Vous venez à l’hôpital de Montpellier ce mercredi soutenir les salariés grévistes d’Onet. Font-ils partie des « invisibles » que vous avez mis en lumière dans votre film Debout les femmes ?
Elles sont les indispensables, les plus essentielles des essentielles même, puisque non seulement elles sont dans le ménage et elles ont continué à travailler pendant la crise Covid, mais en plus, elles font le ménage à l’hôpital. Quand le Président de la République disait « il faudra se rappeler que le pays tout entier repose sur ces hommes et femmes que notre économie reconnaît et rémunère si mal », c’est d’elles dont il parlait. Il y avait alors comme une promesse, que leur salaire serait revu, qu’elles pourraient bien vivre de leur métier. Or, il n’y a pas eu de revalorisation et au contraire, l’inflation vient même aggraver leur situation. Il s’agit donc de réussir à l’hôpital de Montpellier, ce qu’on a réussi à faire pour les femmes de ménage à l’Assemblée : obtenir ce 13e mois de salaire, en espérant qu’il soit étendu à toutes les femmes de ménage de ce pays.
Il y a aussi, dans leurs revendications, le fait de mieux vivre leur métier. Aujourd’hui, avec la multiplication des pointeuses à l’hôpital de Montpellier, elles doivent se badger et débadger 60 fois pendant leur travail, parce que l’objectif de leur société est de chasser les temps morts. Dans un rapport, j’ai pourtant montré que ces temps morts, ce sont les temps qui font du bien au corps et à l’esprit. Vouloir aujourd’hui, dans toutes les entreprises et à tous les niveaux, chasser les temps morts, ça produit du « mal travail », des gens qui ne sont plus bien dans leur emploi. Dans les ateliers de logistique, on est passé de 150 à 800 manutentions par journée. Le sentiment de triple contrainte psychique est passé de 6 % en 1984 à 34 % aujourd’hui. Plus de 100 000 personnes quittent désormais le marché de l’emploi chaque année pour inaptitude, soit par burn-out, soit par TMS. Le « mal travail » a été chiffré par Xavier Bertrand, alors ministre du Travail, à 3 ou 4 % du PIB, c’est-à-dire 100 milliards d’euros par an.
Je viens, ici à Montpellier sur un cas d’école. Mais le travail de l’entretien, c’est plus de deux millions de personnes dans le pays, et l’Etat est aux abonnés absents. L’Etat devrait peser, très nettement, pour mettre l’hôpital, Onet, les salariés, autour de la table, et peser pour un peu de justice.
Le législateur que vous êtes se sent-il impuissant pour aider ces salariés ?
Pas du tout ! Je me sens impuissant simplement parce que je suis dans l’opposition ! J’avais déposé, en pleine crise Covid, une proposition de loi qui avait l’accord des salariés et des syndicats, mais aussi des entreprises de propreté. Le principe était clair : que le salaire de base et les avantages soient les mêmes pour les sous-traitants que les employés du donneur d’ordre. Ce qui manque, ce n’est que la volonté politique. Pourtant, les femmes de ménage de l’hôpital rapportent énormément. Une étude de BMC Med, une revue médicale anglaise, a montré que les femmes de ménage, lorsqu’on les laisse bien faire leur travail, par les maladies nosocomiales qu’elles évitent, rapportent 80 000 €.
Parmi les invisibles, il y a beaucoup de travailleurs sans papier. Défendrez-vous le retour de l’article 3 de la loi immigration, qui prévoit une régularisation des travailleurs étrangers dans les métiers en tension, lorsque celle-ci va arriver à l’assemblée nationale ?
Le principe qui me guide, c’est que tous les habitants de ce pays doivent pouvoir vivre de leur travail. Bien en vivre et bien le vivre. Je préfère largement qu’une personne étrangère sur notre territoire travaille, produise des richesses, cotise à la Sécurité sociale, pour les retraites. En somme, qu’on leur permette d’être pleinement utile à la société.
Vous porterez le 30 novembre un projet de loi sur l’échelle mobile des salaires, c’est-à-dire des revenus indexés sur l’inflation. N’est-ce pas utopique ?
