Les Jeux Olympiques et paralympiques s’achèvent, et ils apparaissent comme un moment de fierté pour les Français. Une fierté, d’abord, par la cérémonie d’ouverture, à la fois festive, imaginative, ouverte, engagée, reflétant les valeurs de notre République. Une fierté par l’organisation qui, grâce aux milliers de volontaires, s’est bien déroulée. Une fierté, enfin et ce n’est pas rien, par les médailles qu’ont obtenues les champions tricolores.
Au lendemain de cet événement, se pose la question désormais de l’« héritage » : que restera-t-il des Jeux Olympiques ? Le 12 août dernier, entre JO et JOP, le président de la République consacrait un long discours à leur « héritage ». Il mentionnait « la Seine baignable », ainsi que des « logements », des « bureaux », des « équipements sportifs ». Et côté « immatériel », « une alliance des entreprises, des territoires, de la puissance publique, du savoir-faire privé, c’est quelque chose qui ne peut pas s’évanouir, s’évaporer ». Mais rien ne se dessinait pour les 3,5 millions de bénévoles des clubs.
Ils sont pourtant le socle du sport en France, mais un socle qui se fragilise : par des engagements plus rares, par un travail administratif plus intense, par un moindre soutien de l’Etat. Nombreux sont les présidents, présidentes, d’associations qui se découragent, qui tiennent à bout de bras ou qui, fatigués, arrêtent. Avec le risque d’une illusion : un sport d’élite qui a brillé cet été, mais un sport populaire qui, derrière, en profondeur, s’affaiblit. Alors que ce grand événement devrait, au contraire, être une étape vers « le sport pour tous » : pour tous les enfants, tous les adultes, handicapés ou non.
C’est un projet de loi qu’il faudrait.
Mais à défaut, avec modestie, cette proposition de loi vise à faciliter la vie de toutes celles, de tous ceux, qui, dans nos quartiers, dans nos villages, tiennent le sport debout.
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« Le miracle des maillots pliés. »
Il y a cinq ans, à la tribune de l’Assemblée, portant un maillot vert, nous tentions d’éclaircir ce mystère : pourquoi Franck et sa femme Babette, du Football Club d’Eaucourt-sur-Somme, consacraient leur semaine, leur week-end, à tondre la pelouse, tracer les lignes, faire tourner la buvette, vendre les calendriers, chercher les sponsors. Et aussi, enfin, à laver, ranger, plier, les 140 maillots du club, les 140 shorts, les 140 paires de chaussettes ?
Pourquoi ils sont des milliers, des centaines de milliers de Franck et de Babette, dans le pays, à faire vivre des clubs de judo, de hand, de rugby, de volley, de twirling-baton, etc. ?
Pour l’argent ?, nous interrogions Franck, lors d’une fête. « Hein ? Comment ça ? » il s’insurgeait, se tournant vers son épouse : « Non, mais t’entends, Babette ! Il dit qu’on gagne des sous avec le club !
– On en perd, oui !, se révoltait la présidente. Dis-lui, combien on y laisse tous les mois ! 300 euros peut-être que ça nous coûte ! Avec l’essence pour conduire les équipes, avec les coups qu’on paye aux joueurs. Rien que ce soir, on avait oublié les sacs poubelles, la macédoine. Eh bien on l’a acheté de notre poche. » Mais les déplacements, j’insistais, sceptique, vous vous les faites rembourser ? « Non ! Et personne ici, dans tous ceux que vous voyez, dans la dizaine de dirigeants, il n’y a pas un parent, il n’y en a pas un qui a reçu un centime. »
C’est un miracle. C’est un miracle qui se reproduit, chaque semaine, à Ribemont, à Amiens Nord, à Agen, à Fécamp, à Bruay et à Aulnay, un miracle qui se prénomme Mohammed ou Florence, Alain ou Fatima : dans cette société où tout se marchande, où les services se vendent et s’achètent, où le businessman fait figure d’homme nouveau, où le profit aveugle guide le monde, eux tiennent bon, font don de leur temps, de leur énergie.
Pourquoi ? Pour des raisons assez floues, pas calculables : « pour les gamins ». Pour être ensemble aussi. Pour tenir à bout de bras des petits clubs et que le village ou le quartier existe à travers lui. Une résistance à l’argent roi plus massive, plus quotidienne, plus souterraine que les manifs avec banderoles.
Mais on le verra : c’est un miracle en danger. Ces bénévoles se fatiguent, s’usent. Face aux subventions rabotées. A la fin des emplois aidés. Au toujours plus d’administratif, de numérique. Et à l’absence de reconnaissance : « Ah bon, il y a des JO ? » s’amuse la dirigeante d’un club de gym.
« Une urgence démocratique » : c’est ainsi que le CESE titrait un tout récent avis sur « renforcer le financement des associations ». Et de s’interroger sur « la survie » de ce « véritable ciment sociétal », « cette démocratie du quotidien » : « ‘Le secteur associatif se meurt !’ : c’est ainsi qu’un collectif d’associations interpellait la première ministre en septembre 2023 alors que les Restos du coeur rencontrait des difficultés financières inédites. » Avec ce chiffre : « Entre 2005 et 2020, la part des subventions a baissé de 41 % dans le budget des associations au profit de logiques marchandes. » Pourtant : « Il faut imaginer un monde sans associations pour comprendre combien leur apport à l’économie, à la société et à la démocratie est considérable. » C’est encore plus vrai dans le sport.
