Pour un contrôle externe de la police

La police est une chose trop sérieuse pour être laissée aux seuls policiers, ou à leur ministre de l'Intérieur.

Ce mardi, à Nanterre, Naël, jeune homme de 17 ans, était tué à bout portant par un policier.

Et à peine décédé, les mensonges commençaient : il aurait tenté de foncer sur les agents, entendait-on. Ce qu’une vidéo infirmait. Il aurait un casier judiciaire « long comme le bras » disait CNews. Ce que sa famille et son avocat ont démenti, preuves à l’appui.

Et l’indécence s’invitait. Une députée Renaissance a cru malin de rappeler que lors d’une contrôle routier « on s’arrête, point barre ». Un syndicat de policier lançait des « bravo » à leur collègue auteur du tir mortel et insultait la famille.

Ses proches le savent : ils entament un chemin de croix pour que la Justice soit rendue. C’est une expérience répétée, dans ces dossiers : « La violence policière s’arrête avec la mort, mais ce qui suit derrière c’est la violence judiciaire. C’est ça qu’endurent les familles pendant des années. » (Emmanuel Devaux, du collectif Vies volées).

Comment en sortir ? Comment sortir de cette double violence ? Il nous faut, aujourd’hui, un « contrôle externe » de la police. Comme le recommandent tous les chercheurs. Comme l’exige, d’ailleurs, le « Code européen d’éthique de la police », validé par le Conseil de l’Europe, et par la France :  « 59. La police doit être responsable devant l’État, les citoyens et leurs représentants. Elle doit faire l’objet d’un contrôle externe efficace. » Et ce Code précise : « 61. Les pouvoirs publics doivent mettre en place des procédures effectives et impartiales de recours contre la police. »

Or, dans notre pays, ce « contrôle externe » de la police est ténu, sinon inexistant : « Les polices françaises, écrit le sociologue Sébastian Roché, ont cette caractéristique particulière de ne jamais se sentir redevables – directement ou par un circuit court – devant les citoyens.  En France, la redevabilité de la police vis-à-vis du Parlement est très faible, contrairement à la Belgique. Il n’y a pas non plus de redevabilité institutionnalisée vis-à-vis des citoyens. Au niveau central, il n’y a aucun conseil d’analyse des politiques policières, où il y aurait des non-policiers avec des droits. Le ministre de l’Intérieur contrôle à la fois la chaîne de commandement et la chaîne de contrôle. Il n’y a pas de chaîne de contrôle externe, contrairement à l’Angleterre. Donc, toute réforme doit commencer par modifier ce système de redevabilité. »Tout, chez nous, relève du ministre de l’Intérieur, « premier flic de France ».

Il nous faut, dans notre pays, un contrôle externe de la police : par le Parlement, par un organe indépendant. Et avec une « police des polices » elle aussi autonome…

Le sociologue Cédric Moreau de Bellaing a catalogué dans les archives de l’Inspection Générale des Services, l’ancêtre de l’IGPN. Et il l’a montré : « les dénonciations d’usage abusif de la force par la police aboutissent moins souvent à une sanction que celles de tout autre type d’atteintes (conduites en état d’ivresse, vols, escroqueries, dégradations, drogues, etc.) ; et, lorsque ces cas de violences sont sanctionnés, ils le sont moins gravement que les autres formes de déviances policières. » Sans doute est-ce dû, en partie, à la difficulté de « certifier d’une violence illégitime », mais aussi, note le chercheur, au désir de « préserver la force publique ».

L’IGPN est pointée pour sa partialité dans nombre d’affaires : celle des lycéens mis à genoux à Mantes-La-Jolie, classée sans suite. Des Gilets jaunes estropiés, et l’IGPN qui, avec une mauvaise volonté réelle ou supposée, n’identifie pas l’agent en cause. Désormais, dans tous les dossiers, le soupçon plane sur l’IGPN : la confiance dans la police s’est affaiblie, mais dans la police des polices également.

« Certains pays ont voulu s’assurer que les organes de contrôle sont légitimes et impartiaux », compare le sociologue Sébastian Roché. La nomination du patron de l’IGPN anglaise est validée par le Parlement. Quant aux affaires les plus graves, elles sont confiées à un organe indépendant, l’IOPC Independent Office for Police Conduct, ou Bureau indépendant sur la conduite de la police. La Belgique dispose aussi d’un organe de contrôle indépendant, le comité P, dirigé par un magistrat, et dont les membres sont nommés par la Chambre des représentants. Au Danemark, une entité rattachée au ministère de la Justice associe enquêteurs, magistrats et profils de la société civile. Au total, une vingtaine de pays ont mis en place ces institutions indépendantes des polices qu’elles contrôlent. Pas la France.

C’est un métier exigeant, difficile, dangereux, policier. Il ne s’agit pas de le compliquer, mais d’apaiser, de recoudre, de réparer. En veillant à rétablir une confiance, aujourd’hui plus qu’entamée, entre la police et les citoyens, avec la jeunesse, avec les quartiers populaires. En permettant un dialogue entre la société et sa police, pour revenir sur les cas tragiques, mais pas seulement : pour améliorer le recrutement et la formation des agents, pour repenser le modèle d’autorité, pour revoir la doctrine de maintien de l’ordre, pour arrêter la course aux contrôles d’identité, etc. Qui peut se satisfaire de la situation actuelle ? Une refonte, profonde, est nécessaire. La police est une chose trop sérieuse pour être laissée aux seuls policiers, ou à leur ministre de l’Intérieur.

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