Chlordécone : une sous-justice pour des sous-citoyens ?

François Ruffin interpelle Jean Castex sur le chlordécone en Guadeloupe et en Martinique : de quel côté êtes-vous ? Des victimes ou des pollueurs ?

« Dans ces temps troublés, nous avons une boussole : la République. La République c’est notre ciment, la République c’est notre espérance. C’est elle qui doit unir les Français, qui doit incarner les promesses de la justice et du progrès social. » Ces mots, ce sont les vôtres Monsieur le Premier ministre et j’ai plaisir à vous les emprunter, parce que je les partage.

Mais cette « justice », cette « République », sont-elles les mêmes sur tout le territoire français ? Ou l’éloignement de Paris, des mers, des océans, d’autres cieux, d’autres climats, abolissent-ils la justice et la République ? Et je veux vous parler de ce scandale géant, de ces scandales géants, emboîtés comme des poupées russes : le chlordécone aux Antilles.

Le premier scandale est sanitaire, évidemment : pour la culture de la banane, ce poison fut répandu sur les îles durant des décennies. Même après l’avoir interdit en France métropolitaine, en 1989, il était encore permis en Martinique, en Guadeloupe, jusqu’en 1993. La terre en est pourrie : l’INSERM juge que sa disparition sera effective dans cinq siècles. Les corps en sont touchés : le chlordécone a contaminé 90% de la population antillaise. C’est un cancérigène, qui augmente notamment les risques de développer des cancers de la prostate.

Le second scandale est judiciaire. En 2006, plusieurs associations guadeloupéennes et martiniquaises ont déposé plainte pour « mise en danger de la vie d’autrui » et « empoisonnement ». Et que fait la justice depuis quatorze ans ? Rien. Pas grand-chose. Elle laisse mourir le dossier. De sorte que cette plainte, déposée il y a quatorze ans, risque la prescription… faute de véritable instruction ! Magnifique manière d’enterrer un dossier gênant…

Comme vous l’a demandé Alfred Marie-Jeanne, président du conseil territorial de Martinique, comme vous le demandent les élus de ces îles françaises, le président de la République et le gouvernement doivent peser pour que justice soit faite, pour qu’un procès ait lieu, pour que la vérité soit établie. Et non pour cacher cette vérité, pour empêcher un procès, pour empêcher la justice – comme on peut aujourd’hui le soupçonner. On se souvient, en  effet, d’Emmanuel Macron, recevant les parlementaires antillais et, s’improvisant chimiste émérite, leur faisant la leçon : « Il ne faut pas dire que c’est cancérigène. Il est établi que ce produit n’est pas bon, il y a des prévalences qui ont été reconnues scientifiquement, mais il ne faut pas aller jusqu’à dire que c’est cancérigène parce qu’on dit quelque chose qui n’est pas vrai et qu’on alimente les peurs. » Pourquoi ce désir de contredire l’état de la science ? De propager une fakenews de l’industrie agro-chimique ?

Faut-il le rappeler ? Oui, il le faut, parce que c’est lié : avec l’esclavage, durant deux siècles, en Guadeloupe et en Martinique se déroule durant deux siècles un crime contre l’humanité. Le chlordécone dans les bananeraies en est la continuité. Si, face à notre passé, on ne peut rien, sinon la mémoire, sinon ne pas oublier, en revanche, on peut au présent ne pas ajouter l’injustice à l’injustice, refuser à nouveau l’égalité, l’égalité devant la loi, aux descendants d’esclaves, devenus citoyens français. C’est alors à la République, aux valeurs universelles qu’elle proclame, que vous, votre gouvernement, feriez très mal.

 Enfin, vous voulez, par un référendum, faire entrer le crime d’ « écocide » dans la Constitution ? C’est au pied du mur qu’on voit le maçon : vous avez là un crime écologique qui réclame justice. De quel côté êtes-vous ? Des habitants ou des pollueurs ?

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