Emmanuel Macron ne croit pas à la « victoire de l’irresponsabilité ».
C’est celui qui le dit qui l’est.
Lui est irresponsable. Et il le sait.
Durant ses vœux, le 31 décembre, à six reprises, il en a appelé à « l’unité de la nation que nous formons tous ensemble », à cet « impératif d’unité », à un « pays uni », « pour cela, rester unis ».
Pourquoi marteler là-dessus ?
Le linguiste Damon Mayaffre, étudiant les discours de Chirac, a montré que l’ancien président de la République usait et abusait de l’adverbe « naturellement ». Qu’il plaçait chaque fois que, justement, son propos n’avait rien de « naturel », dès qu’il y avait une aporie dans son raisonnement, ou plus simplement lorsqu’il mentait. Il plaquait du « évidemment » là où il n’y avait pas d’évidence.
Si Macron martèle aujourd’hui l’ « unité de la Nation », s’il s’en présente en garant, c’est qu’il sait, précisément, qu’il vient la menacer, la briser, qu’il en est le bourreau.
Quand Macron pointe l’ « irresponsabilité », au fond, au moins dans son inconscient, il mesure bien la sienne : que son attitude est un véritable danger.
Avec un peu de sagesse, jamais il n’aurait proposé cette contre-réforme en cette période, après trois années de crise Covid, de guerre en Ukraine, d’inflation, de factures d’énergie, après son élection ras du cul et sa majorité au raccroc, comme si c’était l’urgence ! Comme si c’était la priorité !
Avec un peu de sagesse, après la manifestation de jeudi, il retirerait sa contre-réforme d’un « je vous ai compris ».
Mais au contraire.
Au contraire, de sa solitude, seul contre tous les syndicats, seul contre deux millions de Français dans la rue, seul contre trois Français sur quatre dans les sondages, au contraire, de son isolement, il veut faire un marqueur de son hybris, de sa démesure.
Comme il l’a dit : « C’est l’autorité de votre serviteur qui est en jeu. »
Pour vaincre, il ne compte plus convaincre.
C’est fichu, c’est foutu, les macronistes le savent : ils ont perdu la bataille de l’opinion.
Mais ils s’en fichent, ils s’en foutent : ils comptent seulement sur la « lassitude », comme l’énonce Véran, sur l’écoeurement, le dégoût, la résignation.
C’est terrible, quand un gouvernement compte là-dessus, sur des sentiments, des ressentiments, aussi négatifs. Mais voilà, au fond, au moins vingt ans, depuis le 29 mai 2005 et sans doute avant, qu’ils ne comptent que là-dessus : sur l’écoeurement, le dégoût, la résignation, l’éloignement des gens de la chose publique.
Je sais vers où ça roule, sans effort.
Je sais où ça glisse chaque fois que, et c’est désormais permanent, et c’est désormais constant, chaque fois que la « démocratie » se fait sans le démos, contre le démos.
Je sais vers où ça a roulé, en Italie, le gouvernement Conte qui contre-réforme les retraites contre les Italiens, contre les Italiens dans les sondages, contre les Italiens dans les manifs, et qui ouvre la porte à l’extrême droite de Melloni.
Voilà qui nous oblige, d’autant plus.
Voilà qui nous oblige à sortir le pays de sa torpeur, de sa résignation.
Voilà qui nous oblige à élargir, à aller chercher les jeunes, les mères célibataires, les artisans-commerçants, les gilets jaunes d’hier, les touchés par les salaires, les frappés par les factures d’énergie, les qui en ont marre du « roitelet de l’Elysée », comme on l’entendait dans les manifs : « C’est depuis quand qu’un souverain se moque comme ça de son peuple ? Ca remonte à Louis XIV ? »
Voilà qui nous oblige à être la voix de la décence, la voix du bon sens, de toutes ces Françaises, de tous ces Français, qui n’aspirent qu’à « vivre de leur travail », de leur travail présent, c’est le salaire, de leur travail passé, c’est la retraite. Tous ces travailleurs qui ne désirent qu’une chose pour leur pays, faire leur part pour le bien commun, leur part pour que notre Nation remette sur pied son hôpital, son école, ses trains, son électricité.
Voilà qui nous oblige à canaliser les petits ruisseaux de la colère, et à les transformer en un grand fleuve d’espérance.
Voilà qui nous oblige à gagner.