C’est le même refrain partout.
« Si je paye cette facture, je ne paye pas mes salariés, mes fournisseurs et le reste de mes charges. » Lundi, un boulanger de Picardie bloquait un rond-point, en distribuant des viennoiseries aux automobilistes, accompagné de gilets jaunes : sa facture d’électricité est passée de 1800 euros avant la crise à plus de 12 000 euros. Le même récit pour Damien, boulanger en Seine-et-Marne, qui a reçu sa nouvelle grille tarifaire d’EDF : de 8 600 euros en 2022, il passera à 29 000euros pour 2023 : « Dans le monde artisan, on sait qu’il y a toujours des galères, mais là on est impuissant. On nous achève ».
Il y a quelques semaines, déjà, j’étais allé à la rencontre de la manif des artisans-bouchers, à côté de l’Assemblée. « Engie est venu me voir, un jour, pour me prévenir : « Attention, votre tarif va être multiplié par deux. » J’ai perdu le peu de cheveux qu’il me restait. Comment je vais faire pour mes fours, mes frigos ? » Pour son voisin, près de Moulin : « J’ignore le prix que je vais payer au 1er janvier, si ça sera doublé ou triplé. J’essaie d’appeler EDF, mais ils sont saturés. Ça ne répond plus là-dedans. » Mais le record revient à un Parisien : « Total Energies a carrément décuplé ses prix ! Par dix ! Je suis passé de 400 € par mois à 4 000 €… Il m’a fallu mener tout un combat, avec un avocat, pour changer de fournisseur. » Je cause avec eux : « Mais finalement, vous voulez quoi ? Des aides ?
– Non, franchement, on ne veut pas vivre des aides, ou alors juste en urgence. Mais il nous faut de la stabilité, les factures ne peuvent pas faire des bonds comme ça…
– Donc, le bon vieux tarif réglementé ? EDF nationalisé ?
– Eh bien oui, ça a marché comme ça pendant des décennies… »
J’en profite pour les taquiner : « Vous êtes de gauche, sauf que vous ne le savez pas ! Ça ne vous arrange pas, au fond, la concurrence à tout-va ! »
Sur l’énergie, sur l’électricité, nous pouvons avoir un front large, uni, aujourd’hui dans notre pays.
Au mois de novembre, je me baladais au Congrès des Maires et, partout, c’était la même histoire : d’un côté le maire du Tréport, en Normandie, « On vient de lancer un appel d’offres et EDF, le moins cher, nous annonce 1 860 000€, c’est 600% d’augmentation ! Comment on va tenir si l’Etat ne met pas la main à la poche ? », de l’autre le maire de Pleybert-Christ, en Bretagne, « Cette année, on doit renouveler nos contrats sur l’énergie. C’est vraiment pas de chance que ça tombe là : le prix de l’électricité va être multiplié par trois, le gaz par cinq. Pour une petite commune comme la mienne, c’est + 350.000 € par an. ». En résumé : « Depuis 2 ans, on ne fait que du fonctionnement, on ne peut quasiment plus porter de projets. Bref, on ne gère plus que les emmerdes. »
Je croisais d’ailleurs un petit industriel, sur ce salon, les Fonderies De Chaumont, qui fabriquent surtout des plaques d’égout. « L’électricité, me confiait le patron, c’est passé de 4 % de notre chiffre d’affaires en 2019 à 8 % cette année, et ce sera entre 15 % et 20 % en 2023. » Que souhaitait-il ? « De la régulation, comme du temps de nos parents. » A la briqueterie Tellus-Ceram, dans le sud-ouest, on me chantait le même air, contre « la spéculation », avec cette conclusion plus abrupte : « Le capital tue le travail. » Un patron, toujours, Mesmin Bémagnes. Et le patron des patrons lui-même s’y met, Geoffroy Roux de Bézieux himself, le président du Medef : « Il y a urgence de changer ce système absurde du prix européen de l’énergie. Ce système de guichet mis en place par Bruno Le Maire ne fonctionne pas. Il faut qu’il y ait une volonté politique pour sortir de ce marché européen. Je suis très inquiet : il y aura des faillites cet hiver. Je lance l’alerte. »
Sans parler de l’immense alliance, une évidence, avec les usagers, avec les locataires déjà noyés dans les « charges », avec les Français que les +15% de janvier sont en train de frapper, avec les particuliers sortis du tarif réglementé et qui le regrettent mille fois.
Tous, la même demande, simple, évidente, répétée sur tous les tons : « des tarifs réglementés ».
Voilà pourquoi, invité par la CGT-Energies il y a quelques semaines, j’enjoignais les camarades : « Ne nous replions dans notre village gaulois ! Ne nous vivons pas comme une minorité ! Nous sommes la majorité. Nous sommes la majorité à vouloir sortir l’électricité du marché. Nous sommes la majorité à réclamer un EDF vraiment renationalisé, des tarifs vraiment réglementés. Ils sont la minorité, ils sont la minorité barricadée à l’Elysée et à Bruxelles, ils sont la minorité à vouloir laisser ça à la folie d’une concurrence à tout va ! CGT-boulangers-bouchers-maires-usagers-patronat, même combat ! ».