, de sa bouche un peu amère, cette formule lapidaire : “La France, c’est moi.” »