« « Les pouvoirs publics ne réalisent pas ce qu’ils font… Sont-ils au courant de l’impact que ça a pour nous ? Connaissent-ils l’aide que ça nous apporte ? Se rendent-ils compte qu’on ne peut pas tenir sans ces postes ? », s’inquiète Rombo Togbahoun, fondateur et président du club UGBD Grigny Boxe, présent dans les quartiers de Grigny. » C’est ainsi que débute un article du Monde daté du 24 janvier dernier, intitulé : « « Sidérés », les quartiers populaires perdent leurs derniers emplois aidés. »
« Atelier vélo », « atelier assiette de vie », « atelier temps parents »… Autant d’activités qui, dans toutes les villes, tous les quartiers, seront supprimés. Et toutes les associations, partout, unanimes, dénoncent « une décision brutale et unilatérale », alertent sur « les répercussions catastrophiques sur la cohésion sociale. »
La copie est la même à Amiens.
A l’ALCO, centre interculturel d’Amiens nord : « Si on perd les adultes-relais, on met en péril la médiation, toutes les animations, l’accès aux droits des habitants, l’aide qu’on apporte pour les CV, le numérique. Déjà qu’on passe un temps fou dans les appels à projets, qu’on est contrôlés de tous les côtés, qu’on fait plus d’administratif qu’autre chose, si on réduit nos moyens, ça va être très compliqué. »
A l’autre bout de la Ville, à la Salamandre, c’est l’association L’un et L’autre : « C’est l’inverse, il nous faudrait au moins un poste supplémentaire pour mener à bien toutes nos missions. Nos ateliers couture, le soutien scolaire, les cours de cuisine… »
Mais pourquoi, alors, vous adresser cette question à vous, ministre de l’Intérieur ?
Pourquoi pas, plutôt, ce serait plus logique, à la ministre du Travail ?
Ou au ministre du budget ?
Parce que, avec votre collègue de la Justice, vous avez déclaré la guerre au narcotrafic. Je m’en félicite. La drogue pourrit la vie des habitants, elle angoisse les parents, elle menace les enfants, elle contraint à une surveillance des adolescents, de l’itinéraire qu’ils empruntent pour se rendre au collège, d’appeler quand ils en rentrent…
Je vous approuve : oui, ces trafiquants, frappez-les au porte-monnaie. Traquez leur patrimoine. Observez leur train de vie. Luttez contre le blanchiment. Fermez les commerces gris.
Mais cette guerre-là, vous ne pourrez pas la mener, vous ne pourrez pas la remporter, que de l’extérieur, qu’avec des forces de police, des contrôleurs des impôts, des inspecteurs des douanes, intervenant du dehors. Sans cela, ce ne seront que des châteaux de sable, et les gros bonnets arrêtés seront aussitôt remplacés.
C’est une bataille pour l’information, une bataille de l’espace public, une bataille des esprits que vous devez mener avec des alliés de l’intérieur. Avec des soutiens du dedans, en les appuyant, en renforçant les hommes et les femmes de bonne volonté. En les érigeant en contre-modèle, d’engagement, de citoyenneté félicitée.
Les associations, dans les quartiers, sont bien évidemment ce point d’appui, trop faible, trop fragile. Mais que vous, votre gouvernement, faites le choix d’affaiblir encore, de fragiliser. Elles exercent en terres hostiles, avec trois bouts de ficelle, et pour économiser des bouts de chandelle, vous les abandonnez. La vertu est alors punie. Le vice récompensé. Voilà les conclusions à en tirer.
Si vous vouliez, vraiment, enrayer le narcotrafic, vous en créeriez des contrats adultes-relais, plutôt que de les détruire, vous les sortiriez de la précarité, vous leur offririez une pérennité. Car qui, en bas des tours HLM, qui réussit encore parfois, patiemment, à tisser un lien avec des jeunes, qui leur ouvre un horizon, un autre chemin, par le sport, la cuisine, la photo ?
Vous faites reculer la République, là où, vous le savez, elle est le plus en danger. Vous laissez du vide, que d’autres sauront occuper.