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« Avec mes parents, on ne part jamais. L’été, on va juste dans l’Île-de-France, en banlieue, chez des cousins à Epinay-sur-Seine. »
L’an dernier, à notre permanence, nous avions reçu Esperanza, 21 ans, et ses collègues du club de volley-ball d’Amiens-Nord. Que ferait-elle pendant ses vacances ? « Rien ». « Le CAJ, à Amiens, on a pu m’inscrire quand j’étais petite, on faisait de la piscine, des randonnées, mais ensuite, mes parents ne pouvaient plus financièrement. Ça coûte environ 100 euros par enfant. Du coup, on devait choisir entre mon frère et moi. Ce n’était pas juste. » Même la mer, pas loin pourtant, restait inaccessible. Elle qui est engagée dans son club, qui mène des projets avec, est-ce qu’on lui a proposé d’en répandre la pratique ? D’organiser des tournois de volley dans les quartiers ? Au pied des immeubles ? Ou pourquoi pas dans les villages alentours ? « Non, il n’y a rien de prévu. »
Nous avions déposé une proposition de loi « Des mesures d’urgence pour les vacances ». Puis les banlieues se sont embrasées suite au meurtre de Nahel. A Amiens-Nord, le centre de loisirs, une école, la mairie de quartier, la piscine ont en partie brûlé. Esperanza n’a bien sûr pas participé à ces émeutes : durant l’été, elle a juste « glandouillé ».
Accès au sport : inégalités chez les enfants
Selon le rapport « Le droit des enfants aux loisirs, au sport et à la culture » de la Défenseure des droits, paru en novembre 2023, « le coût des activités sportives reste le premier frein à leur accès pour tous les enfants » : 71% des enfants dont les parents disposent de bas revenus (premier quartile) ne sont ainsi pas inscrits dans un club, contre 38% des enfants dont les parents disposent de hauts revenus (quatrième quartile).
Ces données corroborent l’étude « S’engager dans une activité sportive ou physique : des pratiques socialement situées dès l’enfance », de Bertrand Julien et Christine Mennesson, (Sciences sociales et sport, mars 2023). La pratique d’une activité sportive en club varie chez les enfants et les adolescents selon la catégorie socioprofessionnelle de leurs parents : chez les 6-14 ans, les non-pratiquants sont environ deux fois plus nombreux chez les enfants d’ouvriers non-qualifiés (43%) que chez les cadres et professions intellectuelles supérieures (19%).
De même, le cumul d’au-moins deux activités physiques ou sportives est bien plus répandu chez les enfants de cadres ou d’enseignants (50,8%) que chez les enfants d’employés ou d’ouvriers (32,0%).
Toutefois, les enfants de catégories socioprofessionnelles inférieures entretiennent souvent un lien plus fort avec le sport :
– 18,3 % des enfants de bacheliers pratiquent plus de deux fois par semaine, contre seulement 9,1 % lorsque le parent appartient au groupe des plus diplômés.
– Le terme « passion » est employé par près des deux tiers des parents les moins diplômés, alors qu’ils ne sont plus qu’un tiers chez les plus diplômés à le choisir.
Ces inégalités se reflètent sur le sport, mais plus globalement sur l’ensemble de l’accès aux loisirs. Ainsi, selon l’INSEE, en 2021, un enfant âgé de 1 à 15 ans sur dix n’est pas parti en vacances pour des raisons financières. Selon l’Injep, les enfants de professions libérales et de cadres partent deux fois plus en colonies de vacances que les enfants d’ouvriers. La Défenseure des droits résume ainsi la situation : « De nombreuses barrières s’opposent à l’accès de tous aux vacances : des obstacles avant tout financiers, aggravés en ces temps d’inflation – le coût des transports et de l’hébergement notamment ».
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Cet hiver, avant un entraînement de volley, quelques tables installées sur le parquet du gymnase Jean Bouin, nous avons mené une mini-« audition ». Rien n’a changé pour Esperanza : « Les petites vacances, je vais au club, il y a des ateliers. Mais pour les grandes vacances, il n’y a rien. » Ce que confirment ses camarades : « Le mois d’août, c’est mort » (Mohamed), « Je traîne dehors avec mes amies » (Angèle), mais aussi l’éducateur sportif : « Ici, le lieu est fermé. J’essaie de leur trouver des petites activités à droite à gauche.
– Mais la Ville, ou l’Etat, ne vous demande pas de laisser le club ouvert ?
– Non. Bizarrement, ça se fait à Pâques, mais pas pour l’été. »
Nous insistons. Tant il nous paraît navrant, désespérant, que ces bonnes volontés soient laissées en déshérence, à l’abandon. Et ce, d’autant plus que le besoin est immense : chaque fois que, au quartier, nous organisons un petit tournoi de foot, ou de ping-pong, nous sommes débordés, envahis par des dizaines, parfois des centaines d’enfants, qui ne demandent qu’à jouer, qui n’ont de licence dans aucun club, qui nous interrogent à la fin : « Monsieur, est-ce que vous reviendrez la semaine prochaine ? » Mais non, malgré la bonne volonté de nos militants, de nos bénévoles, nous ne revenons pas chaque semaine.
« Il n’y a pas un programme pour qu’on les aide à passer le brevet d’animateur, d’éducateur sportif ? et qu’ils deviennent des ambassadeurs de leur sport ?
– Non, rien de tout ça.
– Mais ça va être les Jeux olympiques chez nous, pourtant ?
– Nous, on n’en voit pas la couleur. Les seules retombées, ce sera à la télé. »
Nous appelons le président du club, Ahmed Nouaour : « Non, les JO, ça n’a rien changé pour nous. C’est même pire. On avait une opération, ‘Un été en or’, mais les subventions sont divisées par trois : donc on a réduit le nombre de sites, et tout s’arrête au 9 août. Mais surtout, le sport, comme la culture, ne fait plus partie des grands axes pour la politique de la ville. J’étais abasourdi. Quand j’ai reçu les dossiers, en février, j’ai trouvé ça suspect : ‘Mince, le sport est plus dedans…’ Je suis allé voir le technicien, qui me l’a confirmé : ‘Ce n’est plus une priorité.’ Une année olympique ! Avec le président de la République qui nous sort partout que ‘le sport, c’est magnifique’, etc. C’est une perte de 7 000 €. Le petit jeune, l’éducateur que j’avais en contrat Pec, Parcours Emploi Compétences, il s’en ira au 6 septembre, je ne vais pas pouvoir le renouveler. »
Pratique sportive : comparaisons internationales
En France, la pratique régulière d’une activité sportive diminue, et deux fois plus vite que la moyenne européenne. En 2022, selon l’Eurobaromètre, 41 % des Français de 15 ans et plus déclaraient faire du sport au moins une fois par semaine, contre 48 % en 2009 (-7 points). La moyenne des pays de l’Union Européenne était de 38 % en 2022, contre 41 % en 2009 (-3 points). Si la France est presque au même niveau que l’Allemagne (43 %) ou l’Espagne (42 %), elle se situe loin derrière la Finlande (71 %), le Luxembourg (63 %), les Pays-Bas (60 %), la Suède (59 %) et le Danemark (59 %).
