Cette tribune a été publiée dans l’édition du 18 juin 2023 du Journal du Dimanche.
Partir en vacances ? « Je n’y ai même pas songé », sourit Stéphanie. Assistante de direction, elle fait face aux factures qui s’accumulent. Dans son enfance, pourtant, le salaire de son père, soudeur chez Saint Gobain, suffisait pour prendre l’autoroute du soleil : « On partait en Sicile retrouver de la famille, ou dans le Sud de la France. Là, je ne peux même pas emmener ma fille à Walygator, alors que j’y allais avec mes parents. »
Comme Stéphanie, 40 % des Français, cette année, ne partiront pas (contre 37% l’an dernier, +3 points). Ils sont 69 % parmi les bas revenus, 44 % des ouvriers. Et trois millions d’enfants resteront à quai.
« Avec mes parents, on ne part jamais. L’été, on va juste dans l’Île-de-France, en banlieue, chez des cousins à Epinay-sur-Seine », raconte Esperanza, 21 ans, dans le quartier nord d’Amiens. Ce qu’elle fait pour les vacances ? « Rien. Le Centre, on a pu m’inscrire quand j’étais petite. On faisait de la piscine, des randonnées, mais ensuite, mes parents ne pouvaient plus financièrement. Du coup, on devait choisir entre mon frère et moi. Ce n’était pas juste. »
Et pour Hamidou, qui vient de Mayotte : « Je voulais revoir ma famille cet été, mais vu le prix des billets… 2 500 € ! D’habitude, c’est 800 €. Là, il me faudrait des années pour économiser. »
Face à cela, que fait l’État ? Rien, ou si peu. Pourquoi ? Parce qu’il n’y a pas de politique publique pour les vacances en France. Ce temps est considéré comme purement privé, laissé au privé : à la sphère privée, les familles, celles qui partent, celles qui restent. A l’entreprise privée, aux marchés, Airbnb et compagnie.
Du coup, l’été devient le temps des inégalités. Le porte-monnaie fait la loi. C’est le grand écart entre « des vacances familiales, culturelles, des activités enrichissantes pour les uns, comme le constatait la Conférence sur les rythmes scolaires, et la vacuité d’un temps non mobilisé, télévision et ennui pour les autres, livrés à eux-mêmes ».
Les vacances apportent de la joie. Et c’est une urgence, cette respiration, dans une France en semi-dépression.
Mais au-delà : les vacances « améliorent les prises de responsabilité, la persévérance, la curiosité, la possibilité de travailler en équipe, la résolution de conflit », note la Haut conseil pour la famille. Et surtout « la confiance en soi : est-ce que je m’autorise à aller ailleurs ? Plus loin ? »
Comment aimer la France, enfin, si on n’en voit que les tours du quartier, et jamais ses plages et ses montagnes ? Comment aimer la France, dans sa diversité, si on n’en connaît que son clocher et le bourg à côté ? C’est une expérience nécessaire, « dérouiller », comme l’énonçait le sociologue Azouz Begag, mettre dans sa vie un peu d’aventures. Qui ouvrent des horizons. Qui habituent à bouger. Qui lèvent des peurs. Qui donnent l’envie d’avoir envie.
Voilà pourquoi, pour les parents comme pour les enfants, nous en appelons à une politique publique des vacances. Avec des objectifs : que le droit au départ devienne effectif, qu’on passe de 60 % à 80 % de partants. Et avec des moyens : que les transports, premier poste de dépense, soient rendus moins chers, un ticket-climat train à prix réduit et à volonté, un aller-retour en voiture sans péage, des billets à prix bloqués pour les ultra-marins.
Qu’on universalise le « chèque vacances », qui ne bénéficie aujourd’hui qu’à un salarié sur cinq. Qu’on mette en place un « pass colo verte », un voyage nature pour les enfants. Que passer le BAFA devienne gratuit, avec des stages pratiques toujours rémunérés, qu’on vise à tripler ces formations avec cent mille par an. Qu’on fasse des animateurs, ce mot merveilleux, animer, « réveiller les âmes », qu’on en fasse un véritable métier, respecté. Qu’on propose, pas seulement dans le cœur des métropoles, mais dans toutes les cités, dans tous les chefs-lieux de canton, du twirling, du rap ou de l’équitation.
Il y a tant à faire pour le bonheur de nos concitoyens. Il y a tant à faire, pour nous qui sommes les filles et les fils de Léo Lagrange, ce ministre qui, depuis son minuscule cabinet, offrit aux ouvriers une « embellie » dans une sombre décennie. Il y a tant à faire, pour nous qui sommes les héritiers du grand Jaurès : « Nous ne sommes pas des ascètes. Il nous faut la vie large. » Cette vie large, cette vie que les vacances élargissent, nous la voulons pour toutes, pour tous.
Benjamin Lucas, député Génération-s
Soumya Bourouaha, députée communiste
Arthur Delaporte, député socialiste
Marie-Charlotte Garin, députée écologiste
Frédéric Maillot, député de La Réunion
François Ruffin, député Insoumis