Marseille, quartiers Nord : l’autre sport

"Loisirs Académie" : rien que le nom de ce club, dans le quartiers Nord de Marseille, est une provocation. Ou du moins un décalage, quand fleurissent dans le pays des "Football Academy" avec pour but proclamé, non pas le loisir, le plaisir, mais de former des footeux stars et millionnaires.

« Moi, le football des enfants, je ne le connaissais pas du tout. Je l’ai découvert à travers mes filles. » Khaled est un ancien international, burkinabé, devenu travailleur social et papa. Autour des terrains, pour ses petites, il est consterné : « J’ai vu le mal que ça faisait. Le football, c’est là pour se faire plaisir, pour s’épanouir. Mais là, je voyais des gamins qui ne jouaient jamais, qui pleuraient. Des enfants de six ans, on disait à leurs parents, devant le gosse : ‘Il n’est pas bon, faut qu’il arrête, on n’est pas une garderie’. Ou alors, les gamins restaient sur la touche. Plus les parents qui s’excitent, sur l’entraîneur, sur l’arbitre, sur leur gosse… A côté de moi, ils criaient : ‘Tu t’en fous si c’est une fille, tu lui fais mal.’ C’est contre cette mentalité qu’on a décidé de créer, avec Ali, avec Fouzi, la Loisirs Académie. »

« Loisirs Académie » : rien que le nom du club est une petite provocation, ou du moins un décalage. Fleurissent plutôt, dans le pays, les « Football Academy », dont le but proclamé n’est pas le loisir, le plaisir, mais de former des Zidane, des Mbappé, des footeux stars et millionnaires.

Ca me parle, leur projet.

Parce que ce (mauvais) esprit du foot, l’hyper-compétition, l’élimination des moins bons, je l’ai vue tout au long de ma médiocre carrière. Un gamin de huit ans qui veut s’y mettre, qui ne sait pas jongler, dribbler, c’est presque trop tard. Sans parler d’un adolescent, ou d’un jeune adulte : il peut débuter la course à pied, le yoga, le cheval, le badminton, etc. mais le foot, non, fichu. Il ne faut pas louper la première marche, dès le CP quasi. A la limite, on l’acceptera dans un club, il paiera sa licence, mais fera « banquette » tous les week-ends, on le fera rentrer pour les cinq dernières minutes, les arrêts de jeu. Ca me faisait mal pour eux.

Et tout comme Khaled, ça m’a sauté aux yeux quand j’ai amené mon fils au foot. Dès les premiers matches, les premiers plateaux, j’ai senti la pression. Le tri entre les mauvais et les bons. Et les parents, qui se faisaient des plans, sur le futur centre de formation, le club qui les repèrerait, les trois entraînements hebdos… pour des gosses de six ans ! Le mien a voulu arrêter. Je ne l’ai pas retenu.

Il s’est tourné vers le hand, et ça m’a stupéfait : le calme dans les tribunes. Personne qui hurle sur les joueurs, sur l’entraîneur, sur les arbitres. L’arbitrage, d’ailleurs, confié à des jeunes eux-mêmes. Et les plus mauvais, franchement, qui peinent pour une passe, pour un contrôle, à qui on accorde du temps de jeu, sans les railler, sans se moquer. Les résultats, bon, pas mal de défaites, mais presque dans la bonne humeur, sans tragique à la clé… quand, je l’avoue, j’aurais enragé.

« Notre but, poursuit Kamel, c’est de donner leur place à tous les jeunes. A ceux ou à celles qui débutent. A ceux qui souffrent d’une maladie, d’un handicap, qui viennent avec un appareil. A ceux qui se sont fait jeter, voire humilier ailleurs. Ca ne veut pas dire qu’on n’est pas exigeants, qu’on ne réclame pas de la discipline, mais nous mettons moins la rigueur dans le résultat que dans l’effort : c’est ça aussi qu’apprend le sport. Nous n’en ferons pas tous des champions, ça restera l’exception, et ce n’est pas grave. Du moment qu’ils y prennent du plaisir, qu’ils se construisent avec ça, et avec le droit de rêver, eux aussi, d’être un Messi. Bien sûr, ici, dans les quartiers nord de Marseille, au milieu de la galère, de tous les dangers, si on peut leur apporter ce temps de détente, de joie simple… Nous avons énormément, énormément, de demandes et comme on manque de terrains, on ne peut pas accueillir tout le monde. Le samedi, on fait des petits tournois, hors Fédération, mais avec les petits des autres clubs qui viennent, ceux qu’on laisserait sur le banc de touche. Et on les voit qui s’amusent, qui reprennent confiance. »

Ca dit, à mon sens, pas mal sur notre époque.

Le sport-phare de notre temps, le football, laisse sur le côté, dès le plus jeune âge, les moins doués (supposés). Il trie. Il sélectionne. Il élimine. En vue du haut niveau… qui ne sera atteint que par un joueur sur vingt mille. La compétition à fond, dès l’enfance.

Le foot est le reflet de notre société, d’un système qui élève la concurrence en vertu suprême. La concurrence entre les entreprises, entre les pays, entre les continents, entre les salariés, entre les universités, entre les lycéens, la guerre de tous contre tous…

C’est un combat à mener : faire reculer la concurrence. Faire avancer l’entraide, la coopération. Qu’il y ait de la « Loisirs Académie » dans l’économie aussi, dans les hôpitaux, dans les écoles…

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