Banlieue tour : “Il a réussi à joindre le bailleur !” (par le collab’)

La semaine dernière, François faisait son “banlieue tour” en Seine-Saint-Denis. C’est une amie qui lui a proposé ce périple, de lui ouvrir son carnet d’adresses, et il a accepté parce que, ce monde-là, au-delà du périph’, en toute franchise, il le connaît peu, et mal.

“Le rural ouvrier, il dit, les villes de province, leurs quartiers populaires, ça va, j’ai des intuitions là-dessus. La banlieue parisienne, pas trop, et pourtant il faut : c’est le pays, aussi. C’en est même un coeur névralgique, du pays, par sa jeunesse, par sa misère et sa richesse, par le flux du Capital.”
Il fallait aller voir, sentir un peu.
Je l’ai donc accompagné durant deux jours, d’un ascenseur en panne à un club de foot, d’une mairie à une mosquée, de parents d’élèves inquiets en architectes novateurs. Avec un truc qui ressort: la distance, sinon la coupure, avec les institutions.
Mon récit de quelques bouts.

Monsieur Ascenseur

Fouad Ben Ahmed, c’est un peu le VRP de la misère. Très élégant, manteau noir, pantalon de costard, chaussures bien cirées, et une sacré gouaille, mi-éduc’, mi-politicien. On le retrouve à la cité de la Madeleine. Une dame, la quarantaine, teinture un peu fatiguée, nous raconte :

« Ça fait 10 ans, 15 ans, qu’on demande à avoir un ascenseur dans l’immeuble. L’année dernière, on a fait une pétition avec l’amicale des locataires. Pas eu de réponse… Alors que Fouad, lui, il a réussi à joindre quelqu’un de chez 3F ! ». Ca lui paraît un miracle, déjà, qu’il ait réussi à joindre le bailleur.
Fouad raconte : « Il y a 2 ans, en janvier, j’organise une paëlla républicaine et une femme, handicapée, qu’on avait invitée, ne vient pas. Pourquoi ? Parce que son ascenseur est en panne depuis un mois et demi, et que la réparation n’est pas programmée avant dans deux mois. Alors on s’est rendu dans le 92, au pied de Otis, la société d’ascenseur, pour faire une manif, on a communiqué sur les réseaux sociaux le numéro de téléphone pour que les gens les appellent en série. »

Et là, « en off, un technicien de chez Otis m’explique que les cartes mères de ascenseurs tombent toujours en panne parce que c’est du low cost, à cause des appels d’offres au rabais du bailleur ».

Depuis, Fouad a lancé, avec d’autres, le collectif « Plus sans ascenseur ». Objectif : identifier et résoudre les problèmes collectifs liés à l’habitat, donc bien sûr, entre autres, le problème des ascenseurs. Plus loin, il nous montre : « Dans cet immeuble, l’ascenseur est en panne depuis cinq ans… cinq ans ! Un mec est venu m’en parler au café, j’ai tapé à toutes les portes. » Y a pas que les ascenseurs. Abdul, un copain à Fouad, nous explique : « J’avais des problèmes chez moi, la merde de l’immeuble refluait dans mes canalisations, c’était épouvantable… Fouad s’est pointé à deux heures du mat’ pour nous aider, gueuler un gros coup. Mais Emmaüs Habitat s’est mis du béton dans les oreilles. »

Depuis, Fouad (membre du PS, on le signale par transparence) a noué des liens avec ce bailleur. C’est moins pire. Tandis qu’avec 3F, installé à Suresnes, dans l’autre banlieue, le 92, la distance demeure. Et pas que géographique.

Monsieur le maire

Nous voilà dans le Val d’Oise, “la Seine Saint Denis de la Seine Saint Denis”, les pauvres repoussés plus loin. La commune a connu ses heures chaudes, ses émeutes, et depuis on n’y porte pas les médias dans le coeur. Aussi, le maire nous reçoit, mais sans désir aucun de publicité, avec garantie d’anonymat plutôt.

« Le problème, ici, sur le logement, ce n’est pas forcément le logement social, c’est surtout les copropriétés dégradées. Par exemple, on a une barre dans un état déplorable ».
Côté emploi ? « Il y en aurait, à l’aéroport de Roissy, mais c’est à dix kilomètres. Comment les gens font pour s’y rendre, vu le manque de transports publics ? A la place, il se développe tous les types d’économie informelle : il y a les mamas qui ouvrent leur fenêtre en rez-de-chaussée et qui vendent des plats cuisinés maison. Ou alors les espaces conviviaux sont squattés, parfois avec des chapiteaux, une grosse sono et de l’alcool à gogo, on fait payer l’accès à un jardin public. La dernière fois, c’était un pasteur d’une communauté afro-antillaise qui faisait une fête payante… Et puis le trafic de drogue, bien sûr. Mais que voulez-vous ? C’est la misère. Les gens se débrouillent. »

Et la police ? « Après les émeutes, durant quelques années, c’est vraiment resté tendu, mais grâce à une mobilisation citoyenne et grâce au travail acharné d’un commissaire pour tisser du lien entre habitants et policiers, ça va mieux. »

Les parents d’élèves

Au siège de la FCPE93, à Bondy, les parents d’élèves nous accueillent. Karima nous passe sa pétition : « Il manque un professeur de mathématique pour assurer les cours dans le collège de ma fille, à Pavillon-sous-bois. Le prof s’est mis en arrêt maladie le lendemain de la rentrée, ça fait 3 semaines que plusieurs classes, dont celle de ma fille, n’ont eu aucun cours de math. » On lit : « Nous sommes lassés d’entendre que le viviers de professeurs en Seine-Saint-Denis ne permet pas de garantir leur remplacement ». On calcule, il manque peut-être 300-400 profs.

Alixe est énervée. Contre le rectorat. Mais contre la drogue, aussi: « C’est pas qu’un problème de sécurité, c’est un problème de santé publique ! On va se taper des troubles psychiatrique, des gamins qui font des AVC, ou qui ont des poumons pourris, à force de fumer de la merde… Je sais pas s’il faut légaliser ou quoi, mais c’est un gros souci. » A Pantin, un parent témoigne que le recrutement a lieu à la sortie du collège. « Les dealers, ils traînent à la sortie et ils disent ‘tu veux pas te faire 20€’… Alors, avec les parents et les riverains, on s’organise, au moment stratégique, on vient, on occupe l’espace public. Ça ne fait que décaler le problème mais au moins, ce n’est plus à la sortie du collège. »

En gros, notre modeste sentiment, après 48 h, au terme d’une visite expresse : les soucis sont plus aigus ici, de drogue, de prostitution des mineurs, de tension avec les policiers. Mais avec, aussi, surtout, des soucis qu’on retrouve ailleurs : de logement, d’emploi, d’éducation. Des inquiétudes, pour le coup, partagées avec les villes de province, leurs quartiers populaires, ou le rural ouvrier.

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