Aérien : pour un quota carbone individuel

Le gouvernement a repris une version édulcorée de notre proposition de remplacer les vols intérieurs par le train (quand c'est possible). Par justice sociale, pour la planète, nous devons aller plus loin : un quota maximal de kilomètres aérien individuel.
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Le Gouvernement a repris à bon compte une version édulcorée de notre proposition de loi n°2005 visant à remplacer les vols intérieurs par le train (quand c’est possible…). Nous devons aller plus loin pour organiser la baisse du trafic aérien. À la fois pour diminuer les émissions de gaz à effet de serre, mais aussi pour que cette diminution soit socialement juste, pour les voyageurs, pour les travailleurs du secteur. Tel est le but poursuivi par l’instauration d’un quota maximal de kilomètres aérien par personne, bien plus juste que des taxes.

Urgence climatique

La mise à l’arrêt de bon nombre d’activités économiques par la pandémie et le confinement entraîne un choc économique brutal et probablement durable. Ses conséquences sociales sont violentes : 843 000 chômeurs supplémentaires pour le seul mois d’avril, un taux de chômage record, qui n’a jamais atteint un tel niveau depuis un quart de siècle. Plutôt que d’agir pour transformer et réinventer notre modèle de civilisation, l’État déploie actuellement les grands moyens « quoi qu’il en coûte » pour relancer la sacro‑sainte croissance, tenter de sauver certains secteurs économiques, notamment les plus émetteurs en gaz à effet de serre. L’État préfère colmater que se faire stratège, repartir de l’avant, comme avant, plutôt que bifurquer.

Or le réchauffement climatique s’accélère. La moyenne des températures en France au cours des douze derniers mois est supérieure de 2,1° C à la normale, les modèles de prévision des scientifiques sur l’impact de l’augmentation des émissions de gaz à effet de serre se confirment. En 2019, le record absolu de température a été franchi avec 46° C dans l’Hérault. En ce printemps, il a fait 51° C en Inde, et la fonte du permafrost en Russie a provoqué une marée rouge d’hydrocarbures. Après les gigantesques incendies et la sécheresse en Australie, la communauté internationale reste inerte. Les négociations internationales sur le climat n’avancent pas, les engagements des pays sont insuffisants, et pourtant non tenus. Sans parler des politiques climato‑destructrices des Trump et Bolsonaro. Autant le dire, c’est mal barré : on fonce droit dans le mur écologique. Et la France ne fait pas mieux, les politiques de notre pays sont impuissantes pour réduire les émissions de gaz à effet de serre : quand nos émissions territoriales ont diminué de 18 % entre 1995 et 2015, notre empreinte carbone a en réalité augmenté de 20 %. En effet, sur cette période, les émissions importées ont augmenté de 95 %. Nous délocalisons nos émissions !

L’empreinte carbone moyenne des Français est aujourd’hui de 12 tonnes équivalent CO₂. Pour respecter les objectifs de neutralité carbone pour 2050 fixés par la Stratégie nationale bas carbone (SNBC), cette empreinte carbone devrait atteindre 2 tonnes équivalent CO₂. D’après le dernier rapport du GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) d’octobre 2018, il nous faut diviser par deux nos émissions de gaz à effet de serre d’ici 2030. Nous avons dix ans.

L’avion d’abord

Diminuer le trafic aérien, c’est évident, ne suffira pas. Mais c’est le premier pas, le plus simple, le plus évident, qui frappe notre bon sens. D’abord, parce que l’avion est hyper‑émetteur, une gabegie : un aller‑retour Paris‑New‑York en classe économique (11 700 km) émet 1 tonne équivalent CO₂ par passager.

Ensuite, parce que le trafic aérien explose : plus 2 milliards de passagers supplémentaires entre 2009 et 2019. Avant l’épidémie de Covid‑19, les émissions de gaz à effet de serre liées à l’avion augmentaient de 5 % par an. Selon une étude du Shift Project, sur les cinq dernières années, le trafic mondial, en passagers.km a augmenté en moyenne de 6,8 % par an, soit un doublement tous les dix ans. Selon les estimations et en comptant le forçage radiatif, l’aviation représente entre 5 et 8 % des émissions mondiales, et près de 10 % des émissions françaises.

