« Vous faites quoi pour la planète ?
– Je vends des ordinateurs, alors bon… Je ne peux pas prétendre que c’est écolo, vertueux pour le climat. Ca serait mentir. »
Cette semaine, j’ai rencontré un grand patron de l’informatique, qui préfère l’anonymat. Je venais de lire, le week-end d’avant, La Sobriété gagnante, de Benjamin Brice (que je vous conseille vraiment). Et du coup, c’est avec cette grille en tête que je l’interrogeais : comment on pourrait moins importer d’électronique ? Qui représente, chaque année, 18 milliards de déficit commercial ?
« 99,9% des produits que je vends sont importés. Même sur une carte fabriquée en France, les puces viennent de Chine, ou au moins d’Asie.
Donc, il ne faut pas espérer relocaliser la production ?
Ca paraît très compliqué. C’est toute la chaîne qui manque.
La seule option, alors, c’est de moins consommer… Moi, je viens pour casser votre marché !
(Rires.) Oui, de base, il faut changer moins son matériel. Et nous sommes prêts pour la conversion : toutes nos boutiques sont capables de réparer à peu près tout. Depuis le début, depuis plus de vingt ans, on le fait. Comme on vend de l’assemblage, c’est simple.
Quelle est la part de réparation dans votre chiffre d’affaires ?
4%.
Pourquoi c’est pas plus ?
Quand l’ordi tombe en panne, ça donne aux gens une bonne excuse pour le changer. Ils sont pris dans une course. Les logiciels sont plus puissants, sont changés quasi-automatiquement, et donc il faut aux graphistes des bécanes qui suivent. Ils aiment ça, aussi. Et dans les entreprises, on ne fait pas glisser sa machine vers la compta, on jette, on se débarrasse.
Les boîtes changent leur matériel tous les trois ans. Comme c’est amorti sur trois ans, dans les bilans comptables, les dirigeants se disent qu’ils peuvent le larguer, en racheter, c’est presque comme si c’était gratuit. Une modification à proposer, peut-être, c’est de porter l’amortissement à cinq ans. Ici, on garde tout jusqu’à la panne finale.
Quelle est la durée de vie moyenne, chez vous ?
-Longtemps. Mon ordi a dix ans. Le problème, ça n’est pas la réparation, la casse physique c’est rare. Le souci, c’est de upgrader. Les gens ne savent pas qu’on peut rajouter de la mémoire. C’était courant quand on a commencé, on bidouillait. Mais les fabricants, comme Apple, ont soudé les cartes graphiques, les mémoires, les disques durs… Si on veut booster le moteur, il faut modifier ça.
Mais s’y ajoute un autre souci : je suis développeur. Avant, on développait dans le langage machine, qui était simple pour l’ordinateur, qui lui demandait peu de puissance, peu d’énergie. Maintenant, on développe dans des métalangages, le No-Code, beaucoup plus simple pour le programmateur, ça permet d’en former rapidement, en série, mais beaucoup plus complexe pour la machine, une surcouche, qui réclame de plus en plus de puissance, d’énergie.
Est-ce que vous pensez qu’il faudrait relever le prix de l’informatique ? Pour inciter à la réparation ? Le vendre au prix réel, en y incluant le coût écologique ?
En tout cas, une taxe en ce sens ne me choquerait pas. »
Où est le plan de l’Etat pour limiter la consommation d’électronique, d’informatique ? Il n’y en a pas. Il en faut un, d’urgence, à la fois pour limiter notre déficit commercial – et le désastre environnemental. Il faut que la réparation devienne la priorité, avec un atelier par quartier et par canton, avec des brigades d’informaticiens-dépanneurs-bidouilleurs, avec toutes les alternatives, dans les entreprises comme chez les particuliers, plutôt que l’achat. Il faut un rapport de force avec les multinationales, au niveau européen, contre les mises à jour automatiques des logiciels, contre l’obsolescence programmée du matériel. La fabrication, l’importation, tous azimuts, des portables, des tablettes, est une hémorragie, autant pour notre pays que pour une planète qui saigne.
Le réalisme, économique, écologique, l’impose.