45 % des Français (+11 points depuis 2009) déclaraient, en 2022, ne jamais faire de sport (même niveau que la moyenne européenne). Quant à l’activité physique (marche ou vélo pour les trajets quotidiens, danse, jardinage, etc.), 27 % disaient n’en avoir aucune, contre 10 % seulement en 2009.
Pourtant, les travaux scientifiques démontrent l’influence positive de la pratique sportive sur la santé. On sait désormais avec certitude qu’elle participe de manière essentielle à la prévention des maladies métaboliques (diabète, surpoids, obésité, etc.), cardio-vasculaires, neurologiques, de certains cancers, des troubles cognitifs et psychologiques, de la dépression, et qu’elle retarde l’entrée dans la dépendance chez les seniors. D’après l’OMS, 10 % des décès prématurés (et jusqu’à 25 % des cancers du sein et du côlon) pourraient être évités en Europe si un niveau minimal d’activité physique était atteint par la population.
L’Observatoire national de l’activité physique et de la sédentarité indique qu’à l’échelle mondiale, la France se positionne seulement à la 119ème place en termes d’activité physique chez les 6-17 ans, sur un classement de 146 pays. Ce mauvais bilan se traduit très concrètement en termes de coût : un rapport de France Stratégie de mars 2022 estime à 140 milliards d’euros par an le coût social de l’inactivité en France.
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Notre proposition de loi part de ce constat : d’une occasion manquée. Les JO chez nous, la grande fête du sport à Paris, ce pouvait être le moment de démocratiser le sport pour tous, partout, de l’ancrer, de l’enraciner dans le pays.
Le grand spectacle, populaire, fut une réussite. La France a rayonné avec fierté, les spectateurs, les téléspectateurs surtout ont vibré devant les exploits des championnes et champions tricolores : un record de médailles pour notre pays !
Mais sans que ce soit porté, dans la durée, comme un projet dans notre société : le sport comme pilier, pour la santé, pour la jeunesse, pour la confiance en soi, et presque pour la cohésion de la Nation. Au contraire, tandis que l’Evénement s’est préparé en haut, le tissu associatif, lui, est fragilisé en bas. La promesse de la ministre des Sports de présenter « une grande loi d’héritage des Jeux et de rénovation du sport français » cet automne semble plus loin que jamais, après la dissolution décidée de juin dernier. Le sport amateur attendra.
Pour « faire de la France une nation sportive », le président de la République, Emmanuel Macron, promettait, en 2021, un grand « plan massif pour les équipements sportifs » : « Les lieux de sports vont fleurir dans nos quartiers et dans nos villes pour que le paysage physique du sport français puisse changer, et que nos plus jeunes puissent véritablement s’adonner à ce qui est une passion, un loisir, peut-être le début de ce qui est un engagement de haut niveau ».
Très bien, les stades manquent, parfois, souvent, les gymnases.
Tant mieux pour les bâtiments.
Mais quoi pour l’accompagnement ?
Car c’est là que ça coince, surtout : les animateurs, les éducateurs, les encadrants, pour arracher les enfants aux écrans, pour encourager d’un compliment, pour inviter à l’effort, pour stimuler les âmes et les corps. Professionnels, pour certains, souvent en contrats précaires, et trop peu nombreux. Bénévoles, pour la grande masse, plein de joie et d’envie, mais qui s’usent, qui s’essoufflent, se découragent.
Dans les villes, dans les villages, ce sont eux qui, pourtant, partout, tiennent le sport debout. Eux qui lavent les maillots. Eux qui organisent le loto. Eux qui réservent les terrains. Eux qui conduisent les gamins. Eux qui tartinent les sandwiches. Eux qui arbitrent les tournois. Eux qui tiennent la compta. Eux qui cuisinent la paëlla. Eux qui nettoient les vestiaires. Eux qui éteignent les lumières. C’est une formidable mission qu’ils remplissent, au long de la semaine, week-end compris, et pour pas un rond.
Voilà quelle devrait être la tâche numéro un de l’Etat, du ministère des Sports : leur apporter soutien, encouragements, appuis, leur faciliter la vie. Et grâce à eux, permettre à chaque Française, à chaque Français, les enfants en particulier, d’accéder à leur sport préféré, à proximité. C’est vers eux que, depuis cinq ans, dix ans, en vue des JO, devaient se tourner les regards, les efforts, pour un véritable essor du sport. Mais à l’inverse, c’est leur vie, ces dernières années, qu’on a compliquée.
Ces derniers mois, nous l’avons sondé dans notre coin.
Mais des déplacements nous l’ont indiqué : ce qui est vrai en Picardie l’est également ailleurs.
Outre-mer : les champions qui cachent la forêt des inégalités
« Terres de champions, les outre-mer ont fourni à la France nombre de médaillés olympiques, qu’il s’agisse de judokas, d’escrimeuses, de footballeurs ou d’athlètes de toutes catégories. Pour autant, ces champions constituent, aux dires des observateurs, « quelques arbres qui cachent la forêt ». Les populations y pratiquent moins d’activités physiques que dans l’hexagone. »
Dans leur rapport sur « le sport et la santé dans les outre-mer » (2019), Maud Petit et Jean-Philippe Nilor pointent ce contraste, ces inégalités quant à l’accès au sport.
Et en effet : en moyenne, la France compte 130 licences pour 1000 habitants. Tous les départements métropolitains sont au-dessus de 100 licences. Les territoires dits d’outre-mer sont, eux, en revanche, largement en-dessous : 94 licences pour 1000 habitants à La Réunion, 86 en Guadeloupe, 83 en Martinique, 75 pour Mayotte et jusqu’à 66 en Guyane (Insee, avril 2024).