Ça n’est pas négligeable.

D’autant qu’on peut largement s’en passer, ce n’est pas un besoin vital. Une grande partie des vols sont non essentiels. Selon la DGAC elle‑même, la moitié des déplacements en avion sont réalisés pour les loisirs, 28 % pour motifs professionnels et 23 % pour d’autres motifs ‑ dont la visite à de la famille. Ces derniers, évidemment, les liens familiaux, ne doivent pas être touchés par notre mesure. En revanche, pour une planète viable, il nous faut relocaliser le tourisme, le « désavionniser ». Et diminuer les déplacements longue‑distance pour le business.

Enfin, il n’y a aucun « avion vert » en vue. Mardi 12 mai, M. Jean‑Baptiste Djebarri, secrétaire d’État aux transports déclarait sur France Inter : « l’aéronautique est un monde qui est extraordinairement chamboulé par la crise, et donc il faut rebondir. Pour rebondir je pense qu’on a vraiment une industrie pour le faire et on a un sujet : le verdissement de l’aérien. » Mais ça n’est pour l’instant que de la science‑fiction.

Ces dernières décennies, les technologies n’ont permis qu’une amélioration marginale de l’efficacité des avions. Compte tenu de l’augmentation du nombre de passagers, la consommation énergétique de ce secteur continue d’augmenter. Pas de salut à attendre non plus du côté de l’électrique : « À court et moyen termes, en l’état actuel des technologies, la propulsion 100 % électrique n’est pas envisageable » nous explique le responsable innovation du groupe Safran. Pourtant, la ministre de la transition écologique et solidaire Elisabeth Borne place tous ses espoirs dans la technique : « Je crois à l’avion zéro carbone, à l’avion à hydrogène, à partir des années 2035 ». Elle croit, mais c’est une croyance fondée sur aucune réalité. Faut‑il confier notre sort sur Terre au hasard de cet improbable scénario ?

Nous ne partageons pas cette foi, et nous constatons que, derrière ce bluff technologique, les seules perspectives mises en avant par le secteur aérien sont les agro carburants et la compensation carbone. Et encore, ils ne visent pas à atteindre la neutralité carbone en 2050, mais seulement à « compenser » la hausse des émissions du secteur aérien prévue entre 2020 et 2035 ! Ces fausses solutions sont en plus criminelles. L’agriculture doit servir à nourrir les humains, et il est hors de question d’accroître la déforestation. L’ironie veut que les compagnies aériennes se gaussent ainsi de « planter des arbres ». Or, « pour compenser nos émissions de CO2 en excès, non contraintes par ailleurs, il faudrait boiser quasiment l’intégralité des terres aujourd’hui cultivées dans le monde » selon les calculs de M. Jean‑Marc Jancovici, ingénieur, associé fondateur du cabinet de conseil Carbone 4.

Et tout cela, il faut le rappeler, pour une minorité : en France, « l’essentiel de la clientèle du transport aérien est dans les 8e à 10e décile ». On estime d’ailleurs que 15 % des Français n’ont jamais pris l’avion, tout comme 80 % des humains. L’avion, c’est le symbole d’une classe privilégiée, de sa capacité à sauter d’un continent à l’autre, à se tenir au‑dessus du monde. Nous devons lui remettre les pieds sur Terre.

Une diminution organisée contre une relance illusoire

Comme M. Bruno Le Maire l’a dit le jeudi 30 avril 2020 en commission des affaires économiques nous voulons juste « atterrir deux secondes ».

Le gouvernement a offert 7 milliards d’euros de prêt garanti à Air France sans contreparties ni écologiques ni sociales. Il a ensuite annoncé un plan de soutien à l’aéronautique de plus de 15 milliards d’euros sans aucune perspective de transformation radicale du secteur. Le but ? « Renforcer les PME et les ETI, les faire grandir, moderniser les chaînes de production, et les rendre plus compétitives ». Le Haut Conseil pour le climat, et même l’Autorité environnementale du conseil général de l’environnement et du développement durable, pointent l’incohérence entre les objectifs climatiques que la France s’est fixée et ce type de plan : usant d’une litote diplomatique et comique, l’Autorité environnementale note que « la compatibilité du développement du transport aérien avec les engagements pris par la France n’est pas démontrée ».

