« Un des miens est décapité. En pleine rue. Achetez-vous une dignité »

"Un des miens est décapité." Geoffrey est prof d’histoire-géographie et d’éducation morale et civique dans un collège des Yvelines. Il a publié ce texte sur Facebook, et nous a autorisé à le relayer, ici.

Je ne me suis pas exprimé personnellement depuis l’assassinat de l’un de mes collègues. Je ne le connais pas, mais j’ai un chagrin infini. Pour lui, sa famille, ses proches, ses amis, ses proches. L’hommage national était beau. Émouvant. Poignant. J’ai pleuré à la musique de U2.

J’ai trouvé le discours du président adéquat. Mais je suis également en colère contre toutes ces personnes qui s’émeuvent sans se remettre en question. Sans se regarder dans un miroir. Sans avoir tenu compte de la difficulté de notre profession. Y compris contre le Président de la République, qui a fait un beau discours. Je suis terriblement en colère, depuis vendredi 16 novembre. Et je ne décolère pas.
Je suis scandalisé. Je suis atterré. Je suis outré.

Mon année de stage : Charlie. Réponse : réunion des stagiaires, après coup, pour savoir comment cela s’est passé.

Mon année de titularisation : Bataclan. Réponse : rien.

5 ans après : décapitation d’un collègue d’Histoire-Géo-EMC.

Des « mesures fortes »

On nous promet des mesures fortes. Soit. En attendant, nos heures en demi-groupe en 4e ont été sacrifiées par manque de moyens. Dans des classes de 4e. Sur le niveau où les professeurs enseignent sur le système judiciaire et sur les libertés de la République. Quatre classes de 4e, quand cette génération avait cinq classes sur le niveau de 5e. Plus d’élèves, moins d’accompagnement personnalisé. Et encore, notre établissement avait la chance de bénéficier de ce choix pédagogique, car ce n’est pas une obligation ministérielle. C’est un choix des équipes pédagogiques et de la direction. Ce choix n’a pas pu être renouvelé faute de moyens. Ce n’est pas faute d’avoir contesté en conseil pédagogique ce choix. Qui a été signalé aux parents.

Les médias mettent en cause les parents d’élèves. Ils oublient que ce sont eux qui permettent aux établissements de fonctionner, de s’ouvrir et d’établir des liens de confiance. Ils ne sont nullement responsables de la diminution des moyens. Ils ne sont nullement responsables du manque d’écoute de l’institution. Ils ne sont nullement responsables de l’assassinat de notre collègue.

Moins de temps, trop d’élèves, trop de programmes

On nous promet de la formation sur la laïcité. Comme si les professeurs étaient incompétents sur ce domaine. Donnez-nous toutes les heures de formation, nous les prenons. Mais c’est oublier, que, dans des classes à 30 vous ne pouvez : faire réellement débattre les élèves, amener les élèves à poser des questions à leur professeur, permettre au professeur de prendre le temps de répondre à toutes les questions, limiter les effets de groupe/contestation. C’est oublier que les programmes sont alourdis (sans prévenir les enseignants concernés, au milieu des vacances d’été) et que nous sommes jugés sur notre avancement dans ceux-ci.

Vous voulez que nous prenions le temps d’expliquer la laïcité, la liberté d’expression, nos valeurs, principes et symboles ? Donnez nous du temps, au lieu de nous le restreindre. Sont-ce ces formations qui expliqueront aux parents que la visite de la cathédrale de Chartres n’a pas un objectif prosélyte ? Non. Ce sont les professeurs qui expliqueront.

Sont-ce ces formations qui empêcheront les élèves de mettre le voile lors de sorties/voyages scolaires, au prétexte que nous sommes en dehors de l’établissement ? Non. Ce sont les professeurs qui feront la police. Sont-ce les formations qui permettront aux élèves d’arrêter les insultes racistes et discriminatoires ? Non. Ce sont les professeurs qui feront les rappels aux lois de la République. SUR LE TERRAIN.