Pour quelles raisons ? Le rapport Petit-Nilor note : « Même si le coût d’une activité sportive n’est pas très élevé, son absence de remboursement peut constituer un frein pour les plus démunis. » Surtout, « au-delà des freins liés au coût, les outre-mer sont pénalisées en raison de sous-dotations en équipements sportifs par rapport à l’hexagone. […] Les chiffres fournis par le ministère des sports permettent d’établir le tableau comparatif suivant, qui montre le différentiel criant entre les outre-mer et la moyenne nationale. »
La Guadeloupe, la Martinique, la Guyane, la Réunion comptent ainsi quasiment deux fois moins d’équipements, en proportion de la population, que la métropole. Voilà qui réclamerait, par l’Etat, un véritable rattrapage, doublé de moyens humains : éducateurs, animateurs…
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« Ça devient de plus en plus difficile, notamment sur l’administratif : on nous demande des bilans, des chiffres, des évaluations, des dossiers… C’est comme si on était une entreprise, sauf que ça ne repose que sur nos épaules.
– Vous êtes combien à faire tourner la boutique ?
– On est cinq six, toutes les semaines. Moi à raison de cinq heures par jour…
– Et en vue des JO, vous avez reçu de l’aide ?
– Rien. Rien du tout. C’est fait pour préparer quelques athlètes pour des médailles, mais pour nous, rien. On nous a demandé de venir le 4 juillet pour le passage de la flamme à Amiens, mais sinon rien.
– Et dans les budgets, ils n’ont pas augmenté ?
– Non, non. Pas du tout. C’est plutôt l’inverse : ça a baissé. Les fédérations concentrent leurs fonds sur les JO, sur les champions. »
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« On a seize équipes, des U7 jusqu’aux vétérans, une équipe féminine sénior. Et on aussi lancé du foot tennis, du foot en marchant, et du foot adapté, pour les personnes qui souffrent d’un handicap. »
L’AFA compte 270 licenciés dans le quartier populaire d’Amiens sud-est.
« Vous avez des salariés ?
– Non, juste un service civique, pour le soutien scolaire. C’est nous qui faisons tout, on est six sept. Le mercredi, le week-end, j’arrive le matin à 8 h, je repars il est 18 h passés. J’ai récupéré deux machines à laver, parce que 270 maillots, shorts, chaussettes, c’est l’usine. On se les partage entre bénévoles et quelques joueurs qui aident.
– Et vous avez quoi comme ressources ?
– On a 400 € du département, 600 € de la mairie, 700 € de sponsor…
– Vous n’avez pas une subvention de l’Agence nationale du sport ?
– On va le faire là, pour la première fois. Mais remplir leurs dossiers, c’est un métier ! Nos rentrées, comme on n’a pas de buvette, ce sont surtout les licences, quatre à cinq mille euros. Mais c’est difficile de les faire rentrer, des fois, il faut menacer les gosses de ne plus jouer. Y a des familles, on va chez elles pour aider avec le Pass’Sport, c’est la galère, ils ne se chauffent pas, on voit les petits sous les draps. Quand on voit ça, on leur dit : ‘Le reste, laissez tomber.’
– Mais c’est une bonne chose, le Pass’sport ?
– C’est mieux que rien, oui. Mais avec cinquante euros, même le foot, même chez nous, ça ne paie pas la licence, et à côté il y a les crampons, les protège-tibias… Faudrait plus. Et surtout, pour nous, c’est une galère, le Pass’Sport. Il faut passer notre temps sur des ordinateurs. L’Etat se repose sur notre travail gratuit.
– Vous ne touchez rien, vous ?
– Rien, on ne se rembourse même pas l’essence.
– Et vous avez le sentiment d’avoir de la reconnaissance ?
– Du tout, du tout. Par les enfants, oui, les parents, parfois. Mais là-haut… »
Pass’Sport : fatigue du numérique
Le gouvernement a mis en place le Pass’Sport depuis septembre 2021 pour tenter de faire face aux coûts d’inscription des enfants et des jeunes à une association sportive. Le Pass’Sport consiste en une aide forfaitaire de 50 € versée par l’État à une structure éligible (club sportif, salle de sport, etc.), pour réduire le coût de l’inscription d’un jeune de 6 à 30 ans, sous conditions de ressources ou en situation de handicap.
Selon Jean-Claude Raux, rapporteur pour avis de la mission Sport, jeunesse et vie associative pour le PLF 2024 : « Le public visé est de 6,5 millions de jeunes environ. Or, il n’a été utilisé que par 1,22 million d’entre eux en 2022 [1,3 million en 2023]. Le taux de recours national s’établit à 18,3 %, soit une personne sur cinq. On constate également de fortes disparités de toute sorte. Le dispositif est très peu utilisé dans les outre-mer : moins de 10 % de taux de recours partout, et le niveau est même catastrophique à Mayotte (2,3 %) et en Guyane (2,81 %). En métropole même, il varie de 14,29 % en Île-de-France à 23,37 % en Bretagne. Dans les QPV, il n’est que de 12,87 %, et les jeunes issus de ces quartiers ne représentent que 5,7 % des bénéficiaires du dispositif, quand ils constituent 8,1 % des éligibles potentiels. Les 6-14 ans représentent 85 % des bénéficiaires. Les filles sont très minoritaires : 38,7 %. La Fédération française de football compte pour près d’un tiers des entrants au dispositif (28,3 %), et les quatre fédérations les plus représentées pèsent pour environ 50 % de l’ensemble des participants. »
La Cour des comptes analysait, dans un rapport de mai 2022, les nombreuses déficiences du dispositif : « Une communication et une mobilisation des familles et des associations fragiles, une dématérialisation via le CompteAsso mal maîtrisée, des processus de paiement trop lourds et trop complexes, passant par des tiers payeurs, des données de pilotage peu qualitatives, une absence d’articulation avec les dispositifs locaux ayant le même objet, une mobilisation variable des acteurs locaux. »
La ministre des sports et des Jeux olympiques et paralympiques (JOP), Amélie Oudéa-Castéra, a elle-même admis, le mardi 28 mai 2024 devant les députés de la commission des finances, que le taux de recours au Pass’Sport « reste encore relativement faible ». Des modifications, a-t-elle annoncé, seraient apportées dès cette année.
