Mal-travail : le plus gros plan social de l’Histoire

Les Français aiment leur travail. Ils en sont fiers, même. Mais ils n'aiment pas comment on leur fait faire, comment on l'organise, le pressurise. Pourquoi ce mal-travail bien français ? Car vous avez fait ce choix, depuis 40 ans : le travail est maltraité, un coût à diminuer.
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« Un nouveau pacte de la vie au travail. »

C’est le président de la République, ce printemps, en plein conflit sur les retraites, qui le promettait. Je le cite : un « nouveau pacte de la vie au travail sera construit dans les semaines qui viennent ».
Et tous les ministres le juraient : bientôt, grâce à ce « nouveau pacte », nous allions – je vous cite – « améliorer les revenus », « faire progresser les carrières »« mieux partager les richesses », « aider à la reconversion », « améliorer les conditions de travail »

Bref, vous alliez apporter le bonheur aux travailleurs.

Des semaines, des mois, se sont écoulés. La rentrée est passée. Arrivent l’automne et les budgets. Où en sont ces promesses, ces engagements ? Nous ne voyons rien, absolument rien venir. Car que se passe-t-il ?

Les Français aiment leur travail, ils en sont fiers – plus même que nos voisins européens. Mais ils n’aiment pas comment on leur fait faire leur travail, comment on l’organise, comment on le pressurise.

« Je suis toujours venu au boulot avec le sourire, me racontait un cariste. Mais depuis une paire d’années, la pression qu’on nous met, les objectifs qu’on nous fixe, je ne tiens plus. Et les collègues non plus. »

Ce n’est pas qu’un ressenti : dans les comparaisons internationales, nos entreprises sont à la traîne, en bas de tableau. Les travailleurs s’y usent, physiquement, psychiquement, plus vite qu’ailleurs. A cause du temps, notamment, du temps resserré, contraint, étouffant. Jusqu’aux drames : pour les morts du travail, nous sommes en queue de peloton, avec la Lettonie et la Lituanie. We are the champions !

Alors, pourquoi ce mal-travail ? Pourquoi ce mal français ? C’est un choix.

Depuis les années 80, dans la mondialisation, les dirigeants économiques, politiques, ont fait ce choix : celui d’un « low cost à la française ». Depuis quarante ans, le travail n’est pas traité comme une richesse, comme un investissement : non, il est maltraité, comme un coût à diminuer. A diminuer par les délocalisations. A diminuer par la sous-traitance. A diminuer par la précarité, l’intérim, les CDD. A diminuer, enfin, par l’intensification, toujours plus, plus fort, plus vite, plus de temps morts.

Mais ce low cost, ce bas coût a un coût. Oui, ce mal-travail, ce mal au travail a un coût énorme, un coût gigantesque.

Un coût humain, bien sûr, pour les travailleurs. C’est leur santé qui est altérée, leur vie parfois brisée. Ce sont, chaque année, plus de 100 000 inaptitudes, 100 000 salariés qui sortent du travail, blessés ou broyés, déclarés inaptes. 100 000 licenciés, c’est le plus gros des plans sociaux, et pourtant silencieux, invisible, invisible jusque dans les statistiques. Car eux, elles, ces inaptes, sont les rebuts du mal-travail, poussière humaine qu’on jette sous le tapis.

C’est un coût pour la Sécurité sociale, aussi,  pour son budget, avec les accidents du travail, les maladies professionnelles, mais aussi les arrêts de longue durée. C’est un coût pour les sociétés, désorganisées par l’absentéisme, par le turn-over.

C’est un coût, enfin, surtout, pour la société tout entière : des pans de notre économie, de nos services publics, dysfonctionnent, en peine de recrutements, en panne de compétences, de l’aide à domicile aux conducteurs de bus, des hôpitaux à l’industrie, de l’Education à la construction, avec des travailleurs que l’on épuise, qui fuient.

Ce coût du « mal-travail », un ancien ministre, Xavier Bertrand, l’avait évalué, « entre 3 et 4% du PIB ». Les économistes, les chercheurs, le chiffrent au-delà, bien au-delà des cent milliards d’euros.

Contre ce mal-travail, contre ce mal au travail, que faites-vous ? Rien. Vous ne luttez pas contre, tout l’inverse : vous le favorisez. Oui, vous aggravez ce mal-travail, vous l’encouragez. Qui a supprimé les comités d’hygiène et de sécurité ? Vous.

Qui a éliminé quatre critères de pénibilité ? Le port de charges lourdes, les postures pénibles, les vibrations mécaniques, les agents chimiques dangereux ? Vous.

Qui promeut un sous-statut, auto-entrepreneur, avec des sous-revenus ? Vous. Qui repousse à 64 ans la retraite des travailleurs à bout ? Vous.

Les Assises du Travail, ce printemps, réclamaient, je cite, « un véritable pacte de confiance reposant sur l’écoute et la reconnaissance des travailleurs », mais pas l’ombre ici. Le rapport Thiéry – Sénart, rendu à votre gouvernement, en appelait à une « révolution des pratiques managériales », mais pas une miette aujourd’hui.

Au contraire. Au contraire, vos seules mesures, c’est de traquer les arrêts-maladies, c’est de traiter les malades en fraudeurs, et leurs médecins en complice.

Une généraliste réagit ainsi : « Cela revient à casser le thermomètre pour faire baisser la température. Si l’on arrête davantage, c’est que les gens vont mal. Ils sont cassés. J’ai dans ma patientèle des caissières ou des femmes de chambres avec les poignets, les genoux et les épaules abîmés. »

Voilà qui devrait être au cœur du débat.

Voilà l’action que, pour les salariés, pour notre pays, pour son économie, voilà l’action que vous, ministres, vous, parlementaires, devriez porter, comme vous le promettiez.

Pour répondre à une aspiration simple, partagée par les millions de travailleuses, de travailleurs qui tiennent notre pays debout : les Français doivent vivre de leur travail, bien en vivre. Et aussi, surtout, bien le vivre. Que le travail soit la santé, et pas se la ruiner.

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