« Vos mesures, vos lois, vos votes »

On nous propose la présence des députés et sénateurs en classe le 2 novembre. Restez chez vous. Nous n’avons pas besoin de vous. Vous qui n’avez pas honte d’avoir détruit l’image de notre profession. Par vos mesures, par vos discours, par vos votes. « Aujourd’hui, ce sont les élèves qui sont obligés d’enseigner la morale à certains de leurs professeurs » ; « Les mêmes annoncent déjà des préavis de grève en septembre. Est-ce qu’ils ne pourraient pas un jour déposer un préavis de travail ? » : le sénateur Claude Malhuret. Aucune réprobation de la part de notre ministère. Aucune réprobation du Premier ministre. Aucune réprobation du Président de la République Française. Non. Des rires. Au Parlement. Mais quelle honte. Quelle indignité.

On nous promet le soutien du ministère. Cela se passe commentaire. Réforme de 2016. Réforme du lycée. Réforme des retraites. Malgré les remarques, le mécontentement, puis la contestation, nous n’avons pas été entendus. Passer une réforme contre l’opinion des professeurs est une victoire politique. Voilà où nous en sommes. Et maintenant on nous explique que la profession a été « choyée ». Quelle honte. Achetez-vous une dignité.

« Les preneurs d’otages » ne sont pas dupes

Dans cette crise sanitaire sans précédent, on nous explique que tout a été préparé dans l’enseignement. Les programmes scolaires sont ajustés fin juillet, sans prévenir les professeurs par un mail. On nous promet des masques. Ils arrivent 3 semaines après la rentrée. Aujourd’hui ils sont considérés comme toxiques. ACHETEZ-vous une dignité. « Nous continuerons, professeur ». Dans votre absolue déconnexion des populations auxquelles nous enseignons ? Dans votre mépris ? Dans votre méconnaissance réelle du terrain ? ACHETEZ-VOUS UNE DIGNITÉ.

Les « preneurs d’otage » ne sont pas dupes. Ce sont eux qui défendent les élèves et leurs conditions de travail. Quitte à perdre des journées de salaire. Les « preneurs d’otage » sont face aux élèves. Tous les jours. Ils font leur travail pour ouvrir des possibles aux enfants qu’ils croisent. S’ils s’indignent, c’est parce que les choix politiques obstruent, détruisent, ces possibles.

Les « preneurs d’otage » imposent des règles. Malgré les contestations. C’est mon cas. Imposer des règles, communes. Imposer des sanctions communes. Imposer des valeurs communes. Ce sont les professeurs qui l’instillent. Malgré les remarques. Malgré les revendications. Malgré les « menaces à la hiérarchie ».

« Un des miens est décapité »

J’aime mon métier. Depuis l’école primaire je voulais être professeur d’histoire-géographie. Toutes mes études sont allées dans ce sens. Aujourd’hui j’ai envie de vomir. J’ai envie de quitter mon métier de Don Quichotte. Un des miens est décapité. En plein jour. En pleine rue. A 300 m de son lieu de travail.

Et le ministre de l’intérieur parle des rayons « communautaires » dans les supermarchés. Le ministre de l’Education parle de l’islamo-gauchisme à la France Insoumise. Et le ministre de l’Education nationale ne veut plus entendre l’expression « pas de vagues ».

Allez vous faire foutre. Bien profondément. Douloureusement. (vous vous reconnaîtrez).

20 réflexions au sujet de “« Un des miens est décapité. En pleine rue. Achetez-vous une dignité »”

  1. Le message de ce professeur qui dit « achetez-vous une dignité » m’a tellement émue, parce qu’il l’a écrit dans la douleur, le dégoût de ces politiques qui ne donne que le mépris, qui méprisent, entre autres « salariés de la république, ces enseignants totalement abandonnés à leur sort. Ce message qui vient du cœur et des tripes, il faudrait que ces messieurs en costumes le lisent et qu’ils comprennent qu’il est grand temps pour eux de quitter la « scène »… Ils n’ont pas notre confiance ni notre respect.