Comment ? En avançant au 1er juin la campagne d’inscription au Pass’Sport, ce qui laisserait plus de temps pour les démarches. Très bien. Mais ensuite : « Les clubs pourront être remboursés dès le 1er septembre à travers un QR code scannable ». Et aussi : « L’interface par laquelle les familles vont recevoir l’information sera améliorée avec un nouveau site Pass’Sport.gouv.fr. » Fatigue. Fatigue de la start-up nation. Fatigue des usagers, fatigue des clubs, devant ce labyrinthe informatique. Le Baromètre numérique pour l’année 2023, réalisé par le Credoc, pointe que “le sentiment de non-maîtrise [des outils numériques] concerne toujours un quart de la population totale (25 %)” et est même en augmentation (+7 points par rapport à 2020)”. La Défenseure des droits soulignait ainsi dans un rapport de 2022 que “13 millions de personnes sont en difficulté avec le numérique dans notre pays. Les laissés pour compte de la dématérialisation sont toujours aussi nombreux.” Ces « laissés pour compte » sont, ironiquement, ceux que vise le Pass’Sport avec un outil, donc, très peu adéquat.
Voilà qui est loin de répondre au tiers de Français (31 %), d’après l’Injep, pratiquant une activité physique et sportive, mais qui ont renoncé à s’inscrire à un club, à une salle de sport, à prendre des cours de sport, à cause du coût.
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« Il y a quelques années, on avait des contrats aidés, sans charge, ça aidait bien. Mais ils ont tout supprimé, il n’y a plus rien. Maintenant, il faut donner de sa poche. »
Jacques Meraoumia préside l’Amiens football club, dans le quartier Nord.
« Le club, c’est un virus. C’est nous qui faisons tout : délégué, arbitre, gonfler les ballons, chercher les boissons, les goûters, les oeufs de Pâques… Mais le pire de tout, pour moi en tout cas, le pire de tout, c’est l’ordinateur : on y passe un temps de fou. On rame, on rame… L’administratif, c’est un casse-tête. Alors que j’étais comptable ! Et les dossiers de subventions se juxtaposent, il ne pourrait pas y en avoir un unique ?
On sait pour quoi on le fait : pour les jeunes, pour éviter qu’ils fassent des conneries. Mais on n’est pas aidés, pour ça. On a plus le sentiment d’être entravés. »
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« Ah bon, il y a des JO ? » Sourire.
Françoise Deparis préside le club de gymnastique Fémina Sport, à Amiens, avec 650 licenciés, qui est rattaché à l’Ufolep, l’Union Française des Oeuvres Laïques d’Education Physique. « Et même, ça s’est dégradé. On avait un salarié qu’on voulait passer de CDD à CDI. Mais on n’a pas pu, l’an dernier, à cause des JO : les fonds de l’Agence Nationale des Sports vont aux fédérations, pour leur équipement, leur matériel, les champions. Comme nous, nous ne sommes que loisirs, sans professionnels, nous ne sommes pas la priorité.
Mais le plus difficile, pour nous, c’est la fracture numérique. Tout doit se faire par mail, avec l’informatique. Les familles sont perdues. Avec le Pass’sport, notamment, elles ne savent pas que ça existe, ou alors comment aller le chercher. Faut les accompagner sur les sites. Et ensuite, les clubs doivent tout ressaisir sur le compte asso : les dix numéros par chèque ! Certaines assos laissent tomber, elles appliquent la réduc’ mais renoncent à se faire rembourser… C’est très lourd. Le travail administratif s’est accru. »
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« Le secteur sportif pèse de plus en plus sur les bras des bénévoles. »
Stéphane, délégué départemental de l’Ufolep dans la Somme, le constate tous les jours.
« L’arrière du décor, c’est l’administratif, une charge qui s’alourdit, de plus en plus prégnante. La réglementation s’est renforcée, sur la responsabilité civile, pénale, financière. On leur demande de plus en plus de choses, le sport santé, handicap, insertion, etc.
Et a contrario, on les prive de moyens : il y avait des dispositifs d’emplois qui se sont resserrés, restreints, qui ont quasiment disparu. Et avec une valorisation très faible, ou inexistante, des bénévoles, qui ont pris un coup après le Covid, qui vieillissent. »
Voilà qui fait écho au récent avis du Cese, « Renforcer le financement associatif : une urgence démocratique » :
« Alors que les subventions finançaient principalement le fonctionnement des associations, elles sont désormais attribuées largement dans le cadre d’appels à projet bien souvent sur de courte durée. De ce fait, les associations doivent donc rechercher de nouvelles ressources, qu’elles soient privées (augmentation des cotisations, recherche de mécènes, vente de biens et services) ou publiques (réponses aux commandes publiques). De plus, elles doivent acquérir de nouvelles compétences et se rapprocher de la culture d’entreprises et de l’évaluation d’impact pour être compétitives aux yeux des donneurs d’ordre. Il en découle une forme de « gestionnarisation » et une course incessante après des financements de court terme qui pèse sur leur liberté d’action, leur indépendance ainsi que sur l’engagement des bénévoles. »
Au-delà d’une « fragilisation de leur équilibre financier », le risque, c’est « une perte de sens et une invisibilisation de ce qui caractérise l’association, c’est-à-dire l’intérêt général et le non lucratif. »
Sport : de l’humain d’abord
Le secteur sportif associatif, c’est d’abord du travail bénévole : près de 300 millions d’heures, l’équivalent de 180 000 emplois à temps plein (Insee).
Mais ces bonnes volontés sont de moins en moins entourées, soutenues par des salariés. Et c’est notamment la quasi-disparition des emplois aidés qui est ici en cause.
