Christine : Je suis à 1500€ net, un peu plus de 1800€ brut, avec quand même 34 ans d’ancienneté chez Carrefour. Comme responsable de rayon DPH, Drogueries Parfumerie Hygiène. Les lessives.
Moi : Ca doit être dur à porter les lessives ?
Christine : Lorsque j’ai commencé, il n’y avait pas de tire-palette électrique, donc on se tapait les palettes à la main. On a les genoux qui sont esquintés, le dos pareil. Dans Carrefour, beaucoup de salariées, beaucoup de filles, passé cinquante ans, elles sont licenciées pour inaptitude. Donc la retraite pour elles, c’est une illusion puisque qu’elles seront au chômage, puisqu’elles ne pourront plus travailler. C’est pour ça que la retraite à 60 ans, c’est une vraie demande. Et la reconnaissance de la pénibilité aussi.
Et sur les salaires, 2000 € bruts, ça serait normal, respectable, raisonnable. Il faut avoir du respect pour les travailleurs, pour les gens qui travaillent tous les jours, qui se lèvent, qui ont supporté le Covid, qui ont tenu le pays debout, et qui en fin de compte ne reçoivent rien. Juste une prime, une fois, et puis après plus rien.
On a eu droit ç une espèce de conférence et concertation sur les « deuxième ligne », qui n’a abouti à rien du tout. Quand on veut se débarrasser d’un problème, le Général de Gaulle disait : « On crée une commission. » Macron, quand il veut se débarrasser d’un problème, il fait une conférence ou une concertation. On l’a vu avec le climat, on va le voir avec les salaires.
Moi : Sur les retraites aussi. Tu as quel âge, si je puis me permettre ?
Christine : J’ai soixante ans, et sans la précédente réforme de 2009, je serais en retraite actuellement, parce que j’ai commencé jeune. Donc c’est un peu dur à avaler. Là, je vais partir en retraite à 63,5 ans. Qu’est-ce qu’il me restera à vivre en bonne santé, après avoir été esquintée par le travail? Plus grand-chose, et ça c’est une vraie injustice. Et pourtant, j’aimais bien mon métier, j’aimais le travail d’équipe. Parce qu’à l’époque, on était vraiment « responsable » du rayon, on passait les commandes, on faisait des choix. Avec les nouvelles organisations du travail, dans la grande distribution, on a fragmenté les tâches, les gens maintenant font du travail répétitif. Chef Carrefour, la mise en rayon, c’est toute la journée, toute la journée le même geste, ils vont s’user prématurément. Le temps de récupération n’existe plus, c’est une mono-tâche. Et la mono-tâche elle fait que les gens ne sont plus motivés : on ne voit pas la finalité de son travail puisqu’on fait des choses morcelées.
Carrefour, maintenant, c’est Colony Capital. L’année dernière, 400 millions d’euros ont été versés pour les actionnaires. Cette année, ce sera sûrement la même chose, et pas grand-chose pour les salariés.
Quand on lui parle d’augmentation de salaire, M. Bompard, notre PDG, dit qu’il faut – je le cite – « conserver la compétitivité du groupe Carrefour », donc toujours sur le dos des salariés. En 2017, quand Alexandre Bompard est arrivé, c’était 110 000 salariés, on arrive à 85 000 maintenant.
Moi : Près d’un quart qui sont partis.
Christine : Qui sont partis avec des plans de sauvegardes de l’emploi, des plans de départs volontaires, mais aussi par passages en location-gérance des magasins. Des magasins qui sont loués, et dedans, les salariés n’ont plus de primes, plus de CSE, et c’est là-dessus que se fait la différence entre les locataires-gérants et les intégrés, c’est là-dessus que le bénéfice de Carrefour se fait. Carrefour Market c’est 1000 magasins. Il n’en reste que 280 intégrés. Et la bataille qui se joue maintenant, c’est celle des hypermarchés, qui vont aussi passer en location-gérance.
Moi : C’est une forme de sous-traitance ?
Christine : Oui. Le directeur-franchisé, il va bien falloir qu’il dégage une marge, qu’il dégage du profit, et sa seule solution, ce sera sur les salariés.
Moi : C’est comme quand j’interroge une pompiste de chez « Total », il y a Total marqué sur la station avec les grands drapeaux Total, mais en vérité elle est à 1353 €. Elle est franchisée. Et elle dépend juste d’un petit patron du coin.
Christine : C’est un mouvement général du capital, passer par des prestataires et ne plus avoir de groupes intégrés. Il s’agit de démolir les statuts, qu’ils soient dans le privé ou dans le public, se débarrasser du salariat.