  2. Ce gouvernement est dans le droit fil du libéralisme avec la particularité de tout détruire pour faire le lit du privé.
    A cette fin il oublie d’assurer la sécurité des citoyens et d’imposer la laïcité conforme à la constitution en faisant appliquer les lois de la République. Lorsque les drames surviennent les médias se chargent de nous abreuver de contre-vérités et trouver des boucs émissaires les  » islamo gauchistes  » enfin ! Une super cérémonie pour faire prendre l’air aux vieilles croûtes parisiennes.

    Ls santé n’est pas en reste, les promesses et la brossé à reluire sont leurs arguments principaux.
    Ils sont tellement nuls qu’ils pensent que la France les admirent, et se présentent sans honte pour expliquer que ce sont les français indisciplinés les responsables bien que pendant les vacances d’été ils ont laissé toute la France se contaminer et permis aux étrangers de pénétrer chez nous sans aucunes précautions.

    A présents, les mesures excessives prises après avoir créé un climat de peur et de panique vont permettre de faire passer des lois liberticides et contraire à l’intérêt général comme la réforme des retraites.

    Encore un an et demi à supporter ce clan d’enarques qui ont squatté routes nos institutions et mettent la France dans un état pitoyable.

  3. OUI, comme ce professeur, et comme nous y inviter Stéphane HESSEL (malheureusement décédé) indignons-nous !

  4. Merci Mr Ruffin pour cette publication.
    Longue lettre de ce professeur touché et en colère, comme beaucoup… Tous métiers, professions, postes de travail confondus.
    Mais qui ose encore sortir et manifester ? Fatigue, répression policière, peurs, pressions morales, épuisement moral, déshumanisation par la peur, les menaces, les lois liberticides, le conditionnement par les médias…!
    Que va-t-il advenir des mois qui arrivent ?
    2ème vague fabriquée de toutes pièces, hôpitaux démembrés, personnels soignants épuisés, démotivés, en sous effectif…

  5. Je suis totalement d’accord avec tout ce qui est dit dans cette lettre. On ne nous permet plus d’enseigner, on nous oblige à évaluer, évaluer, évaluer. C’est tt ce qui compte. Des chiffres pour mettre dans des tableaux Excel et s’auto satisfaire d’un travail bien fait. Le travail est fait par des humains pour des humains qui sont mécontents de la façon dont on les méprise et ce partout, pas seulement dans l’éducation nationale. J’ai honte.

  6. Merci François pour avoir relayé ce coup de gueule tellement juste et justifié. On se sent moins seul.
    Qui osera parler des primes de sujétion de ces messieurs dames des rectorats pendant que nos salaires n’augmentent pas ?
    Pourquoi personne n’est choque?
    Idem pour les primes des proviseurs. Ne sont elles pas conditionnées au pas de vague pas de plainte pas de signalement pas de conseil de discipline? Kafkaïen…Et les profs en crévent.

  7. Tout est dit, et c’est tellement limpide, évident à condition de vouloir le voir, l’entendre mais il n’y a pas pire sourd que celui, ceux, qui ne veut pas l’entendre. Honnêtement, qui veut que nous fassions réfléchir nos élèves ? Il ne faut pas des citoyens mais des consommateurs soumis Panem et circenses

  8. Tout part à vau l’eau et ça dure depuis quelques années sauf qu’avec le gouvernement actuel rien n’a plus de sens rien de concret et sensé. Tout se délite inlassablement. Je suis jeune retraitée et je ne reconnais plus ma France. J’ai mal face à ce que je vois.

  9. Quelle belle vérité, mais ce sera comme d’habitude il n’y aura pas de suite. tous ces gens bien bien placés ne ferons pas de vague comme ils le conseillent. Tout est à remanier par des personnes qui côtoient la vraie population qui tous les jours voient les erreurs que ces hauts placés font dans la gestion de notre république qui va de plus en plus mal.

