Sages-femmes : “Il n’y a pas que le périnée qui craque”

Parce que les femmes ne veulent plus subir mais choisir, parce que les sages-femmes ne veulent plus d'accouchements déshumanisés, il faut recruter dans les maternités.
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Madame la ministre,
« Y a pas que le périnée qui craque. »
« Cigognes, mais pas pigeonnes. »
« Fini d’être sages, les sages-femmes ont la rage ! »

Ces slogans, je les ai lus sur des pancartes à Amiens, mais on les retrouve à Tours et à Strasbourg, à Paris et à Nancy. Dans des manifestations qui rassemblent jusqu’à un quart de la profession, dans une grève qui dure maintenant depuis plus d’un mois.

Les sages-femmes sous le “diktat des médecins”

Ce mouvement, ce mouvement de conquête, de reconquête, par les femmes, pour les femmes, je voudrais ici en montrer le sens profond, le replacer dans le temps long.

Durant des siècles, les sages-femmes ont procédé seules, sans homme, sans médecin, aux accouchements. Mais voilà que d’un coup, dans l’après-guerre, tout leur savoir millénaire est rejeté comme « des préjugés de grand-mère ». « Elles subissent les diktats des médecins. »

Et c’est un médecin qui me racontait cela, un gynéco, Paul Cesbron, co-auteur d’Une Histoire de la naissance en Occident. « Tout le pouvoir réside, désormais, entre les mains de la Science, – me disait-il – et c’est nous, c’est nous, les blouses blanches, qui savons. »

La Science impose alors la position : ce sera, pour toutes, allongée et les jambes en l’air.
La Science impose, après la naissance, la position du bébé : ce sera sur le ventre, et plus sur le dos.
La Science impose qu’on donne le biberon, et plus le sein.
La Science impose, même, les horaires des biberons – à 8 h, à 11 h, à 16 h.
La Science impose, surtout, d’avoir le sexe tranché :

« Arrive la manie de l’épisiotomie, se souvient Paul Cesbron. Je me vois avec une paire de ciseaux, en train de couper leur périnée. C’est tout de même violent, comme pratique. »

La Science impose, enfin, la date de l’accouchement, avec le déclenchement : « À J+4, hop, on déclenche. Ca correspond, conclut Paul Cesbron, au fantasme de la toute-puissance du médecin : le bébé ne naît plus, on le fait naître. »
La naissance est médicalisée, monitorée, technicisée, déclenchée.
La femme devient « patiente », presque passive, elle subit, plus qu’elle ne choisit.

Accouchement : les femmes ne veulent plus subir mais choisir

Alors, à quoi assiste-t-on, maintenant ? Depuis dix ans, vingt ans ? A un retour de balancier. Les femmes ne veulent plus subir, mais choisir. Choisir la position : accroupie, ou à quatre pattes, ou sur le côté. Choisir d’être déclenchées, ou non. Choisir la péridurale, ou non. Choisir, bien souvent, un accouchement plus naturel.

Les femmes veulent reprendre du pouvoir sur leur vie, et sur ce premier acte de la vie. Et en même temps, les sages-femmes, elles aussi, reprennent du pouvoir, du pouvoir sur ce premier acte de la vie. Elles retrouvent leur place, au premier rang, dans la salle d’accouchement. Pour de mauvaises raisons : la France manque de gynécos. Les sages-femmes coûtent moins chers.

Mais pour de bonnes raisons, aussi : elles ne se laissent plus taire, plus reléguer derrière. Elles revendiquent leur savoir, leur savoir-faire, la maïeutique, l’art de l’accouchement. Elles participent à une renaissance de la naissance, à une réinvention de ce geste millénaire – par les femmes et pour les femmes, pour leur bien-être, pour leur santé, pour leur sécurité. Et déjà, déjà des fruits sont là : le taux d’épisiotomie a diminué – même s’il reste élevé.

Voilà le mouvement, le mouvement historique, le mouvement formidable, d’émancipation, de libération, auquel nous assistons.

La vraie crise des sages-femmes

Mais ce mouvement de Progrès est aujourd’hui entravé. Entravé par les budgets. Entravé par les grosses maternités. Entravé par les manques, manque d’humains, manque de mains. Que se passe-t-il ?
Quelle est la contradiction ? Une naissance plus naturelle, moins médicalisée, ça prend plus de temps,
ça réclame plus d’accompagnement. Combien sont-elles en salles d’accouchement ? Deux sages-femmes, deux sages-femmes à courir entre quatre, cinq, six, dix patientes.

Avec, parfois, des histoires atroces, franchement gores – que je vous épargne ici, mais qui leur font dire : « Le matin, on arrive avec l’angoisse : ‘‘J’espère qu’il ne va pas y avoir de mort.’’ Et le soir, quand on se rassoit dans la voiture, on fait ‘‘ouf’’. »

Elles éprouvent surtout, plus quotidien, plus ordinaire, le sentiment, leur travail, de mal le faire, toujours un œil sur le chrono. « Ce matin, j’étais en chambre, ça sonne, ça sonne, chez une patiente qui voulait la péridurale. Mais on arrive trop tard, l’accouchement était en cours, et donc dans la douleur… »

« Une patiente, je lui ai menti : elle était à trois centimètres, mais je lui ai dit ‘marchez encore une heure, et après ça sera bon’, parce que j’avais quatre dossiers en retard. »
« Des déclenchements, on en fait par facilité. Ca permet de programmer. »
« On nous oblige à accoucher à la chaîne, et en même temps, on nous dit qu’il faut « ‘accompagner’’. Alors que nous n’avons pas cinq minutes pour discuter… »

La priorité : augmenter le taux d’encadrement

La crise d’aujourd’hui, Madame la ministre, les manifestations, les démissions, en voilà la cause, la cause essentielle :

Le sentiment, la conviction, de mal faire leur travail.
La tension, immense, entre l’éthique, l’éthique individuelle, professionnelle, et la pratique.
Le fossé entre le désir, le désir des femmes, le désir des sages-femmes, que ce soit un moment à part, avec du merveilleux et du douloureux, avec du soin, du lien, et non un processus taylorisé, automatisé, monitoré – et finalement, déshumanisé.
Voilà, la tension à résoudre.

Alors, les revenus rehaussés, tant mieux.
La formation allongée, tant mieux.
Mais si vous placez l’argent avant le temps,
si vous traitez le porte-monnaie mais pas les cœurs,
si vous ne relevez pas, en salle d’accouchement, les taux d’encadrement,
si vous ne permettez pas plus de lien, plus de soin,
alors, vous n’aurez rien résolu.
Et les sages-femmes continueront de craquer, plus que le périnée.

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