« Carry back » : Qui était en première ligne l’an dernier ? Les dirigeants de Total ?

Ce matin, chaque foyer français va verser 14€ de "carry back". Pour celles et ceux en première ligne l'an dernier, qui ont porté le pays sur leur dos ? Pas vraiment. Une fleur fiscale pour d'autres miséreux : Total, Engie, la Société générale...
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Enfin ! Enfin une bonne nouvelle avec le « carry back » ! Eh bien non. C’était en anglais, j’aurais dû me méfier. Parce que, dans ce texte, vous prévoyez cinq cent millions pour le « carry back ».

Je ne connaissais pas, mais je me suis dit : « Carry », c’est porter. « Back », c’est le dos. C’est donc une mesure pour celles et ceux qui, au cœur de la crise, nous ont portés sur leur dos. Les « premières de corvée », les « essentielles », les premières lignes. Ca fait un an qu’elles attendent en vain.

Ca fait un an que le président a déclaré : « Il faudra nous souvenir que notre pays repose tout entier sur ces femmes et ces hommes que nos économies reconnaissent et rémunèrent si mal ».

Mais non.

« Carry back » pour les premières de corvée ?

Parce que le « carry back », en fait, c’est une fleur des impôts : si vous avez une année de déficit, le Fisc vous autorise à le reporter en arrière, sur les années d’avant, et donc de diminuer votre bénéfice, et donc de récupérer des sous.

On va donner des exemples.

Total a fait sept milliards de pertes en 2020. Ca n’a pas empêché le groupe pétrolier de verser la même somme, sept milliards, en dividendes à ses actionnaires ce printemps. Autant que l’année d’avant, et que l’année encore avant. Mais bon, avec le « carry back », on a pitié d’eux, on va soulager leur impôt sur les sociétés.

On peut citer d’autres malheureux, comme ça, que le « carry back » va aider : Engie, qui a pourtant versé 1,2 milliard de dividendes, la Société générale, 467 millions, ou encore Unibail, Renault…

Je ne veux pas vous lasser avec ma liste de miséreux.

Cette aumône à nos pauvres va donc coûter 500 millions d’euros.

Soit, à peu près, 14 € par foyer français.

Voilà : ce matin, chaque foyer français verse, à peu près, 14 € à Total, Engie et compagnie. Qui s’ajoutent aux dizaines de milliards de Crédit impôt compétitivité emploi, d’exonérations de charges, de baisses des Impôts productifs, etc., tout ça saupoudré à l’aveugle, sans condition, sans contrepartie, sans garantie.

Non, vraiment, c’est de la pure générosité.

Vous me direz, de toute façon, pour cinq cents millions, aujourd’hui, t’as plus rien.

Le coût de la vie, tout ça, avec l’euro.

Alors, à quoi pourrait servir, quand même, rien que cette gouttelette ?

500 millions, c’est 400€ en plus pour les 100 000 AESH du pays

Jeudi dernier, c’était une journée de grève pour les AESH, les Accompagnantes d’Enfants en Situation de Handicap, dans les écoles. J’en rencontrais une vingtaine, à Amiens, et elles expliquaient leurs malheurs. Leur paie, surtout, 700 €, 800 € au mieux. Sous le Smic mensuel, sous le salaire minimum, dans l’Education nationale. Valérie m’a raconté qu’elle accompagne son élève à la cantine, le midi, mais elle, elle ne peut pas manger : « 3,70 € ! Je n’ai pas les moyens de payer mon repas ! »

Sur un coin de table, j’ai fait mon petit calcul : elles sont 100 000, environ. Si on les augmente toutes de 400 €, pour qu’elles passent au-dessus du Smic, multiplié par douze mois, ça fait 480 millions. Vous pourriez, nous pourrions cela, pour elles : transformer la vie de cent mille femmes, les sortir de la pauvreté, reconnaître pleinement leur métier, et tout ça, pour 500 millions à peu près. Mais pour elles, ça traîne depuis des années. Et ça va encore traîner.

Tandis que le « carry back », on va le voter pépère, au pied levé.

Pareil pour les AVS, les Auxiliaires de Vie Sociale. Pendant la crise Covid, sans masque, sans gant, elles ont continué à passer chez les personnes âgées, jamais elles ne les ont abandonnées. Et tout ça, vous le savez, pour salaires de misère et des horaires de galère, sous le smic elles aussi. A l’automne dernier, on a voté deux cents millions, pour elles. Il fallait voir, c’était la hola, ici ! On s’applaudissait ! On s’embrassait ! On était formidables ! Alléluïa !

Ca leur ferait 25 € en plus, j’avais compté. Pour l’instant, elles n’ont rien reçu. Et finalement, seuls 56 millions iront à leurs revenus. Pour les années suivantes, il faudra se débrouiller avec les Départements, les Associations, la Sécu… Pour elles, c’est tout de suite compliqué de trouver les ronds.

Alors, on va faire la hola pour le « carry back » ? On va s’applaudir, s’embrasser ? Sans doute pas, parce que c’est la routine, ici, ce fric aux firmes.

Le dernier exemple, c’est ce mercredi. En Commission des affaires sociales, on examinait une proposition de loi sur l’AAH. Pour que cette allocation garantisse, à la personne handicapée, une véritable autonomie. Pour que ça ne dépende plus des revenus du conjoint. Pour que des histoires d’amour ne se brisent plus sur la baisse des revenus, sur des reproches, des « Tu vis à mon crochet ». Tout le monde était d’accord : le Sénat, la droite, l’UDI, Libertés et Territoires, les socialistes, les communistes, les insoumis. Tous ? Non, tous sauf En Marche ! Et votre amendement pour le rejeter, il commençait comme ça, je cite : « Au-delà de son coût très important (730 millions d’euros)… »

C’est le même ordre de grandeur, à peu près, que le « carry back » aujourd’hui. Dont personne ne dira, sur ces bancs, que le « coût est très important ».

Bref, vos priorités n’ont pas changé.

C’est toujours l’argent avant les gens.

Mais qui étaient en première ligne, l’an dernier ?
Les dirigeants de Total ?
Les actionnaires d’Engie ?

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