  10. Après les policiers , après les personnels soignants , allons nous applaudir aussi les enseignants ? Une chose est certaine c’est que cela ne coûte rien et encore moins si l’on oublie dès la plus petite embellie !
    Je suis triste du sort fait a cette pauvre fonction publique ,vilipendée a fond de médias , de gestionnaires de la nation , de bons a pas grand chose , souvent issus de ses rangs , sacrifiée sur l’autel du profit , tout le monde la conchie , et n’a de cesse de vouloir y entrer ,ou y pousser ses rejetons !

  11. Merci François pour tous ces témoignages que tu mets sur le devant de la scène, que tu défends et qui se changent en énergie de vie grâce à ta propre énergie tellement humaine.

  12. Merci à toi François et á Geoffrey. Je suis aussi très en colère…la hiérarchie de l’Education Nationale brille par sa lâcheté!! Honte à eux tous !! Une ancienne qui militait pour sauver notre École publique Susana

  13. Bonjour MR Ruffin.
    Je vous lis depuis qq temps. Vous avez le mot juste.
    Je me demande où va la FRANCE. JE n’ai pas été aussi désorientée qu’à ce jour.
    J’ai comme vous beaucoup de Manifs à mon actif. Mais ce jourd’hui comment faire pour nous faire entendre ? Amicalement

  14. Très touché par cette vérité qu’il fallait dire, et ce brave professeur le dis si bien. Merci François Ruffin de nous informer sur des événements qui pourraient passer inaperçu alors qu’ils sont si important pour la bonne marche de notre société.

  15. Très touché par cette vérité qu’il fallait dire, et ce brave professeur le dis si bien. Merci François Ruffin de nous informer sur des événements qui pourraient passer inapervus alors qu’ils sont si importants pour la bonne marche de notre société.

  16. Je ne suis pas enseignant, mais je vous soutient de toutes mes forces. L’école en France ne tient bientôt plus que par l’acharnement et le talent des enseignants contre vents et marées et en particulier contre l’inconsistance de l’administration censée la promouvoir.
    Courage et espoir : un jour peut-être on changera de politique et/ou de politiques.

  17. Evidemment ce n’est pas bien de décapiter une personne mais peut-on un instant imaginer ce qui se passerait si une caricature montrait Jésus Christ nu en train de forniquer. Aucun commentaire ne fait mention de la provocation que cela représente, insupportable pour certains, il faut croire que la propagande officielle est particulièrement efficace…c’est navrant.

  18. Merci François. Je quitte aujourd’hui le navire éducation nationale après 10 ans de bons et loyaux services avec « ma b**e et mon couteau ». A regret car je n’ai que 35 ans, encore toutes mes dents et de l’indignation à en revendre. Assez de cette hiérarchie moribonde, sans ambitions et couarde à souhait qui appauvrit intellectuellement les enfants de la classe populaire pendant que les leurs sont astreints à l’excellence dans des écoles qui ne le sont pas moins.
    Je vomis ce gouvernement pour qui je n’ai pas voté, je crache à la gueule de leur mépris et de leur indécence pour les français que nous sommes. Je souhaite très profondément que les malheurs qu’ils font s’abattre sur nous s’abattent sur eux tels les 12 plaies d’Egypte. Un des miens a une fois de plus été touché. Pensées fortes à celles et ceux qui tombent dans le silence, l’étouffement et l’indifférence de l’éducation nationale avec la parfaite complicité des rectorats, chefs d’établissements peureux et autres parents d’élèves sans gênes ni limites.
    Un des miens est une fois de plus tombé…et je quitte le navire Education Nationale !
    Emma.

  19. L’indignité ne suffit plus il est grand temps de se révolter contre les pompiers pyromanes de cette pseudo-république ! Le mot république utilisé à toutes les sauces par les responsables politiques de nos gouvernants post CNR est la preuve de leur volonté de détruire le véritable idéal républicain, en le monopolisant et en le vidant de son sens . Leur république n’est pas la notre mais celle de Mr Thiers, Barbier et ses copains. Honorons une bonne fois pour toute nos valeureux membres du CNR !

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