Ma soirée Baby Boom sur TFX : la naissance sera télévisée… et tant mieux ?

C’est cucul la praline, on estimera. Ou du voyeurisme de télé-réalité. Soit, évidemment, y a de ça. Mais à vrai dire, ça me plaît.

Enfoncé dans le canapé, je zappe sur la télé. Quand je suis crevé, le soir, des heures peuvent s’écouler devant tout et n’importe quoi : Pascal le grand frère, Spécial Crime, des émissions de déco, Super Nounou, et plus rarement les jeunesses comparées des princes Guillaume de Prusse et Rodolphe d’Autriche. Je navigue plutôt entre TMC et W9 qu’aux alentours d’Arte. Hier, donc, sur TFX, je tombe sur Baby Boom.

On est dans une maternité. On suit des couples, avant l’accouchement. Des couples, oui, parce que le père est là, du début à la fin, soutenant la future maman, à l’entrée, dans les couloirs, lui relevant un coussin ensuite dans le lit, lui serrant la main durant les poussées, coupant le cordon ombilical, emportant la mini-crevette pour la pesée. Et ils témoignent enfin, côte à côte, face caméra. Lui dit d’elle qu’elle s’est montrée hyper-courageuse, que d’ailleurs toutes les sages-femmes lui ont répété, qu’il est ultra-fier de sa compagne. Elle dit de lui que c’est un pilier, qu’heureusement qu’il était à ses côtés, que c’était une magnifique journée ensemble et ça ne fait que commencer.

C’est cucul la praline, on estimera.
Ou du voyeurisme de télé-réalité.
Soit, évidemment, y a de ça.
Mais à vrai dire, ça me plaît.

Y a tellement de reportages, de séries, de films, qui reposent sur la mort, sur la mort violente, le crime à élucider, à réprimer, voilà un show qui repose, au contraire, sur l’autre bout de l’existence, sur la naissance, sur la vie qui apparaît. Et qui s’efforce de construire, sinon un suspense, du moins une tension, un récit, autour de ces premiers instants.

Autre chose aussi, sur les pères, sur leur place.
Durant des siècles, la naissance, c’était une affaire de femmes, avec les hommes au loin, absents. Et cette distance, physique, disait aussi une autre distance, affective : il fallait feindre la froideur, ou l’éprouver pour de bon, pas d’émotion, l’homme dur, loin de toutes ces matières, la merde, le sang, les pleurs.
Puis un homme a surgi, en blouse blanche, mais pour tout diriger, pour remettre de l’ordre là-dedans, des mathématiques presque, contre les épanchements, les débordements des accouchements. Pour le meilleur, une chute de la mortalité infantile, et pour le pire : la domination du corps féminin, souvent son humiliation, et même sa mutilation avec, par exemple, l’épidémie des épisiotomies.

Un certain équilibre se cherche, se trouve, aujourd’hui. Le gynéco n’est plus omniprésent, écrasant, plutôt à l’arrière-plan. Les sages-femmes sont en première ligne, les mères comme héroïnes, lui n’intervient qu’en cas de besoin, de complications : dans Baby Boom, c’est une grossesse gémellaire, avec le second bébé qui s’est retourné, qui n’arrive plus tête en avant mais de côté.

Un certain équilibre avec les pères, aussi, qui ne sont plus exclus, qui s’incluent, en second rôle, certes. Qui participent, assistant leur compagne. Qui partagent leur affection, leur tendresse, leurs peurs, leur joie. Qui le partagent, même, avec moi, dans mon salon, avec des milliers de Français avec le poste de télé, c’est-à-dire : qui acceptent de se montrer dans leur fragilité. Imagine-t-on la révolution ?

Il me semble que j’appartiens à une génération charnière, sans doute aussi parce que ma famille est passée des campagnes à la ville, de la paysannerie à la petite bourgeoisie. Être un homme, c’était se couper de ses sentiments, en éprouver, évidemment, mais ne pas les exprimer, avec le silence pour loi.

Être un enfant-homme, c’était s’endurcir, le physique endurci mais le moral aussi, se forger une carapace, une armure face à la vie. Je ne juge pas : la guerre guettait. La faim. La pauvreté. Les drames. Et devant l’adversité, il fallait tenir bon malgré tout, tenir debout.

En combien ? En deux, trois, quatre décennies, cette manière d’être est bouleversée. Elle existe encore. Elle existe encore, profondément, dans la société. Elle existe encore, plus que des traces, au fond de chaque homme : des siècles d’éducation ne s’effacent pas. Elle existe encore, mais cette manière d’être homme n’est plus dominante. Elle n’est plus commandée, recommandée. Elle n’est plus le modèle à suivre. Baby Boom me dit ça.

Ce que Baby Boom ne dit pas : presque rien sur les sages-femmes, sur leurs courses d’une salle d’accouchement à la suivante, sur leur sous-effectif, leur sous-paie, leur lassitude, leur sentiment, souvent, de « mal faire leur travail », etc.
Parce que la naissance aussi est politique.

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