« Dans les années 80, ici, dans l’Allier, on pêchait jusqu’à cent saumons par jour. Mais à cause de la pollution, du réchauffement climatique, c’est fini. Il n’y en a plus. Il ne nous reste que la fête du saumon… »
Nous sommes dans la salle du Conseil municipal, à Limons (Puy-de Dôme, 751 habitants) avec Monsieur le maire, Matéo Morel, 24 ans.
« L’autre souci dont je voulais vous parler, c’est avec l’école obligatoire à trois ans. Les enfants ne sont pas propres, et alors que mes agents sont vraiment remarquables, jamais en arrêt, là, Audrey, mon Atsem, elle n’en peut plus. Elle…
– En bien, allons la voir !
– Hein ?
– Oui, vous allez me parler d’Audrey, autant qu’elle parle aussi !
– Ah bah oui, d’accord. »
Nous voilà partis à l’école du village.
On confisque Audrey à la maîtresse, se réfugie dans la cantine :
« Je fais ce métier depuis neuf ans, depuis quatre ans avec les tout petits. Avant, il y avait comme une condition : ‘On prendra votre enfant à l’école s’il est propre’. Du coup, les parents faisaient un effort. Avant, il arrivait un accident ou deux par jour. Là, mardi, j’en ai changé dix. Avant la sieste, pendant la sieste, après la sieste, ça n’arrête pas. Ca m’épuise.
On n’a pas d’endroit pour les changer. Donc, on les met eux debout dans les toilettes, nous à genoux par terre. Pour la première fois de ma carrière, j’ai mal au dos. Et alors qu’on est rentrés que depuis trois semaines…
– Il vous faudrait une table à langer ?
– C’est en discussion. Mais on est partagés, parce que c’est comme si on officialisait que c’est notre rôle, notre métier ! Ca bouleverse notre travail : à la place de faire des ateliers peinture, on est dans le caca. Ca décourage, ça fait mal au moral.
– Donc ça touche au physique et au psychologique…
– Voilà. Et je suis un groupe Facebook d’Atsem, on est nombreuses à ressentir ça. L’école devient une crèche. C’est une régression pour moi, mais aussi pour les enfants. Alors que, bizarrement, quand on prend les TPS en cours d’année…
– Les TPS ?
– Les Toutes petites sections. Ce sont les enfants qui ont trois ans en cours d’année, en janvier. Là, c’est sous condition. Et du coup, vous avez des enfants qui sont plus avancés, qui sont propres, qui mangent tout seuls… Parce que les parents ont fait les efforts avec eux. »
A côté, dans la cuisine, Patricia la cantinière est en train de s’activer : « Je fais à manger pour soixante-dix gamins…
– Et Patou fait de la cuisine maison ! ajoute Matéo.
– J’essaie. Mais là, sur les pâtisseries, je m’en veux : j’ai baissé.
– Et c’est vous aussi qui faites le service ?
– Oui, avec une dame qui vient m’aider.
– Quand un agent est malade, c’est moi qui vient parfois le remplacer ! C’est ça, le boulot de maire dans une petite commune ! »
Voilà comment notre pays tiens debout : par les Audrey, les Matéo, les Patou.