Depuis l’arrivée d’Emmanuel Macron à l’Elysée, le budget consacré aux contrats aidés a été divisée par six : de 4,2 milliards en 2016 (pour 459.000 contrats aidés) à 700 millions en 2022 (pour 100.000 contrats aidés). Et le contrat réinventé, Pec, Parcours-Emploi-Compétence n’est pris en charge qu’à 45% maximum. Dans le secteur sportif, c’est 20 000 emplois supprimés, a minima, depuis 2017.
Certes, en 2022, 13 000 jeunes qui ont effectué une mission de service civique dans le domaine du sport (selon l’Agence du Service Civique). Mais rappelons qu’il ne s’agit pas ici d’un emploi, que sa durée est en moyenne de huit mois, que les jeunes doivent être encadrés à tout moment par leur tuteur.
A un an des JO, et après les révoltes dans de l’été 2023 dans les quartiers populaires, le président de la République annonçait la création de mille emplois d’éducateurs socio-sportifs, dans les cinq cents territoires les plus touchés par les émeutes. Et de lancer fièrement devant l’Elysée : « Vous êtes une équipe de France de la fraternité ! »
Mille ! Mille pour toute la France ! Mille pour 67 millions d’habitants ! C’est dire le vide, le cache-misère, la goutte d’eau dans le désert. Le zéro volonté politique.
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C’est grâce à eux, grâce à Bernard, Jacques, Françoise, grâce à leurs efforts, grâce aux joies, aux bonheurs partagés dans les gymnases, autour des stades, sur les terrains par des millions de gamins, c’est grâce à ça que notre pays ne se déchire pas, qu’il tient ensemble, encore. Ce sont des piliers, modestes, humbles, méconnus, de la République.
Que faire, alors, pour qu’ils ne craquent pas ?
Que proposer pour qu’ils se renforcent ?
Pour un essor du sport en France, pour l’ancrer, l’enraciner dans la société, pour en faire un véritable outil de prévention, c’est une politique gouvernementale qu’il faudrait : les dernières grandes lois sur le sport datent d’il y a une vingtaine d’années, du temps de Marie-George Buffet. Le sport est traité comme une affaire périphérique, le lointain prolongement des jeux du cirque. Alors qu’il occupe une place majeure, centrale, dans la société. Aussi, il faudrait un grand projet. Pour la gouvernance des instances sportives. Pour la démocratisation des fédérations. Pour la rémunération, l’avenir, la retraite des sportifs qui ne sont pas millionnaires. Pour l’éducation physique dans les établissements scolaires, avec plus d’heures d’EPS mais aussi via l’USEP à l’école primaire, l’UNSS au collège et au lycée, la FFSU à l’université. Pour les libertés des supporters. Pour le développement du handisport. Pour la lutte contre les discriminations liées au genre, à l’origine, à la confession…
Nous ne pouvons présenter, ici, dans une proposition de loi, que des mesures d’urgence, insuffisantes – mais qui, nous l’espérons, ouvrent des pistes, un horizon.
1 / les exigences administratives
Comme pour les agriculteurs, mais comme pour bien d’autres professions (professeurs, infirmiers, policiers, etc.) les exigences administratives, que l’informatique n’a pas allégées mais alourdies, sont devenues un obstacle à l’exercice du métier. Et, en l’occurrence ici, du bénévolat.
Voilà sur quoi devront se concentrer nos premières mesures.
Par quels biais ?
Que les communes, les départements, les régions et l’Etat mettent sur pied, ensemble, un dossier unique pour les subventions.
Que ce soutien financier ne soit pas accordé pour des « projets », pour des initiatives particulières, avec des appels auxquels répondre, mais pour du fonctionnement, avec la garantie d’une stabilité sur plusieurs années.
Que les bénévoles reçoivent une aide humaine pour affronter les dossiers, enregistrer les chèques Pass’Sport, rédiger les bilans, etc.
Nous suggérons ainsi l’embauche de 60 000 salariés qui, à raison d’une journée par semaine, par club, pourraient traiter les papiers des 300 000 clubs du pays, et rendre bien d’autres services. Pour mutualiser, pour partager ce soutien entre plusieurs associations, les communes, ou les intercommunalités, semblent les mieux à même de servir de relais. Il convient alors de renouer avec des contrats aidés – en une version améliorée, sans précarité.
Dans son avis « Renforcer le financement associatif : une urgence démocratique », le CESE parvient à des propositions proches. D’abord, « l’impérative réflexion à mener autour de la simplification de la gestion administrative des dossiers de financement pour les associations : guichet unique, limiter le nombre des cerfas, interlocuteurs expérimentés à même d’accompagner efficacement les associations dans leurs démarches administratives, etc. » Et de recommander, à la place des « appels à projet », des subventions pluriannuelles, qui installent dans la durée, marquent une confiance, et limitent les dossiers…
Aussi, le Cese en appelle à remettre des moyens humains : « Il semble manquer un dispositif en appui des projets associatifs par la création et la consolidation d’emplois contribuant à l’intérêt général. Ces emplois aidés contribueraient à développer et pérenniser des projets dont la réalisation nécessite des salariés qualifiés. »
2 / un statut de bénévole associatif
C’est un travail gigantesque, non compté dans le PIB, et donc non valorisé, qu’accomplissent les plus de 16 millions de bénévoles du pays. Aussi convient-il de ne plus le traiter comme un « ça va de soi », mais de le considérer avec reconnaissance.
Par quels biais ?
Pour les kilomètres effectués, il s’agirait de prendre en charge les frais de transport des bénévoles.
Il conviendrait de créer un statut de dirigeants associatifs, en particulier sportifs. Mais plus largement, il faudrait un statut de bénévole. Ainsi bénéficieraient-ils d’ « heures de délégation associative », à l’image des heures de délégation syndicales. A raison de 3 heures par semaine, a minima. Leur suractivité bénévole leur ouvrirait des droits nouveaux : trimestres comptabilisés pour la retraite, droit à la formation, validation des qualifications acquises durant leur engagement… Tout ceci, notamment, pour rajeunir les militants du monde associatif.
