Gaza : est-ce un génocide ? Oui (comme l’affirme le droit international)

Ca arrive : vous causez au micro, et aussitôt après, vous le regrettez. C’était le cas, la semaine dernière, lors du live twitch à L’Huma, et un goût amer derrière. A la fois sur le ton : raisonner à distance, sans dire l’horreur de Gaza, les souffrances des enfants, les larmes des mères. Et sur le fond : car oui, il s’agit bien d’un génocide.

Depuis le 7 octobre 2023, depuis les attentats commis par le Hamas, l’armée israélienne mène sur Gaza une répression terrible, aveugle. Plus de 45 000 morts, pour près de la moitié des enfants, plus des femmes, des civils. Les écoles, les hôpitaux sont détruits. Les blessés sont opérés, quand ils le sont, sans anesthésie. Près de deux millions de personnes sont déplacées, réfugiées à l’intérieur de leur propre pays. La famine s’étend, avec les maladies. D’autant que l’aide de l’UNRWA est réduite, quasi-interdite. Enfin, les journalistes sont privés d’accès, les reporters locaux sont ciblés, éliminés, pour que le monde ne mette pas de nom, pas de prénom, pas de visage, sur ce massacre en cours. Ce n’est pas une guerre : c’est un massacre, tant est immense la disproportion des moyens. Une « situation apocalyptique », comme le dénonce l’Onu.

Qui se double de la lâcheté internationale, des Etats-Unis en première ligne, mais également, derrière, eux, nous l’énonçons avec tristesse, de la France – qui a renoncé à sa politique d’indépendance.

Depuis un an, nous aurions pu déposer une résolution en faveur d’un cessez-le-feu devant le Conseil de sécurité des Nations Unies. Nous aurions pu demander la suspension de l’accord commercial entre l’Union européenne et Israël. Nous aurions pu reconnaître l’Etat palestinien, comme l’a fait l’Espagne. Nous aurions pu faire défiler, aux Jeux Olympiques, les athlètes israéliens comme les Russes : sans hymne ni drapeau.

Mais toutes les limites du « deux poids deux mesures » sont franchies avec le mandat d’arrêt émis, par la Cour pénale internationale, contre un dirigeant du Hamas, Mohammed Deïf, mais aussi contre des dirigeants israéliens, Benjamin Nétanyahou et son ex-ministre de la Défense, Yoav Gallant : pour crime de guerre et crime contre l’humanité. Voilà que ces derniers, d’après Emmanuel Macron, d’après le Quai d’Orsay, voilà que eux bénéficieraient d’une « immunité ». C’est une honte. Et qui va nous marquer pour longtemps : dans les pays du sud, nous n’apparaîtrons que comme des Tartuffes, comme des hypocrites, lorsque nous évoquerons « les valeurs », « les droits de l’Homme », « la démocratie ». Comme si une vie ne valait pas une vie. Comme si les larmes d’une mère palestinienne ne valaient pas les larmes d’une mère israélienne, ou ukrainienne, ou européenne.

La force du carnage, et la faiblesse de notre réaction : voilà qui ne fait aucun doute.

S’agit-il d’un génocide ?

« Génocide. N. m. Destruction méthodique d’un groupe ethnique. Syn. Extermination. »
Le petit Robert.

« Génocide. Actes commis dans l’intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux :
a/ meurtres de membres du groupe ;
b/ atteintes graves à l’intégrité physique ou mentale de membres du groupe ;
c/ soumission intentionnelle du groupe à des conditions d’existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle. »

Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide.

Non, donc, selon le dictionnaire.

Mais oui d’après le droit international.

Ainsi, selon l’avocat international Johann Soufi, « contrairement à ce qui est parfois suggéré, le génocide ne se limite pas à l’extermination d’un peuple. » Comme le remarque l’historien israélien Amos Goldberg, « il n’est pas besoin de tuer tous les membres d’un groupe pour qu’il s’agisse d’un génocide. Ce qui est arrivé à Srebrenica, où « seuls » 8 000 hommes furent tués, a été reconnu comme un génocide par le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie. Les Etats-Unis ont reconnu, en mars 2023, que ce que la Birmanie a fait aux Rohingya est un génocide, même si la plupart d’entre eux furent « seulement » expulsés et que « seuls » 10 000 d’entre eux ont été tués, selon le département d’Etat. Ces exemples diffèrent de la Shoah ou du génocide arménien, où il y eut une tentative de tuer tout un groupe. »

Un génocide, d’après des organisations internationales

Des déclarations d’organisations internationales assimilent bien les crimes commis à Gaza à un génocide.

