Ca gaze ?

On m’a prévenu la veille pour le matin : grève des gaziers. J’y suis allé. Mais en fait, ça fait quoi, un gazier ? Comme il vit son métier ? Qu’est-ce qui le motive, qu’est-ce qui lui déplait ?

« Le mois dernier, on est intervenus place du Trocadéro. Des câbles électriques qui se sont enflammés, qui ont endommagé nos ouvrages gaz, avec une grosse fuite à la clé. Nous sommes les premiers intervenants, avec les pompiers. Comme je suis d’astreinte, le téléphone a sonné à 1 h du matin, je suis rentré à 9 h. Chez moi, forcément, ça inquiète ma femme. Ca, ce sont les opérations exceptionnelles, mais la routine, c’est de passer chez les usagers pour des dépannages, leur remettre le gaz, on le leur couper en cas de pépin. »

Farid et ses collègues sont en grève, ce matin, devant le siège de Grdf.

« Après vingt ans dans l’entreprise, et alors que je viens de passer agent de maîtrise, je touche 2 600 € brut,  2 200 € nets, en intégrant toutes les primes, la participation, l’intéressement, le 13e mois. Comment vous voulez vous loger votre famille à Paris avec ça ? Je suis allé tout au bout du 77…
– Le 77 ?
– La Seine-et-Marne, à Provins, là où même le père Noël il perd ses godasses. Eh bien, avec un loyer de 776 €, le proprio a refusé de me louer parce que je ne gagnais pas trois fois le loyer.
– Donc vous êtes logé où ?
– Je suis dans un logement d’astreinte, que je paie à l’entreprise. Mais j’en ai marre, ma femme en a marre, être réveillé à 4 heures du matin… C’est bon. J’ai fait ça pendant vingt ans, je pense que j’ai plus l’âge, et je ne suis pas le seul dans ce cas-là. Ça fatigue, ça tire sur l’organisme, la famille est d’astreinte avec nous. Je voulais en finir avec l’astreinte, mais on est coincés.

– Et donc, là, cette année, votre boîte a relevé les salaires de combien ?
– Elle avait accordé 0,3 % en janvier… C’est se moquer du monde. Quand il y avait le COVID, on était les premiers sur le terrain, je n’ai pas arrêté de sortir. Personne ne m’a donné des masques. Alors qu’ils avaient des masques, ils les ont cachés là-haut. Bref, on fait le boulot, et on nous donne quoi ? 0%, 0,1%, 0,2%. Ils ont gelé nos salaires depuis dix ans, au point que notre grille de salaire, la base, elle est maintenant inférieure au SMIC. Là, en septembre, la branche a renégocié 3,3% en septembre, mais c’est loin, très loin de l’inflation. Alors que la boîte se gave : sur 3,5 milliards de chiffres d’affaires, elle reverse 518 millions aux actionnaires. »

88% de dividendes ?

J’ai vérifié, vite fait, en rentrant, sur Internet, tellement ce chiffre me paraissait hallucinant. Au passage, je découvre sur la page Wikipédia, GRDF appartient à 100% à Engie, la pire gabegie du pays. Ils sont séparés en façade, pour faire genre « y a un distributeur, y a un fournisseur, y a de la vraie concurrence », pour que Bruxelles soit content. Et plus bas, je lis que, eh bien si, c’est bien ça. 88% du bénéfice part en dividendes. Ca ne laisse pas lourd pour les salariés, mais des miettes également pour l’investissement.

 « Ils grattent sur tout. Avant, quand c’était un service public, les fuites, on les réparait. Maintenant, on les ‘catégorise’, niveau 1, niveau 2, on les surveille soi-disant, mais on peut attendre un an, deux ans, avant de la colmater. Avant, un particulier nous appelait à n’importe quelle heure, parce qu’il n’avait plus de gaz, on lui rendait service. Maintenant, après 21 h, il doit payer 150 €, ou alors on attend le lendemain, et même si sur sa facture, il y a une ligne ‘dépannage’ 24 h / 24. Mais surtout, 90% de notre activité, en fait, c’est les sous-traitants. Toute la construction de réseaux, les conduites montantes dans les immeubles, tout est sous-traité. Et on va le dire, tous les travaux de merde, l’amiante, les brais de houille…
– Les quoi ?
– C’est du goudron. Bref, tous les risques CMR, les cancérogènes, les mutagènes, c’est pour eux. Et comme ils n’appartiennent pas à la boîte, on ne peut pas faire de suivi, avoir des données. Même quand il y a un mort sur un chantier GRDF, comme cette année, un intérimaire… Il n’avait pas de papier, il avait emprunté les papiers d’un collègue, résultat, on a peiné à le retrouver… Mais c’était chez le sous-traitant d’un sous-traitant d’un sous-traitant, en cascade, qui recrutait sa main d’œuvre comme ça… Eh bien, notre entreprise, GRDF, a dit qu’il n’y avait pas besoin d’enquête, que ce n’était pas eux les employeurs…

– Et aujourd’hui encore, les sous-traitants sont les grands absents ? Eux, les 3% d’augmentation, ils n’en verront pas la couleur ?
– Et non, eux, c’est chacun dans leur boite. Et ça pose un gros souci pour nous, cette sous-traitance, on perd de la compétence. On n’arrive plus à professionnaliser. Les jeunes qui rentrent, ils ne voient plus le réseau, ils ne voient plus les installations dans des immeubles, on ne les forme plus dessus. Et c’est ces gens-là qui, demain, vont se retrouver en astreinte, qui seront appelés à 2 h du matin, et qui vont devoir repérer la fuite…

– Je voudrais vous demander, quand même : est-ce que vous aimez votre métier ?
– Oui, bien sûr ! A fond ! Sinon on ne serait pas là.
– Alors on a la gratitude d’avoir mis en sécurité les populations. Les remerciements des clients, quand on intervient pour les mettre en sécurité, que ça soit pour leur couper le gaz parce qu’ils ont une fuite, ou pour leur remettre le fluide, ça vaut tout l’or du monde.
– Vous aussi ?
– Oui, on voit que les gens sont contents, le gaz c’est vital. Mais aussi l’adrénaline, parce qu’on fait un travail dangereux. Sur un puits de gaz, ça n’est pas de l’eau, et on est là jour et nuit, aux côtés des pompiers, pour qu’il n’y ait pas d’explosion, que les incendies soient maitrisés. C’est une adrénaline, tous les jours, en se disant : ‘Bah on va faire bien notre boulot, on va la rendre au public, que les gens puissent dormir tranquillement sur leurs deux oreilles.’ Et avec tous mes collègues on s’attache à ça. »

Que réclament-ils, tout bêtement ? De faire leur travail comme il faut. Et d’en vivre comme il faut. Point barre. C’est tout un peuple, aujourd’hui, dans la logistique, dans les hôpitaux, dans l’enseignement, dans les crèches, dans les hypermarchés, etc. qui réclame cette simple décence : faire notre travail comme il faut, et en vivre comme il faut. Une décence, minimale, que des dirigeants qui se gavent, qui font primer les intérêts de leurs financiers, qui laissent flotter, ou couler, le pays au gré de la main invisible du marché, une décence minimale que nos dirigeants sont incapables d’assurer.

Partager :
Pour me soutenir... faites un don !

C’est pas pour moi, personnellement : vous le savez, je ne garde que le SMIC de mes indemnités parlementaires, mais pour continuer d’organiser des événements, de publier tracts et affiches, de mener la bataille des retraites et les suivantes !