Une brèche a été ouverte récemment dans une proposition de loi visant à « favoriser l’engagement bénévole » votée en avril dernier. Même s’il s’agit, en l’état, que d’une simple demande de rapport : « Le Gouvernement remet au Parlement un rapport analysant l’impact de la baisse des subventions aux associations sur l’emploi associatif et la situation de l’emploi dans le secteur associatif (…) Ledit rapport évalue les différents types de congés dont peuvent bénéficier les actifs bénévoles. (…) Il analyse la possibilité de généraliser le maintien de la rémunération lors du congé [de citoyenneté] à l’ensemble des salariés ainsi que la possibilité d’instaurer une semaine de quatre jours pour les salariés bénévoles. Ce rapport présente également des pistes (…) pour ouvrir la possibilité aux bénévoles qui sont également salariés de demander à leur employeur un aménagement horaire afin de mener à bien leurs missions associatives, pour prendre en compte l’engagement bénévole des dirigeants d’association dans la détermination des droits à la retraite. »
Enfin, et bien que cela déborde du périmètre d’une proposition de loi : la télévision, et sans doute davantage la télévision publique, pourrait produire une « Nuit des bénévoles ». Pour mettre en valeur ces femmes et ces hommes qui donnent de leur temps, de leur énergie. Pour que, à travers une poignée de « héros », des milliers d’autres se sentent reconnus. Et bien sûr, pour susciter des vocations.
3 / le sport pour tous
L’argent ne devrait pas être une barrière à la pratique d’un sport, et encore moins pour les enfants. Or, ça l’est encore trop souvent.
« Le Pass’sport 50 €, on s’arrange avec le foot, même le volley, raconte Jacqueline Quillet, du Relais social à Amiens-Nord. Mais le judo, 260 €, plus le kimono ! La danse, le patinage artistique… des petites filles en rêveraient ici. Mais c’est non, y a pas vraiment de discussion avec la fédération. » Ce sport pour tous, cela aurait dû commencer dès cet été. L’an dernier, dans notre proposition de loi sur les vacances, nous posions comme dernier article : « Pour ceux et pour celles qui ne partiront pas, qui resteront à la ville, au quartier, au bourg ou au village : un peu de bonheur, des activités accessibles sur place. Les collectivités, pour organiser des activités d’été, font face à un problème majeur : le recrutement d’animateurs et d’animatrices. « Animer » signifie « réveiller les âmes ». Quelle belle mission, alors, qu’animateur ! « Moi, ça m’avait réchauffé le coeur de voir Agnès, Hakima et Hélène rire sans retenue, raconte Magyd Cherfi dans Notre part de Gaulois. Ça nous rappelait tout l’intérêt de notre job d’animateurs de quartiers, ici les mômes étaient vifs et osaient l’improbable, on s’ennuyait jamais. Avec eux l’étonnement toujours pointait le bout de son nez, et ça nous cinglait l’âme. »
Mais comment sont-ils traités, ces « essentiels » ? Des contrats de bouche-trous, sous-payés… La « pénurie » n’étonnera pas. Rien que cet été, il aura manqué pas moins de 40 000 animateurs pour encadrer deux millions d’enfants. A l’État, au ministère, de s’impliquer, au moins pour l’été.
A l’article 13, nous proposons un fonds de soutien à destination des collectivités locales et des associations fléchés vers l’embauche de 50 000 animateurs et animatrices, ainsi que l’inscription gratuite des enfants et des jeunes sous condition de ressources des familles aux activités de loisirs organisées par les structures d’accueil.
Cet article, nous le reprenons ici, tel quel. Pour que Esperanza anime des ateliers de volley dans toute la Somme. Pour que les plus petits, des bourgs comme des tours, touchent à tout, au ballon, au kayak, au hockey, au cheval, etc. Pour qu’ils prennent leur part de joie (loin des écrans). Comme énoncé plus haut : ces mesures relèvent de l’urgence, ne font qu’ouvrir des pistes, bien insuffisantes. Pour que les enfants qui le veulent puissent pratiquer le sport de leur choix à la rentrée après en avoir rêvé devant la télé cet été. Pour que les associations soient reconnues et que leur vie soit, un peu, simplifiée. C’est un véritable projet du gouvernement pour le sport, qu’il faudrait. Sans quoi, il ne restera aucun « héritage » des Jeux olympiques, seulement des équipements.
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Comme un symbole : je finirai par la salle de boxe de Mohamed Oudji, à Etouvie. Elle a brûlé, calcinée durant les émeutes. Pour ne pas « lâcher le terrain », pour « marquer le territoire », le samedi matin, lui entraîne ses élèves sur le parking.
« Depuis deux ans, je réclamais une barrière, juste une barrière, avec une barrière je sauvais la salle… Mais non. Je suis à 70 h par semaine, je touche 2 000 € par mois, tous les week-ends je conduis les gosses en compétition, et on renâcle pour cette barrière !
C’est pareil : je voulais un poste d’adulte-relais, qui soit là à partir de 16 h, jusqu’à minuit. Parce que les jeunes, dehors, tu ne les vois pas aux horaires de bureau, le matin, ça sert à rien. Eh bien, ils nous l’ont refusé. Tu ne te sens pas encouragé.
Ici, le club de foot a fermé… Nous, ici, dans notre jeunesse, ce sont les soixante-huitards qui nous ont tendus la main, qui nous ont donné l’envie. J’essaie de passer le relais, que la flamme ne s’éteigne pas.
– Et tu y parviens ?