Ce n’est pas utopique, puisque cela a existé pendant trente ans, entre 1952 et 1982, dans un moment de très grande inflation et c’est ce qui a permis aux salariés français de bien gagner leur vie en travaillant. Par ailleurs, des pays d’Europe ont gardé cette indexation des salaires sur l’inflation, la Belgique notamment : ces dernières années, à l’inverse de la France, les salaires n’ont pas reculé. On a dit aux gens, pendant la crise Covid qu’ils seront récompensés et finalement, avec l’inflation, ils doivent se serrer la ceinture. Si toute la société devait se serrer la ceinture, du haut en bas, ce serait compréhensible. Mais on a aujourd’hui du rationnement pour les uns et du gavage pour les autres. Jamais les dividendes n’ont été aussi élevés dans notre pays : 50 milliards d’euros sur un trimestre ! Record de tous les temps ! Et pourtant, on demande aux gens qui travaillent de se rationner. Le minimum, c’est que leur salaire suive l’inflation. C’est tout sauf utopique : c’est nécessaire pour équilibrer la société.
Vous avez aussi réalisé un film sur les gilets jaunes. On va célébrer le 5e anniversaire du mouvement. Qu’a-t-il changé ?
C’était, d’abord, une bouffée d’espérance : les plus invisibles se sont rendus visibles avec des gilets fluorescents sur un rond-point, les plus silencieux, les plus muets ont pris la parole, les plus résignés ont retrouvé une espérance. Et cela a permis de changer deux choses. D’abord l’arrogance du Président de la République, l’homme qui nous disait qu’il suffit de traverser la rue pour trouver du boulot, qu’on était des Gaulois réfractaires, qu’on dépense un pognon de dingue sur le social. Ce grand mouvement populaire lui a, permettez-moi l’expression, « rabattu le caquet ». Car la réaction des gilets jaunes a été une contestation moins sur le prix de l’essence qu’une réaction d’orgueil d’un peuple blessé, injurié ou moqué par son Président. Et sur le facteur matériel, les gilets jaunes ont réussi à décrocher 10 milliards d’euros par an de prime d’activité. Grâce à cette poussée, les bas salaires se sont vus relever jusqu’à 200 euros par mois. Ce n’est pas mon modèle, je suis pour le relèvement des salaires, et non des primes, mais si ça permet de faire un plein de course par mois, je suis déjà preneur.
Mais l’espérance n’est-elle pas retombée depuis ?
C’est certain. Je dis toujours : mon adversaire c’est la finance, mais c’est surtout l’indifférence. La bataille contre le découragement, la résignation, elle est à reprendre tous les jours.
Mais la désespérance ne peut-elle pas amener à la victoire de Marine Le Pen en 2027 ?
Ce n’est pas une fatalité. La crise de 1929 a débouché sur le New deal aux Etats-Unis, sur le nazisme en Allemagne et sur le Front populaire en France. L’histoire est ce que les hommes et les femmes en font. Il y a une bataille qui est engagée entre le ressentiment, l’abattement, la résignation et une espérance, qu’il nous faut animer.
Vous avez décrit une gauche qui ne porte plus que la mesquinerie et l’aigreur de Twitter. Cette gauche belle et rebelle que vous regrettez peut-elle exister à nouveau ?
J’essaye, avec d’autres, de l’incarner à ma manière singulière, par des discours, des films, en venant ici soutenir les femmes de ménage. Quand nous présentons, en juin dernier, avec mes collègues de la NUPES, une proposition de loi vacances pour tous, pour que les trois millions d’enfants qui ne voient que leur quartier ou leur clocher puissent partir, c’est ça : rouvrir un imaginaire d’espérance, de progrès. Je lisais Histoire d’un Allemand de Sebastien Haffner : dans les années 30, l’Allemagne a sombré dans le nazisme par la dépression. Nous vivons un temps de dépression, à la fois post-covid, guerre en Ukraine, inflation… Notre combat, à gauche, est contre cette pente. Les guéguerres entre nous n’aident pas.
La Nupes est-elle l’outil pour cela ?
L’union, qu’importe son nom, est une condition nécessaire mais non suffisante. Si vous dites aux gens « regardez comme on est uni ! », ils s’en fichent ! Je ne crois pas aux « deux gauches irréconciliables ». Sur le fond, le peuple de gauche et je dirais même le peuple français, est prêt pour des ruptures : sur la fiscalité pour les plus riches, sur les piliers de l’Etat – hôpitaux et école – à reconstruire. En politique comme dans la société, il faut passer d’un vivre-ensemble, statique, sans élan, à un « faire-ensemble », se retrousser les manches et se mettent au travail, pour affronter notre principal défi : le choc climatique à affronter. Sont les bienvenus toutes les hommes et les femmes de bonne volonté.
