Selon un sondage Harris Interactive pour La France Insoumise, réalisé entre le 22 et le 23 février auprès de 2402 personnes de plus de 18 ans, représentatives de la population française, 81% des sondés se disent favorables à la proposition de loi que nous portons depuis deux mois pour la reconnaissance des troubles psychiques liés au travail.
Stress post-traumatique, dépression, anxiété : on estime à 400 000 le nombre de personnes qui subissent les défaillances managériales des entreprises, chaque année, en France. Elles sont 500 à être reconnues en maladie professionnelle, au cours d’un véritable parcours du combattant.
Ces salariés, nous les avons cités longuement en audition, dans notre texte de loi et notre rapport parlementaire car ils exposent eux-mêmes très clairement le drame qu’ils vivent dans leur chair, ou plutôt dans leur esprit : la non reconnaissance de leur épuisement professionnel. Si le sujet est “interdit”, voire “tabou” pour les directions d’entreprises, il ne doit pas l’être pour la représentation nationale.
Cela fait des décennies que ce syndrome est identifié. Au fil des années, la recherche en psychiatrie et en psychologie a montré que tous les secteurs sont touchés, en particulier les métiers de services : la santé toujours, mais aussi la grande distribution, les assurances, les banques, la téléphonie, la police, l’éducation, les associations…
Ce phénomène est également mesurable. Notamment par le biais de questionnaires adressés aux travailleurs, le plus solide étant le Maslach Burnout Inventory (MBI), que l’Institut national de recherche et de sécurité (INRS) juge particulièrement fiable. Les maladies que produit cet épuisement professionnel sont connues de tous les médecins, de tous les médecins du travail en particulier, elles sont nommées, classées : la dépression, le trouble anxieux généralisé et le stress post-traumatique. Des pathologies identifiées, donc, étudiées, mesurées, classées, nommées, et pourtant déniées. Connues, parfaitement connues, et pourtant non-reconnues. Voilà le paradoxe d’où le législateur doit sortir.
D’autant que l’inscription des risques psycho-sociaux au tableau des maladies professionnelles présente de nombreux intérêts, pas seulement pour les salariés, également pour la collectivité.
Pour le salarié
Aujourd’hui, cette reconnaissance n’est possible que “hors tableau”, via les “comités régionaux de reconnaissance”, en déployant force preuves. Alors que la victime est bien souvent en lambeaux, fragile mentalement, ce parcours du combattant est plus que dissuasif : seuls deux cents à trois cents cas sont reconnus chaque année.
La création de ce tableau créerait, à l’inverse, une “présomption d’imputabilité” de ces pathologies à une organisation du travail, avec instruction par la caisse d’assurance-maladie. Le salarié épuisé, déclaré “inapte”, ne bénéficie, aujourd’hui, que d’un simple chômage. Comme “maladie professionnelle”, les indemnités journalières seront prises en charge à 90% pendant un mois, puis à 80% ensuite, tous les soins seront couverts, une rente sera versée, proportionnelle au dommage causé. Le travailleur sera protégé contre le licenciement, et en cas de licenciement pour inaptitude, son indemnité sera doublée. A l’égal, simplement, d’un salarié subissant un accident du travail.
Surtout, pour le salarié, la souffrance qu’on lui a infligée sera reconnue, officiellement reconnue. Et cela fait partie, justement, du processus de guérison. Alors que le déni public, ajouté à celui de l’employeur, enfonce dans la culpabilité, dans la honte, dans la solitude, dans le “c’est de ma faute”.
Pour la collectivité
Est-il normal que les Assedic, ou la Sécurité sociale, supportent le coût des défaillances managériales ? Comme le disait très justement la ministre de la santé Agnès Buzyn : “concernant les arrêts de travail, le montant des indemnités journalières, de courte et de longue durée, ne cesse d’augmenter, de l’ordre de 5% l’année dernière. Jusqu’à quand l’assurance-maladie palliera-t-elle les défaillances du management au travail ? ” (Journal du Dimanche, 22 octobre 2017).
Qu’on reconnaisse ces pathologies comme maladies professionnelles, et elles seront prises en charge par la branche « Accident du Travail – Maladie Professionnelle », financée à 97 % par les cotisations des employeurs. Les entreprises aux pratiques néfastes se verront pénalisées, leurs taux de cotisations AT/MP augmentant. Sera ainsi appliqué le principe, de bon sens, du “pollueur – payeur”. Et ce sera le bénéfice le plus important, au final : frappées aux portefeuilles, les entreprises seront très concrètement incitées à améliorer leur management, leurs conditions de travail, à protéger la santé de leurs salariés.
Ainsi, nous n’opposons pas la sanction à la prévention : la sanction est une prévention. Sur la route, radars et amendes n’ont-ils pas fait leurs preuves face aux chauffards ? Jusqu’alors, les chauffards sont tranquilles.
On l’a dit : en France, seuls 200 à 300 épuisements sont, chaque année, reconnus comme “maladies professionnelles”, au terme d’un véritable parcours du combattant pour les salariés.
Que l’on compare avec la Belgique, où les risques psycho-sociaux apparaissent dans les tableaux officiels : selon l’Institut national d’assurance maladie invalidité (l’assurance-maladie belge), 83 155 cas ont été reconnus en 2014. Rapporté à la population, ce sont plus 400 000 cas qui pourraient être reconnus, chaque année, en France.
C’est dire l’ampleur du déni.
C’est dire, aussi, l’intérêt pour certains de maintenir le sujet “tabou”, “interdit”.
Ce déni, selon l’enquête menée par Harris Interactive, ne l’est pas pour les citoyens, qui plébiscitent cette proposition de loi.