  • La Cour pénale internationale

La Cour pénale internationale a indiqué, dans une ordonnance rendue en janvier 2024, qu’il existe un risque plausible de génocide commis par Israël contre la population palestinienne dans la bande de Gaza.

  • Le rapport de Francesca Albanese, « Anatomie d’un génocide »

La rapporteuse spéciale des Nations unies sur la situation des droits de l’homme dans les territoires palestiniens, Francesca Albanese, affirme qu’il existe désormais « des motifs raisonnables de croire que le seuil indiquant que des actes de génocide [ont été commis] contre les Palestiniens à Gaza a été atteint ».

La rapporteuse estime que trois éléments constitutifs du génocide sont réunis : « le meurtre de membres du groupe » ; « les atteintes graves à l’intégrité physique ou mentale de membres du groupe ; et « la soumission intentionnelle du groupe à des conditions d’existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle ».

Pour cela, elle s’appuie sur des faits : le nombre de morts et de blessés, les entraves à l’arrivée de l’aide humanitaire, les bombardements israéliens touchant des hôpitaux, des écoles, des infrastructures de télécommunication, etc.

Mais elle s’appuie également sur les déclarations de responsables israéliens, qui ont affirmé publiquement vouloir rendre la vie des Gazaouis impossible. Le 9 octobre 2023, l’ex-ministre de la Défense israélien, Yoav Gallant, avait notamment annoncé dans la bande de Gaza un « siège complet (…), pas d’électricité, pas de nourriture, pas d’eau, pas de carburant ». Le ministre de l’Energie de l’époque, Israël Katz, avait aussi affirmé : « Aucun interrupteur électrique ne sera allumé, aucune pompe à eau ne sera ouverte (…) tant que les Israéliens enlevés ne seront pas rentrés chez eux. » 

  • Rapport du Comité spécial des Nations Unies

Ce Comité spécial s’est chargé, en septembre 2024, d’enquêter sur les pratiques israéliennes. Voici la conclusion du rapport.

« Les faits consignés dans le présent rapport amènent le Comité spécial à conclure que les politiques et les pratiques israéliennes appliquées durant la période considérée présentent des éléments caractéristiques d’un génocide. Constituent des violations du droit international : le fait que les Palestiniens soient pris pour cible en tant que groupe ; les conditions d’existence mortifères imposées aux Palestiniens de Gaza du fait de la guerre et des entraves mises à l’acheminement de l’aide humanitaire, qui entraînent leur destruction physique et une augmentation des fausses couches et des mortinaissances ; les meurtres et les atteintes graves à l’intégrité physique ou mentale des Palestiniens de Gaza et de la Cisjordanie occupée, y compris de Jérusalem-Est. Des civils ont été tués en masse, sans discrimination et de manière disproportionnée à Gaza, tandis qu’en Cisjordanie occupée, y compris à Jérusalem-Est, les colons, les militaires et le personnel de sécurité israéliens ont continué d’enfreindre les droits de l’homme et le droit humanitaire en toute impunité.

Les violations du droit international que ne cesse de commettre Israël dans la guerre qu’il livre à Gaza, le régime d’apartheid en Cisjordanie occupée, et le mépris dans lequel il tient les résolutions obligatoires du Conseil de sécurité et les ordonnances de la Cour internationale de Justice. Les obligations établies par le droit international pour atténuer la barbarie de la guerre et protéger les droits de l’homme, y compris le droit à l’autodétermination, sont mises en péril par les exactions d’Israël et par le fait que d’autres États ne veulent pas lui demander des comptes et continuent de lui apporter un appui, notamment militaire. » 

  • Les mandats d’arrêt de la Cour pénale internationale

Le jeudi 21 novembre 2024, la Chambre préliminaire de la Cour pénale internationale a délivré des mandats d’arrêt à l’encontre de Benyamin Nétanyahou et Yoav Gallant, pour des crimes contre l’humanité et des crimes de guerre commis depuis le 8 octobre 2023 jusqu’au 20 mai 2024 au moins, jour où le Procureur a déposé ses demandes.

