Accord Europe-Nouvelle Zélande : 19 167 kilomètres de gasoil dans le lait, ça vous va ?

Mes réponses à CheckNews sur l'accoord de libre-échange entre l'Union européenne et la Nouvelle-Zélande.

Bonjour,

Journaliste pour la rubrique CheckNews du journal Libération, qui vérifie des informations à la demande des internautes, je vous contacte suite à la demande d’un lecteur qui nous demande de vérifier les informations contenues dans votre tweet du 1er juillet :

« Le Haut Conseil pour le climat appelle la France à un « sursaut ». Macron va signer un nouvel accord de libre-échange pour importer des milliers de tonnes de boeuf néo-zélandais. Champion de la terre ? Champion du porte-container ! »

Vous faites ici référence à l’accord entre l’UE et la Nouvelle-Zélande, mais en insistant sur le rôle de la France. J’ai également vu vos autres messages dans lesquels vous reprenez les inquiétudes des éleveurs français vis à vis des conditions d’élevages en NZ en interpellant Elisabeth Borne.

Il y a une chose cependant que je ne comprends pas bien : l’implication de la France dans cette signature. (…) Ma question est donc que reprochiez-vous ici à Emmanuel Macron ou Elisabeth Borne? Qu’espérez-vous de leur part dans ce dossier?

Bonjour Monsieur,

Enfin ! Enfin un article de Libération, fut-ce par la lorgnette de CheckNews, sur cet accord de libre-échange entre l’Union européenne et la Nouvelle-Zélande ! De la viande, ovine, bovine, du lait, du fromage, vont traverser les océans, faire 19.167 kilomètres en navire au gasoil détaxé… nos éleveurs sont mis en concurrence avec un pays où l’atrazine, pesticide notoire, interdit chez nous depuis 2003, qui pollue les rivières et les sols pour des générations, un pays où donc l’atrazine (parmi d’autres délices) est autorisée… bref, malgré les discours du président Macron sur « déléguer notre alimentation, notre protection à d’autres est une folie », malgré ses promesses d’intégrer les « clauses miroirs » – c’est-à-dire une égalité dans les normes sociales, environnementales, à ces traités -, malgré les mots sur l’ « après », le grand déménagement du monde se poursuit… et ça ne suscite, jusqu’ici, guère de curiosité, encore moins d’émoi, chez les journalistes : est-ce là le monde, et la mondialisation que nous voulons, que les Français veulent ?

Venons-en à vos questions :

« Que reprochez-vous donc à Emmanuel Macron ou Elisabeth Borne ? » Beaucoup de choses. « Qu’espérez-vous de leur part dans ce dossier ? » Pas grand-chose, malheureusement.

La France, évidemment, et encore davantage comme présidente temporaire de l’Union, avait tout loisir de s’opposer à ces négociations, de les bloquer. L’a-t-elle fait ? Non. Au contraire. En 2018, Emmanuel Macron s’était déclaré favorable à cet accord, avait indiqué son « souhait » qu’il soit signé :

« Je ne crois pas que l’avenir de l’Union européenne soit dans la fermeture et l’absence d’accords commerciaux nouveaux. » Certes, il ajoutait que « les accords à venir doivent être cohérents avec le modèle social que défend l’Europe, avec des engagements environnementaux et sanitaires » (https://www.ouest-france.fr/economie/agriculture/macron-favorable-un-accord-commercial-avec-la-nouvelle-zelande-5701173).

Qu’importe, au final, que ces accords ne soient pas « cohérents ». Qu’importe qu’ils excluent les « clauses miroirs » promises et promues par la Présidence française de l’Union européenne. Et sans que la presse s’en soit fait l’écho, il semble que M. Macron ait pesé, accéléré, pour que l’accord soit conclu le 30 juin, c’est-à-dire, symboliquement, au dernier jour de la présidence française.

En mai 2018, Emmanuel Macron et la France avaient déjà l’occasion de voter : il a alors donné un mandat de négociation à la Commission européenne avec la Nouvelle-Zélande et l’Australie. Car ce traité avec la Nouvelle-Zélande vient en cacher bien un autre, bien d’autres à venir, avec l’Australie, le Mexique, le Mercosur. 

A chaque fois, on nous chantera que cela « représente une opportunité de stimuler les échanges commerciaux et de renforcer la relation entre les deux partenaires ». Avec, bien sûr, de jolies phrases : « ce traité devrait contenir des engagements ambitieux sur le développement durable et soutenir l’action pour lutter contre le changement climatique, protéger l’environnement et les droits du travail. »

Et si on faisait le bilan ? Depuis quarante ans de Gatt, d’Organisation mondiale du commerce, et maintenant de traités bilatéraux, cette protection de l’environnement et ces droits du travail ont été, systématiquement, constamment érodés, broyés, par le libre-échange.
Voilà pour les « reproches ».

Quant à l’ « espoir », ténu.
« Voulons-nous encore de cette mondialisation ? Voulons-nous de ces accords avec le Vietnam, l’Inde, la Chine, la Nouvelle-Zélande, l’Australie ? » C’est une question, qui devrait animer les élections, et même être tranchée par le peuple français par référendum. N’en rêvons pas : le pouvoir sait quelle réponse serait apportée par la démocratie, il préfère donc, et au moins depuis mai 2005, se passer du demos. A défaut, au moins, que ces traités fassent l’objet d’un débat suivi d’un vote du Parlement.

Des députés de tous bords – des bancs de gauche, insoumis, communistes, socialistes, écologistes, mais d’ailleurs aussi, républicains, modem, Liberté et territoire –  ont adressé une demande au Président de la République, à la Première ministre, à la présidente de l’Assemblée : avant que la France ne donne son feu vert au Conseil européen, que ce traité fasse l’objet d’échanges puis d’un scrutin dans l’hémicycle.

Prenons les paris, même ce minimum, vous verrez, ne sera pas toléré, et cela se comprend : le libre-échange, c’est la clé de voûte de l’ordre dominant, qui permet aux firmes, depuis quarante ans, de faire leurs courses dans un super-marché mondial, d’aller chercher les plus faibles coûts sociaux, fiscaux, environnementaux. Il n’est pas question, dès lors, que ce choix soit interrogé, scruté. Ce point central doit demeurer le point aveugle de nos démocraties.

Merci, par votre question, de nous avoir permis de l’éclairer un peu.

François Ruffin, député de la Somme.
Damien Maudet, député de Haute-Vienne.

Partager :
Pour me soutenir... faites un don !

Ils sont indispensables notamment pour payer des salariés et des locaux de travail, organiser des événements, acheter du matériel, imprimer des affiches, des tracts… Ils nous aident à financer mon action politique et celle de Picardie Debout !