Bon, c’est un peu aride, chers collègues, votre littérature.
J’ai regardé, survolé ces rapports, plein de tableaux, de chiffres, de zéros, plein d’euros. Combien il reste d’oiseaux dans le ciel, de poissons dans les fleuves, de lombrics sous terre, nous l’ignorons. Rien sur le corail des océans, les abeilles, les ours blancs que nous massacrons comme des brigands.
Mais, je cite, les autorisations d’engagements pour la coordination de la politique européenne, nous le connaissons à l’euro près : 16 524 457 €.
Voilà le contrôle de l’État.
Le contrôle des euros – avec des tas d’organe pour ça, pour compter : la Cour des comptes, le Haut conseil aux finances publiques, le « Printemps de l’évaluation », ici, à l’Assemblée – un joli nom, mais qui n’évolue ni les hirondelles qui reviennent, ni les coquelicots qui éclosent, mais, je cite, la « mobilisation des crédits budgétaires » et, je cite toujours, les « répercussions budgétaires ». Voilà votre poésie.
On reste collés à l’origine du mot « contrôler », à son étymologie, dans l’ancien français : « Contre roller : vérifier des comptes en inscrivant sur un second registre. » Sept siècles plus tard, cette définition, étroite, étriquée, limitée, demeure la nôtre, voilà notre contrôle de l’État, de l’exécutif. Un contrôle des euros, sans social, sans environnement, sans morale. Nous sommes restés au Moyen-Âge budgétaire.
Enfin, regardons-les, ces comptes.
C’est avec hauteur et tambour et trompettes que l’Élysée claironnait ce été : le Plan serait de retour. Et on en aurait bien besoin, en effet, d’un plan, tant à force de confinement, déconfinement, reconfinement, notre pays semble aujourd’hui sans boussole, sans cap, sans capitaine, ou alors borgne, aveugle, le navire France emporté par les courants, flottant au gré des flots, à peine guidé au doigt mouillé. Mais que découvre-t-on, à lire vos rapports ?
Le Plan n’existe pas.
Le Plan n’existera pas, pas l’année prochaine, du moins.
Pas un rond ne lui est dédié.
En Sherlock Holmes ud Budget, Madame la rapporteur, intriguée, vous avez appelé le Premier ministre, son cabinet, qui vous a confirmé que, je cite, « il n’y a pas de crédits inscrits pour son fonctionnement ».
Et je me suis demandé : qui viendra contrôler l’État, là ?
Qui viendra contrôler ces effets d’annonces, frauduleux, ces publicités mensongères ?
Et idem. Quand le président Macron lance « la Convention citoyenne pour le climat », cinq millions d’euros bel et bien inscrits cette fois, quand il s’engage à reprendre les propositions « sans filtre », qui vient contrôler l’État, le chef de l’État ? Personne, et ce sont les 144 citoyens eux-mêmes qui s’y collent, sans un euro, lançant un Observatoire des mesures : oublié « le moratoire sur la 5G, l’interdiction de nouveaux aéroports, la fin des liaisons aériennes intérieures »…
Quand, l’année d’avant, le même président Macron avait initié le Grand débat, 12 millions d’euros, une « concertation d’ampleur nationale », je cite, un « outil consultatif de sortie de crise », avec des cahiers de doléances à travers le pays, 16000 cahiers, jamais ouverts, jamais lus, jamais mis en ligne, pour finalement, à l’arrivée, n’en rien retenir, qui contrôle l’État et le chef de l’État ? Qui contrôle la confiance rompue ? Le lien qui se délite ?
Quand le 14 juillet le président assure que : « Nous sommes prêts. Nous sommes prêts pour la seconde vague. » Quand avant la rentrée le ministre de l’Éducation assure : « Les écoles sont prêtes. » Quand le ministre de la Santé, la semaine dernière encore, à la Une des Échos, nous assure : « L’hôpital est prêt à faire face, la digue est solide », qui contrôle l’État ? Qui contrôle les fakenews ? Qui contrôle les lits dans les hôpitaux ? Les stocks de réactifs, d’hypnotiques, de vaccins ?
Qui contrôle le recrutement d’infirmiers, qui contrôle le moral des infirmières ?
Quand on « externalise », c’est le mot, les agents d’entretien, dans les hôpitaux, dans les tribunaux, dans les ministères, ici même à l’Assemblée, quand on les sous-traite et les maltraite, quand elles se lèvent en pleine nuit, journée hachée, journée coupée, pour moins que le Smic, qui contrôle l’État, qui en contrôle le coût, pour elles, pour leur santé, pour leurs familles ?
L’argent, oui, on le contrôle.
Les grandes personnes aiment les chiffres, explique Antoine de Saint-Exupéry au Petit prince. Quand vous leur parlez d’un nouvel ami, elles ne vous questionnent jamais sur l’essentiel. Elles ne vous demandent jamais : « Quel est le son de sa voix ? Quels sont les jeux qu’il préfère ? Est-ce qu’il collectionne les papillons ? » Elles vous demandent : « Quel âge a-t-il ? Combien a-t-il de frères ? Combien pèse-t-il ? Combien gagne son père ? » Alors seulement elles croient le connaître. Si vous dites aux grandes personnes : « J’ai vu une belle maison en briques roses, avec des géraniums aux fenêtres et des colombes sur le toit… », elles ne parviennent pas à s’imaginer cette maison. Il faut leur dire : « J’ai vu une maison de 100 000 francs. » Alors elles s’écrient : « Comme c’est joli ! »