Fabienne Youyoutte : « J’ai commencé dans la galerie marchande de Cora… »

Fabienne Youyoutte est artisane, pâtissière, glacière. Elle nous raconte son parcours de combattante pour défendre son coin et ses saveurs : des glaces au piment, au rhum vieux, au manioc !

« J’ai commencé ici, comme boulangère, pâtissière, dans la galerie marchande de Cora… »

Fabienne Youyoutte a maintenant son nom inscrit en grand sur l’enseigne. Et sur les serviettes. Et sur les gobelets. Et surtout : sur les petits pots, où se dégustent ses glaces, sa spécialité.

« À côté de mon travail, il y a vingt et un ans, j’ai ouvert une glacerie à Pointe-à-Pitre. Je suis allée voir la banquière : elle refusait de me prêter, il fallait que j’hypothèque la maison de mes parents. Mais pour mon père, il n’en était pas question : ‘J’ai vendu des fruits à pain sous le soleil, alors maintenant tu te débrouilles.’ Finalement, il a cédé, mais maintenant je me rends compte que c’était fou… D’autant plus que le magasin ne marchait pas du tout. Ma mère le tenait en journée, mon mari le soir en rentrant du travail, mais on rentrait zéro euro. Les gens aiment la glace au coco, la glace au coco, la glace au coco ! Ou alors, au chocolat, à la fraise, à la pistache, à la vanille, ils connaissent cinq parfums… Moi, je proposais des glaces avec des produits d’ici : chocolat piment, chocolat rhum vieux… Et surtout, la glace au manioc.

-Au manioc ?

-Oui, c’est celle-ci. Parce que, quand j’étais petite, c’était la misère. J’habitais dans un petit bled, à la campagne, et sur la route de la ville, mes parents me laissaient chez ma grand-mère, une agricultrice. Chez elle, il n’y avait pas de toilettes, c’était la Guadeloupe d’antan. Le matin, au petit déjeuner, ce n’était pas des corn-flakes sur la table, mais le lait de la vache et la farine de manioc. Quand je me comparais aux autres enfants, c’était triste… Mais elle m’amenait dans son jardin, elle m’a appris les saveurs, c’est elle qui m’a donné tous les goûts de mes papilles, et le goût des produits locaux. Et aujourd’hui encore, je travaille avec les paysans de l’île.

-Donc de cette misère, vous avez fait une richesse ?

-Eh bien, pas tout de suite. J’ai failli en faire notre misère ! Parce que ces glaces-là, ça déboussolait les gens. Ca ne marchait pas du tout.

Tous les soirs, je jetais de la glace. Parce que j’expérimentais aussi. Il y avait, quand on allait à la plage avec mes parents, une glace à la coco formidable, mais le glacier a disparu. J’ai mis cinq ans, cinq ans à en rechercher le goût… Et enfin, je l’ai retrouvé.

-Mais à cette époque-là, vous travailliez encore à côte ?

-Justement, j’ai décidé d’arrêter. J’étais enceinte, je suis tombée dans ma baignoire, et je devais rester couchée. J’ai cogité. Il fallait que je me lance à fond, pas à moitié, pas avec un boulot en journée. J’avais vingt-cinq ans. J’ai participé à tous les concours, de la Région, de la Ville… Mais celui qui m’a fait le plus aidé, c’est Philippe Quintin, du Bottin gourmand. Il m’a dit : ‘Avec toi, j’ai trouvé mon loup blanc. Mais pourquoi tu n’es pas plus connue en Guadeloupe ? Moi, je vais te faire connaître.’  J’ai pensé, c’est encore des promesses, parce que, quand ils rentrent en France, ils nous oublient. Mais non, il a parlé de moi aux plus grands chefs, à Claire Heitzler, à Alain Ducasse, à Pierre Hermé… Il m’a fait venir en métropole, et je les ai tous rencontrés. Berthillon, le grand glacier Berthillon, m’a reçue les bras ouverts avec sa fille, il m’a dit : ‘Vous serez la petite Berthillon de la Guadeloupe.’ Et quand je suis rentrée ici, comme j’avais des articles sur moi dans les magazines de Paris, toutes les portes se sont ouvertes. Après, c’est l’inverse : tous les gens viennent vers vous, vous êtes embarrassé…

Pour que ma boutique tourne, à Pointe-à-Pitre, j’ai ajouté de la pâtisserie, de la boulangerie, sinon c’était trop spécialisé. Puis j’ai aperçu un local abandonné sur la place de Sainte-Anne, j’ai ouvert un deuxième magasin. Un troisième ici, au Gosier, que j’ai intitulé ‘Come back’. Il y a aussi un franchisé, trois Monoprix sur l’île qui vendent mes produits, des restaurants… Mais ce que je veux souligner, c’est que je ne suis pas toute seule, nous sommes trente salariés : je suis le moteur, d’accord. Mais pour que ça avance, il faut des roues, un carburateur, etc. »

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