Au bal des barbouzes de Bernard

Mon affaire face à Squarcini et compagnie, c’est un peu « James Bond chez les ch’tis ». C’est la pièce joyeuse, rieuse, d’un puzzle beaucoup plus sombre : les méthodes de voyous dont use Bernard Arnault, depuis quarante ans, face à la presse ou à ses concurrents. Le recours récurrent aux barbouzes.

Lors de notre procès, Tristan Waleckx, qui dirige aujourd’hui Compléments d’enquête, est venu témoigner à la barre : « Benoît Duquesne, qui était mon chef, m’avait confié à propos de LVMH : ‘Les vrais méchants, ce sont eux’. C’était fin juin, dans sa maison des Cévennes. » Dix jours plus tard, il était retrouvé mort.
« Avec Benoît, nous avions travaillé sur le financement libyen de la campagne de Sarkozy, nous avons travaillé sur les comptes en Suisse de Jérôme Cahuzac… Mais sur aucun dossier, aucun, ça n’a été aussi tendu que sur ce reportage consacré à LVMH, en 2014. »

Retour sur le tournage de « Bernard Arnault, l’homme qui valait 30 milliards » (et qui en vaut 190 aujourd’hui).

Episode 1. La pose de micros

« J’avais retrouvé le nom de Philippe Mourleau dans un article du Canard enchaîné, daté des années 90. C’était un agent privé, qui s’était fait condamner, notamment, pour la pose de micros à Libération. Parmi ses donneurs d’ordre, il y avait Bernard Arnault. »

Un autre témoin, Jean-Baptiste Rivoire, viendra compléter : « A son domicile, on avait retrouvé des cassettes, avec des centaines d’heures d’écoutes, notamment pour LVMH et pour Casino. »

« J’ai appelé Philippe Mourleau. »
Et c’est là que débutent les soucis de Tristan Waleckx : « Benoît Duquesne m’a appelé, en me disant qu’on a un gros souci. Nicolas Bazire, le numéro 2 de LVMH, l’avait contacté. Et là, Benoît me demande de laisser tomber Mourleau, me dit que c’est un mec pas fiable. »

Et de fait, Tristan Waleckx abandonne la piste Mourleau. Il conservera, néanmoins, Daniel Rémy, détective pour la famille Louis Vuitton, qui raconte comment Bernard Arnault faisait poser des micros partout, dans les salles de réunion, sous la table, derrière les meubles etc.

Episode 2. La distribution de billets

En mars 2014, Tristan Waleckx doit s’envoler pour la Roumanie. « Parce que les chaussures Vuitton sont fabriquées là-bas, même si elles sont vendues avec l’étiquette Made in France. Mais Benoît Duquesne m’appelle, après un coup de fil de Nicolas Bazire, et il tente de me dissuader de partir. J’y vais quand même. Nous sommes postés dans une voiture, devant l’usine, et une personne passe en moto et nous prend en photo. Une heure plus tard, Benoît Duquesne me joint, parce que Nicolas Bazire, toujours lui, l’a prévenu que je distribuais des liasses de billets aux ouvrières, qu’il avait des photos. Ca a surpris Benoît Duquesne, mais il m’a quand même posé la question.»

Episode 3. Extorsion de fonds

« Nous débutons le montage, et à un moment, Benoît Duquesne me fait sortir de la salle. Il est blême : ‘Que faisais-tu à Bordeaux le 29 janvier ?’ Je réfléchis. Je vérifie. Je n’étais pas à Bordeaux à cette date, mais à Paris, à Science-Po, accompagné de deux autres salariés de France Télé et deux anciens de Boussac.
Plus tard, lors de mon entretien avec Bernard Arnault, quand je lui montre des papiers du fisc belge, le PDG de LVMH s’énerve, il me menace :
‘Faites attention, on a des preuves de ce que vous êtes allé faire à Bordeaux ! On a des preuves !’ C’était un mystère pour moi.

La brigade financière m’a convoqué une première fois, sur une plainte de Bernard Arnault pour ‘chantage et extorsion de fond’. La policière, elle aussi, m’a demandé ce que je faisais, à Bordeaux, le 29 janvier 2014. J’ai répondu la vérité, que je n’y étais pas. Puis ils m’ont re-convoqué, de façon plus musclée, en m’indiquant que j’avais menti, qu’ils avaient la preuve que j’étais bien à Bordeaux le 29 janvier 2014. Ils m’ont montré des photos, prises, d’après elle, par les services de sécurité de LVMH. Il y avait quatre journalistes près d’un combi Volkswagen. La photo était floue, en noir et blanc. Je ne me suis pas reconnu. J’ai continué à nier. Elle m’a montré la carte grise du véhicule, qui appartenait à France Télé, m’a demandé si Benoît Duquesne s’était rendu sur place ce jour-là… J’en doutais. De retour à France Télé, j’ai rebouclé l’info : c’était un véhicule de France 3 Bordeaux, qui avait servi à une équipe de Télématin pour le tournage d’un reportage sur le cirque de Pékin. Donc, une équipe de LVMH avait filé des journalistes, ne s’était pas fait repérer, mais nous avait confondus avec Télématin ? J’ai pensé qu’ils avaient constitué un faux dossier. »

Episode 4. Le chantier adultère

« Toujours durant cette période, j’ai revu une ancienne collègue de TF1, Michelle Fines. Bernard Squarcini l’avait contactée, en urgence, de manière assez insistante, et ils avaient déjeuné ensemble. C’était à la mi-mars 2014, c’est-à-dire au moment où Nicolas Bazire m’accusait de distribuer des billets en Roumanie. Tout le repas, m’a dit Michelle Fines, tout le repas était consacré à Benoît Duquesne. Squarcini voulait ouvrir deux ‘chantiers’ sur lui, un chantier sur son harcèlement moral : est-ce que des anciens collaborateurs porteraient plainte ? Parce qu’il avait la réputation d’être dur. Et un autre chantier, sexuel, sur ses infidélités…

Est-ce que c’est lié ? Durant ce même printemps, au cours de notre reportage, Benoît Duquesne va se séparer de sa femme, avec qui il était depuis trente ans… »

Episode 5. Comme un clochard

« Tous les ans, fin juin, l’équipe de Complément d’enquête se retrouvait dans sa maison, dans les Cévennes, en un genre de séminaire. C’était à la fois un moment convivial, et de travail. Lui que nous avions connu solide, il était physiquement, psychiquement, ravagé. Un clochard. Durant un entretien individuel, lui qui était d’habitude très fier, qui s’excusait rarement, il m’a dit : ‘Je m’excuse pour mon attitude ces derniers mois. Je n’aurais pas dû te faire subir ça. Je ne peux pas tout te dire, mais là, on a affaire avec des vrais méchants. Avec Sarkozy, avec Cahuzac, c’étaient des politiques, mais les forces de l’argent sont autrement plus puissantes.’ »

Benoît Duquesne meurt une semaine plus tard, le 4 juillet 2014.

« Nous étions tous choqués. »

A l’audience, l’avocat de Bernard Squarcini – qui se prend un peu aussi pour l’avocat de l’autre Bernard – m’a cuisiné : « Vous dites que LVMH est responsable de la mort de Benoît Duquesne… Vous dites même que Monsieur Arnault l’a tué… C’est grave, comme accusations. »
Non, je n’affirme pas ça : il faudrait une enquête, qui serait bienvenue, nécessaire, pour le confirmer ou l’infirmer.
En revanche, j’affirme que LVMH et Bernard Arnault emploient, depuis quarante ans, des barbouzes et usent de méthodes de voyous. Voilà mes accusations.

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