L’indécente confidence de Bruno Le Maire

Bruno Le Maire était l’invité de France 2, ce dimanche soir. Où il a lâché cette « confidence », qui relève pour moi de l’indécence.

« Il se trouve que j’étais pour des raisons familiales à l’hôpital et j’ai parlé avec des personnes que je considère comme des saints et saintes, des aides-soignants, des infirmières… Ils me l’ont tous dit : ‘Pour nous c’est dur d’envisager deux ans’. Il y a beaucoup de professions pour lesquelles c’est dur. Mais je voudrais aussi que l’on retrouve ce sens collectif. »

Bruno Le Maire était l’invité de France 2, ce dimanche soir. Où il a lâché cette « confidence », qui relève pour moi de l’indécence.

Que disent ces quelques phrases ?

D’abord, où vit le ministre de l’Economie ? Dans sa tour de verre à Bercy. Il lui faut des circonstances exceptionnelles, des « raisons familiales » (et je souhaite tous mes vœux de rétablissement à son proche), il lui faut des circonstances exceptionnelles pour qu’il découvre un morceau de réel. Pour qu’il soit interpelé. Pour qu’il en fasse part au JT.

C’est une barrière de classe qui est énoncée ici. A l’évidence, si les enfants de Monsieur Bruno Le Maire, si ses cousins, ses amis, travaillaient comme couvreur dans le bâtiment, comme manutentionnaire dans un hyper, comme agent d’entretien dans une gare, ses conversations quotidiennes prendraient une autre tournure. Ce réel, il baignerait dedans. Et ses choix politiques en seraient bouleversés.

Ensuite, « les saints ». A Amiens, alors que je lui faisais rencontrer des aides à domicile, le président Macron avait eu la même expression : des « Saintes ». Mais non, je lui avais répliqué, et je répliquerais à Bruno Le Maire : justement, elles veulent exercer leur métier, normalement, avec des horaires et un salaire, avec des revenus et un statut, et non par goût du sacrifice.

Enfin, à qui demande-t-il « le sens du collectif » ? A ces « saints et saintes », comme il dit, qui tiennent l’hôpital debout, malgré tout, malgré les douze heures d’affilée, malgré les rappels le week-end, malgré les vacances annulées, malgré les réductions de budget qu’il impose, lui ministre, depuis des années. Cette année encore, alors que l’inflation de 2022 a été de 5,2 % selon l’Insee, le budget des hôpitaux pour 2023 n’a augmenté que de 4 %.  Et à leurs semblables dans « beaucoup de professions », derrière, les « deuxièmes lignes » qui font tourner les Ehpad, les supermarchés, les pôles logistiques, les usines. A elles, à eux, qui démontrent tous les jours leur « sens collectif », à elles, à eux, d’offrir deux ans de plus.

Mais quand Bruno Le Maire exigera-t-il le « sens du collectif » d’un Jeff Bezos ? De Sanofi ? De tous ses amis nantis ? Leur prendra-t-il, à eux, deux années de revenus ? Non, eux, les grands noms du CAC40, les envoyés du Medef et de l’Afep, c’est tous les jours que Monsieur Le Maire les côtoie, qu’il les reçoit dans son bureau, qu’il les fréquente pour des dîners, qu’il échange dans des cercles, voilà son « réel » à lui : et il les chérit. Les « eaux froides de leurs calculs égoïstes », il les bénit.

Quel temps vivons-nous ?
D’obscénité.

Alors que les Français se rationnent, sur leurs courses en magasin, sur leurs petits plaisirs, restos et cinés, sur leur chauffage, sur leurs vacances pour cet été, que se passe-t-il, en haut ? Depuis trois ans de crise, le Covid puis l’Ukraine, les firmes se gavent comme jamais. « Dividendes records pour le CAC 40 en 2022 », titrent Les Echos. « Les dirigeants du CAC 40 n’ont jamais été aussi bien payés », ajoute Le Figaro. La maladie ou la guerre, tout est bon pour les profits. D’après l’Insee, « les marges des entreprises ont contribué pour plus d’un tiers (37 %) à l’inflation. »

Cette obscénité, de gavage pour les uns, de rationnement pour les autres, est redoublée d’une autre : car que fait l’Etat ? Il l’accroît. Il accroît l’obscénité, il accroît l’injustice. Après l’ISF, la Flat tax, l’Exit tax, etc., voici venue la suppression de la CVAE, la Contribution sur la Valeur Ajoutée des Entreprises, 8 milliards d’euros de cadeaux. Quand, le mois dernier, Emmanuel Macron reçoit à l’Elysée une dizaine de patrons du CAC 40, avec le ministre de l’Economie à ses côtés, est-ce pour en appeler à leur « sens du collectif » ? Non, c’est pour « les rassurer » : « son gouvernement tiendra bon, il n’y aura pas une hausse d’impôt, aucune taxation des superprofits ».

Cet Etat protecteur des forts, et qui écrase les faibles, Bruno Le Maire en est le chef d’orchestre. Tous les jours, il signe sa complicité avec des intérêts très privés, particuliers, sans aucun « sens du collectif ». Mais comble du cynisme : il faudrait, en plus, avec ses quinze seconde sur les Saintes et les Saints, il faudrait en plus, lui accorder un brevet d’humanisme…

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