Macron, l’écologie et Napoléon

La France compte cinq millions de passoires thermiques. Et 48 950 écoles. L’ « ambition » d’Emmanuel Macron, pour son mandat, c’est donc de rénover 1% des bâtiments les plus énergivores. A ce rythme-là, il faudrait donc cinq siècles pour en venir à bout…

« Jean-Michel : Lundi soir, vous avez parlé pendant treize minutes, je n’ai rien entendu sur l’écologie…
Macron : Ah si, j’ai parlé de l’écologie !
Plusieurs lecteurs en chœur : Ca a duré trente secondes !
Macron : On peut pas faire ça sur tous les sujets… »

Décidément, son entretien avec les lecteurs du Parisien m’inspire. Surtout quand le président de la République veut démontrer son « ambition écologique » :

« Jean-Michel : Vous avez une grande mesure pour les quatre ans à venir ?
Macron : Oui, on va lancer un grand projet de restauration écologique de nos écoles. On va mettre le financement là-dessus pour accompagner les communes qui ne le peuvent pas seules. Il y a trop d’écoles qui sont des passoires thermiques, où les enfants se les gèlent puis ont trop chaud. On va les rénover ! C’est un formidable chantier public. Cela va donner du boulot au BTP. »

Mais c’est un programme pour un conseil municipal, ça ! Pas pour un chef d’Etat ! On en rigolerait si ça n’était pas tragique, si nous n’avions pas à affronter le péril climatique. Qu’on sorte les calculettes :

La France compte cinq millions de passoires thermiques. Et 48 950 écoles. L’ « ambition » d’Emmanuel Macron, pour son mandat, c’est donc de rénover 1% des bâtiments les plus énergivores. A ce rythme-là, il faudrait donc cinq siècles pour en venir à bout…

Vous me direz, ce serait déjà un mieux. D’après la Fondation Abbé Pierre, pour l’instant, ce sont 2 500 passoires thermiques par an qui sont rénovées. Pour que toutes y passent, il faudrait donc deux millénaires…

C’est dire si on se moque de nous.

Depuis cinq ans, en commission des Affaires économiques, je plaide pour un grand plan de rénovation de l’habitat. Qui se chiffrerait à dix milliards d’investissements par an, et qui ne ferait que des gagnants.
Gagnant pour les factures des gens.
Gagnant pour la santé des habitants.
Gagnant pour la planète, évidemment.
Gagnant pour l’emploi.
Et gagnant pour l’indépendance du pays, avec moins de gaz, moins de pétrole importés.

Ces dix milliards ne sont pas des « dépenses », mais bel et bien de l’investissement. Car avec cinq millions de passoires thermiques, c’est comme si on chauffait le dehors autant que le dedans, comme on jetait des milliards d’euros par les fenêtres. Notre déficit commercial s’élève, en 2022, à 164 milliards d’euros – dont la moitié pour l’énergie. Qui nous rend dépendants tantôt de la Russie, de l’Arabie, des Etats-Unis…
Voilà qui devrait être notre impératif, notre combat : réduire ça. Avec tout un pays à engager dans « la bataille des passoires », les artisans du bâtiment, bien sûr, les géants Bouygues-Vinci-Eiffage, les élus locaux, les associations écolos, la jeunesse qui veut s’engager, etc.

Et à la place, un pays à l’arrêt.

***

Je suis tombé sur une anecdote optimiste. Alors bon, par les temps gris qui courent, je m’empresse de vous la raconter. Même si elle date de deux siècles et plus…

C’est sur la betterave :

Sous la Révolution, puis sous Napoléon, la guerre avec l’Angleterre est aussi une guerre commerciale. L’Empereur a instauré un blocus continental : leurs marchandises ne peuvent plus débarquer en Europe, mais les Britanniques ont répliqué par un blocus de nos îles, et nous ne pouvons plus importer de coton, de café, de tabac, et surtout de sucre depuis les Antilles esclavagistes. Les Français, et notamment les riches Français, sont alors accros au glucose, une vraie came (on l’a scientifiquement mesuré depuis), à tel point qu’ils s’en pourrissent les dents, qu’ils font la fortune des dentistes. Les voilà rationnés, sevrés.

C’est alors qu’on se souvient de cette plante, là, la betterave. Le père de l’agronomie française, Olivier de Serres, avait déjà repéré, en 1575, qu’on pouvait en extraire du sucre. Des chimistes allemands en avaient bien cristallisé des morceaux, mais dans un labo, au compte-gouttes. De Madrid à Berlin, de l’Académie des Science à l’Ecole de Médecine, les chercheurs de toute l’Europe sont lancés dans une « saccharomanie ». On approche du but, semble-t-il. En mars 1811, Napoléon promet un million de francs à qui produira le premier pain de sucre.

Ca ne traîne pas : dès le 2 janvier 1812, on lui en apporte un dans son palais. L’Empereur accourt alors aussitôt dans l’usine du miracle, à Passy, et d’émotion, il arrache sa propre Légion d’honneur et la colle sur le torse de l’industriel, Benjamin Delessert, le fait baron le soir même. Mais c’est la suite, avant tout, qui vaut le coup : dès le 15 janvier, des décrets sont pris. Pour que cent étudiants, de chimie, de médecine, de pharmacie, soient formés à distiller du sucre de betteraves, et l’on crée trois écoles spécialisées. Pour que cinq fabriques impériales soient ouvertes, plus cinq cents fermes-distilleries. Pour que cent mille hectares de betteraves soient cultivées…

D’habitude, je cite Roosevelt 1942. Là, bon, Napoléon.

Mais ça fait du bien, non, ce volontarisme ? Tous les moyens, scientifiques, industriels, étatiques, tous ces moyens rassemblés pour surmonter un défi ? Combien on aurait besoin de la même chose, aujourd’hui ? Les mêmes volontés, unies, pour transformer nos logements, nos déplacements, notre agriculture, notre industrie ? Et combien, à la place, on éprouve un enlisement…

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