Avec qui en chef d’orchestre en 2027 ?
Celui ou celle capable de transformer la cacophonie actuelle en harmonie. Il faut qu’il y ait plusieurs cartes sur la table et qu’on regarde la meilleure option.
Vous faites partie de ces options ?
Oui, évidemment. Mais ce qui compte le plus c’est l’équipe : qu’on voit des visages, des noms, une dynamique joyeuse, rassembleuse et qui porte une espérance. Après on verra qui joue milieu droit, gardien de but, et qui est le capitaine.
Vous parlez de l’équipe de la gauche ou des Insoumis ?
Moi, je suis de gauche, j’embrasse la gauche dans sa diversité et toute son histoire, de Jaurès à Mitterrand en passant par Blum. Avec ses traditions communistes, socialistes, écologiques et évidemment insoumises.
Mais n’êtes-vous pas devenu un Insoumis frondeur ?
J’ai toujours été, je suis et je resterai un homme et un esprit libre. Quand vous avez été espionné et que vous avez subi des pressions par la première fortune mondiale, Bernard Arnault, vous avez le cuir épais !
Alors dit autrement, faut-il écarter Jean-Luc Mélenchon pour retrouver l’espérance ?
La question a été tranchée par le principal intéressé. Jean-Luc Mélenchon a dit, répété que 2022 était sa dernière campagne présidentielle, qu’il souhaitait être remplacé, il a dit : « faites mieux ».
Aux législatives de 2017, du temps où il n’y avait pas encore la Nupes, j’avais réussi à faire l’union des écologistes, des communistes et des insoumis. Dans le local de campagne, au milieu de la table, j’avais mis une tirelire, et à chaque fois qu’on disait du mal d’une personne de gauche, on devait mettre 1€ chaque fois. Je propose qu’on fasse la même chose quand on prononce le nom de Mélenchon. L’enjeu n’est pas de régler des comptes mais de construire l’avenir avec un but : gagner.
Vous avez marché dimanche à Strasbourg contre l’antismétisme, contrairement à nombre de vos camarades. Il fallait donc y participer ?
Face à la recrudescence inquiétante des actes antisémites dans notre pays, il fallait une réaction. Je ne fais la leçon à personne : se retrouver avec Eric Zemmour et Marine Le Pen dans une manifestation contre l’antisémitisme était, pour moi, une marque de grande confusion, entretenue par le manque de clarté de la Macronie. D’où mon choix d’aller à Strasbourg, à l’invitation de la Licra et de mon collègue Emmanuel Fernandes, où les élus du RN n’étaient pas les bienvenus.
Vous avez dit, après le 7 octobre et l’attaque du Hamas, que la France n’est pas à la hauteur. C’est toujours le cas ?
On a une parole du Président de la République en zig-zag. Il condamne les actes du Hamas le 7 octobre et c’est très bien, puis dit son soutien « sans faille ». Il fait ensuite la proposition d’entrer en guerre aux côtés de l’armée israélienne contre le Hamas avant d’y renoncer l’après-midi même. Et là, il produit une rencontre humanitaire à Paris pour œuvrer à un cessez-le-feu – et c’est très bien que le mot soit prononcé – avant de revenir sur ses propos au téléphone avec le président israélien. La France doit tenir un parole plus franche, même des diplomates s’en sont émus dans une lettre transmise au Quai d’Orsay. On n’est plus entendu dans le concert des nations, mais ce n’est pas que de la politique étrangère, c’est aussi une affaire intérieure : nous avons la première communauté juive d’Europe et la première communauté musulmane d’Europe. Le Président de la République et son gouvernement doivent trouver une parole pour que tous les Français se sentent représentés et aujourd’hui, ce n’est pas le cas. Et surtout, agir, lancer des initiatives : une résolution à l’Onu en notre nom, le gel de l’accord d’association, ou même le drapeau palestinien sur la Tour Eiffel, à côté de celui d’Israël. Bref, quelque chose !