– Ah, on en a rattrapé, des gamins ! Théo, qui est maintenant champion de France. Il est arrivéà 14 ans, ses parents sont retournés à la Martinique, il s’est retrouvé tout seul, d’un canapé àl’autre, les mauvaises fréquentations… Mais je connais un peu la mécanique. D’abord, il fautqu’il fasse une performance, pour lui, et pour le regard qu’on porte sur lui. Ensuite, il faut lefaire sortir du quartier, pour qu’il décroche : je lui ai trouvé un logement à Amiens, dans lecentre. Enfin, il est parti en section sport-étude à Toulouse. Juste avant le Covid, il m’aappelé : ‘J’ai eu mon bac.’ Alors que, au vu de son élocution, de son écriture, ça paraissaitmission impossible. Mais y a rien d’impossible. Tous ces jeunes qui font des conneries, ici, etmême ceux qui ont cramé notre salle, ce qu’ils viennent dire, c’est ‘help me’. »
Et nous en revenons, encore et encore, à cette chose négligée, oubliée, en ce vingtième siècle de grands projets prométhéens : l’humain. L’humain d’abord, de la naissance à la mort. Tout l’humain qu’il y a dans le mystère, dans le miracle ordinaire, des maillots pliés.
Dispostif
Chapitre 1 – Simplifier le labyrinthe administratif
Article 1
Un guichet unique centralisant les informations relatives aux subventions existantes pour faciliter les démarches des associatives sportives est créé. Il est accessible numériquement et dispose d’un point d’information physique dans chaque canton. Les modalités d’application du présent article sont fixées par décret en Conseil d’État.
Article 2
Il est fixé pour objectif l’embauche de 60 000 contrats aidés d’ici au 1er janvier 2025 par les collectivités territoriales visant à accompagner le travail des associations sportives.
L’Etat augmente la dotation générale de fonctionnement des collectivités territoriales afin que cette nouvelle charge ne pèse pas sur leurs finances.
Chapitre 2 – Pour une reconnaissance des dirigeants associatifs
Article 3
Après la section 1 du chapitre1er du titre II du livre II du code du sport est ajoutée une section 1 bis ainsi rédigée :
« Section 1 bis : Dirigeant d’une association sportive
« Art. L. 121-5-1 – Le statut de dirigeant d’une association sportive est octroyé à toute personne qui siège à titre bénévole dans l’organe d’administration ou de direction ou exerce à titre bénévole des fonctions de direction dans l’organe d’administration ou de direction d’une association sportive relevant des dispositions de la Section 1 du présent chapitre. Ce statut peut également concerner toute personne, non administrateur, apportant à une mutuelle, union ou fédération, en dehors de tout contrat de travail, un concours personnel et bénévole, dans le cadre d’un mandat pour lequel elle a été statutairement désignée ou élue.
« Art. L. 121-5-2 – Le statut de dirigeant associatif ouvre le droit à un congé de citoyenneté sans perte de salaire, équivalent à une demi-journée par semaine. Il permet à toute personne
salariée de s’absenter de son activité professionnelle aux fins de mener à bien son mandat associatif.
« Art. L. 121-5-3 – Le statut de dirigeant associatif ouvre un droit à congé de formation. Ce droit s’impose aux employeurs des dirigeants associatifs. Le congé de formation s’acquiert à raison de deux jours par an pour des associations ayant plus de 50 membres actifs à jour de leur cotisation.
Le dirigeant associatif qui souhaite exercer son droit à congé formation doit en aviser son employeur dans un délai d’un mois au minimum avant le début de cette formation.
« Art. L. 121-5-4 – Il est accordé à chaque élu associatif un trimestre de cotisation pour l’assurance retraite suite à trois années d’engagement associatif. Ce droit à la retraite est financé par la solidarité nationale.
Un décret fixe le champ d’application du présent dispositif. La charge pour les organismes de sécurité sociale est compensée, à due concurrence, par la majoration de l’accise sur les tabacs prévue au chapitre III du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.
Chapitre 3 – Le sport pour toutes et tous
Article 4
La solidarité nationale permet à chaque enfant et à chaque jeune de 3 ans à 25 ans d’accéder à l’activité physique ou sportive de son choix.
Ce soutien est financé par l’Etat qui prend à sa charge la moitié du coût des licences sportives dont le montant est supérieur au Pass’sport, octroyée par une association agréée, y compris scolaire, sous condition de ressources des familles. Un décret fixe le champ d’application du dispositif, les conditions d’éligibilité et d’attribution de cette aide, ainsi que les conditions de sa mise en oeuvre.
Article 5
Il est créé, auprès du ministre de l’Éducation nationale, de la jeunesse et des sports, un fonds en soutien à l’activité des accueils collectifs de mineurs, telle que définie à l’article L. 227-4 du code de l’action sociale et des familles.
Ce fonds de soutien est financé par l’État et s’élève à 800 millions d’euros.
Ce fonds a pour mission de soutenir les activités de loisirs à destination des mineurs organisées entre le 1er juillet et le 31 août 2025, proposées par les collectivités territoriales et les associations bénéficiant d’une habilitation de l’autorité administrative. Il vise notamment à permettre l’embauche d’animateurs et d’animatrices, et l’inscription gratuite des enfants, sous conditions de ressources des familles, aux activités organisées par les structures d’accueil. Il vise également à favoriser l’accès des enfants en situation de handicap aux activités organisées par les structures d’accueil.
Un décret fixe le champ d’application du dispositif, les conditions d’éligibilité et d’attribution des aides, leur montant ainsi que les conditions de fonctionnement et de gestion du fonds.
Article 6
Le Gouvernement inclut l’activité physique et sportive dans la lettre de cadrage des prochaines négociations collectives entre partenaires sociaux relatives à la qualité de vie au travail.
Chapitre 4 – Gages
Article 7
Le taux du prélèvement sur les paris sportifs en ligne de la France des jeux (FDJ) et des nouveaux opérateurs agréés est relevé pour être fixé à 20 %.
Le taux du prélèvement sur les jeux exploités par la FDJ hors paris sportifs est relevé pour être fixé à 12 %.
Le taux de la contribution sur la cession à un service de télévision des droits de diffusion de manifestations ou de compétitions sportives, dite « taxe Buffet » est relevé pour être fixé à 11 %.
Article 8
Le taux du prélèvement sur les transferts de sportifs professionnels indiqué à l’alinéa 3 de l’article L. 411-3 du titre Ier du livre IV du code du sport est relevé pour être fixé à 8 %.