Jean-François : “Attention, il est homo !”

"Je n’étais pas simplement le ‘gros con’, mais le ‘gros pédé’. Quand j’ai postulé dans un autre magasin, ma responsable a appelé sa collègue : ‘Attention, il est homo.’ J’ai lu des captures d’écran, ensuite. C’était violent."

« Tu sais, sur les LGBTQ, ce que tu as raconté, ça ne va pas.
– Oui, je sais… »

Je terminais mon débat, aux Amfis, et un militant m’interpelait.

« Il faudrait que tu visites un centre, avec les caméras derrière toi… Si tu veux, je t’accompagne, je te sers de guide. Tu y vas avec une télé, parce que le discours tu l’as.
– Non, je ne suis pas d’accord. Je ne peux pas juste réciter un discours, les mesures du programme, ça, je ne sais pas faire. Ca ne serait plus moi. Ce qu’il faut, c’est que des gens me racontent leurs histoires, je pars de ça, toujours, comme reporter. Que derrière je lise, que je théorise. Et là, alors, quand j’aurai digéré ça, je peux passer dans les médias : parce que je saurai quoi dire, et pour qui je le dis. Donc, si ça te va, on peut commencer par ton histoire. »

On s’est mis dans le coin d’une salle, mon cahier sur les genoux, et Jean-François, barbu, costaud, tatoué, m’a offert des bouts de sa vie.

« Je travaillais chez Auchan, comme hôte de caisse. Ma responsable me reprochait des ‘comportements trop efféminés’. A la machine à café, quand je suis passé cadre, donc au milieu des hommes, je m’inventais une autre vie, comme quoi ‘avec ma femme…’ Mais ils ont trouvé une photo de mon Pacs, ils m’ont outé. Du coup, je n’étais plus invité aux pauses avec eux, ils me mettaient de côté. Quand je prenais des décisions, que les autres n’étaient pas d’accord, je n’étais pas simplement le ‘gros con’, mais le ‘gros pédé’. Quand j’ai postulé dans un autre magasin, ma responsable a appelé sa collègue : ‘Attention, il est homo.’ J’ai lu des captures d’écran, ensuite. C’était violent. Ils me reprochaient mon ‘hypocrisie’ : comme quoi je ne pouvais pas être un chef de caisse honnête puisque je cachais qui j’étais vraiment. Tout ça parce que, oui, à 23 ans, je n’avais pas le courage d’afficher ma sexualité, que je n’avais pas encore fait ce chemin.

Je suis passé chez Humanis, dans les assurances. J’étais responsable des services généraux, les gars qui réparaient les machines. Au déjeuner, y avait plein de blagues homophobes, un peu lourdes, donc je ne me suis pas senti de le révéler. Ca créait un malaise, je me suis isolé. Et on me l’a reproché. Ma responsable manipulait les équipes contre moi : ‘Les homos, ils sont comme ci, ils sont comme ça’.

Maintenant, je mets sur mon CV que je milite dans des assos LGBT, pour me dévoiler d’emblée. Là, j’ai obtenu un nouveau poste, mais par un autre biais, et je stresse d’avance : qu’est-ce que je fais ? Je leur annonce le premier jour ? Ca ne va pas faire bizarre ? Je leur laisse le deviner ?

Ca, c’est pour le boulot, parce que je sais que le travail, c’est ton cœur, et je le comprends. Mais il y a tout le reste. Je ne te raconte pas le collège, toute mon enfance : harcelé. J’ai fait trois tentatives de suicide, dont une qui a failli marcher.

La famille… J’ai finalement fait mon coming-out, quand j’avais 25 ans. Mon père n’avait rien vu parce que, longtemps, il a travaillé dans un théâtre, où il rencontrait des gays très extravertis, et moi, c’était l’inverse. Donc, déjà, c’est une nouvelle pour les parents. Mais ensuite, à son travail, ça s’est su, comme quoi il avait un fils pédé, certains juste pour la blague, d’autres pour l’énerver, le déstabiliser. Et tu vois, je me sens très coupable qu’il ait subi ça : de l’homophobie par ricochet.

Dans la ville, c’est pareil. Je me suis fait molester par la Bac à cause de ça. J’étais étudiant, précaire, sans argent, sans logement à moi, et avec mon amoureux, pour se faire des câlins, même pas l’amour, juste des bisous, on va au fond d’un parking. Les policiers arrivent, ils croient qu’on fume des joints. On leur dit : ‘Non, on est homos, on vient là pour des câlins.’ Ils nous traitent de pédé, etc., mais ils nous croyaient pas. Ils nous isolent, chacun d’un côté. Ils nous mettent, bon, pas des coups de poing, mais des baffes, pour qu’on avoue où se trouvait la drogue.

Là, maintenant, même si je suis reconnu par la République (il montre sa bague), je suis marié, mais quand je vais au centre-ville avec mon compagnon, qu’il a un geste amoureux, de me prendre la main, eh bien, parfois, je la retire, parce que j’ai une forme de peur. Et lui, ça le vexe.

Bref, c’est plein de petits traumas, en permanence, et qui forgent ton identité.

Il y a un livre, que je te recommande, qui décrit ça, Le Stress des minorités, d’Ilan Meyer. C’est un épidémiologiste, et il montre que les LGBT souffrent largement plus de troubles psychiques, que d’être en minorité, ça produit une angoisse, une inquiétude. »

Je vais lire ça.
Mais surtout, à mon prochain France Info, je saurai un peu pour qui je parle : pour Jean-François.

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