Le leader du Hamas, Mohammed Diab Ibrahim al-Masri – connu sous le nom de Mohammed Deif –, est aussi ciblé par la CPI pour des « crimes contre l’humanité et des crimes de guerre présumés commis sur le territoire de l’Etat d’Israël et de l’Etat de Palestine depuis au moins le 7 octobre 2023 ».

Un génocide, d’après l’historien israélien Amos Goldberg

Amos Goldberg est titulaire de la chaire d’études sur la Shoah à l’Université hébraïque de Jérusalem. Il a publié, en avril, un article accusant Israël de commettre un « génocide » à Gaza. Il s’en explique auprès du Monde, en octobre 2024, dans un entretien remarquable et que nous citerons ici longuement.

« Cela m’a pris du temps. Le 7-Octobre a été un choc, une tragédie, une attaque horrible. Cela a été douloureux et criminel, d’une magnitude telle que nous n’en avions jamais connue. (…) Immédiatement après l’attaque [du 7 octobre], les bombardements israéliens massifs ont commencé et, en quelques semaines, des milliers de civils gazaouis sont morts. Et il n’y avait pas seulement les bombardements. Une rhétorique génocidaire est apparue et a dominé dans les médias, l’opinion publique et la sphère politique : « Nous devons les supprimer [les Palestiniens], ce sont des animaux humains » [Yoav Gallant, ministre de la défense, le 10 octobre 2023] ; « C’est toute une nation qui est responsable » [Isaac Herzog, président d’Israël, le 14 octobre 2023] ; « Nous devrions larguer une bombe nucléaire sur Gaza » [Amichai Eliyahu, ministre du patrimoine, le 5 novembre 2023] ; « C’est la Nakba de Gaza 2023 » [Avi Dichter, ministre de l’agriculture, le 11 novembre 2023, en référence audéplacement forcé et à l’expulsion de 700 000 Palestiniens, pendant la guerre de 1948, après la création d’Israël].»

« Un des premiers textes adoptés par Israël à sa création fut la convention sur le génocide [le 9 décembre 1948]. Dont l’une des clauses précise que le génocide n’est pas uniquement constitué des crimes commis, mais aussi des incitations à les commettre. Et c’était clairement le cas. Yad Vashem a refusé de condamner ces discours. »

« A mes yeux, Israël a le droit absolu de se défendre après le 7-Octobre, mais il a surréagi de manière criminelle. Le territoire a été totalement détruit. Le niveau et le rythme de tueries indiscriminées touchant un nombre énorme de personnes innocentes, y compris dans des lieux définis par Israël comme des zones sûres, la destruction de maisons, d’infrastructures, de presque tous les hôpitaux et universités, les déplacements de masse, la famine organisée, l’écrasement des élites et la déshumanisation étendue des Palestiniens dessinent l’image globale d’un génocide. »

« Je pense qu’il y a de bonnes chances pour que la CIJ reconnaisse que le crime de génocide ou tout au moins des actes génocidaires, tels que l’attaque sur l’hôpital Al-Shifa ou le fait d’affamer délibérément des centaines de milliers de personnes, ont été commis. »

Et l’historien de la Shoah conclut : « Ce qui se passe à Gaza est un génocide, car Gaza n’existe plus. »

Le droit international l’affirme, aucun doute : le peuple palestinien subit un génocide.

Une chose me frappe, depuis un an, un paradoxe : Israël gagne, sans doute, sur le plan militaire, mais devient un pays haï, honni, s’inflige un désastre moral. Depuis un an, les regards et le soutien se tournent vers le peuple palestinien: dans ce martyr, son drapeau flotte partout. Il est devenu un signe de ralliement à travers le monde. Chaque jour, cette évidence gagne les esprits : cette nation a droit à son Etat.

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