L’argent public investi dans l’aérien ne parviendra pas à sauver tous les emplois de la filière : des suppressions de postes sont déjà en cours chez des sous‑traitants d’Airbus. Aussi posons‑nous ce principe : pas un licenciement dans l’industrie aéronautique, ni dans l’automobile d’ailleurs. L’État doit se porter garant de la continuité des salaires, quoi qu’il en coûte. C’est un impératif. Sans quoi, la transition écologique deviendra synonyme de malheur supplémentaire pour les salariés, et en particulier les ouvriers ont déjà payé un lourd tribut à la mondialisation.

Aussi, la décroissance organisée du secteur aérien doit‑elle s’accompagner d’une sécurité sociale professionnelle, d’une réorientation vers des industries plus nécessaires, répondant à nos besoins essentiels, vers des activités compatibles avec les limites planétaires.

Cette réduction organisée du trafic aérien passe par une série d’instruments : les autorisations d’exploitations des lignes doivent être restreintes, il faudra ne pas construire de nouveaux aéroports et terminaux (comme à Heathrow, comme à Roissy), voire en fermer. Des obligations de remplissage pour tous les avions seront fixées. Et les jets privés seront de ce fait prohibés : avec une seule personne par vol, ou une seule famille, c’est une émission folle de CO2 par individu, 40 fois supérieure à celle d’un vol commercial. Un aller‑retour Paris–New‑York en jet privé émet donc 80 tonnes de CO2, soit 40 fois ce que devrait émettre un humain par an pour rester dans les limites planétaires.

Des quotas plutôt que des taxes

La transformation écologique ne peut simplement être envisagée sous forme de taxes, que les plus riches payent sans même s’en rendre compte. À la place, il faut des plafonds, des limites. Nous proposons ici un nouvel outil au service de la transition écologique : le quota individuel. Ce renversement s’inscrit dans une perspective plus juste et égalitaire.

« Limitless », c’est le nom d’un vega‑yacht, un yacht plus grand qu’un mega‑yacht, consommant plus de 100 litres de fioul à l’heure. Et c’est ainsi que les riches vivent : sans limite. Il nous faut sortir de cet hybris, cette démesure. Sans limite, nous tombons dans une spirale d’hyper‑production et hyper‑consommation, sans être jamais capables de déterminer ce qui est socialement utile, désirable, acceptable et surtout soutenable pour la planète.

Il faut donc des limites, des quotas, que chaque individu ne peut pas dépasser.

On estime qu’aujourd’hui, en proportion de leurs revenus, les 10 % les plus riches paient environ 4 fois moins de taxe carbone que les 10 % les plus pauvres, alors qu’ils émettent 8 fois plus de CO2 !

Une fiscalité, même progressive, ne peut que susciter une forme de méfiance, on l’a vu pour la taxe carbone lors du mouvement des Gilets jaunes : la taxation restera indolore pour les voyageurs les plus aisés, et les plus réguliers. Tandis que les plus modestes, qui sont déjà les voyageurs les plus rares, la ressentiront comme une barrière de plus.

Surtout, l’argent ne doit pas accorder un droit à polluer l’air de tous. Or c’est bien ce qui se produit.

L’objectif fixé est clair : accompagner la réduction du trafic aérien, pour que se développent d’autres manières de se déplacer et de voyager, en particulier le train de nuit, et pour que l’économie se transforme dans le bon sens.

Cet objectif ne peut être atteint du jour au lendemain voilà pourquoi cette transformation doit être organisée et progressive.

Notre proposition de loi fixe un principe : les trajets en avion sont plafonnés individuellement par un quota de carbone, qui équivaut à un nombre de kilomètre de fait.

L’idée est de permettre aux Français de faire un grand voyage, mais pas tous les ans, et encore moins plusieurs fois par an.

Des exceptions sont bien entendu à prévoir, par exemple pour la continuité territoriale de la Corse et des Outre‑mer, les rapprochements familiaux, des impératifs de santé et tout ce qui concerne le respect de la dignité des personnes.

Dans un premier temps, notre proposition s’attache uniquement aux trajets des particuliers. Les usages professionnels de l’avion doivent également être régulés dans un second temps.

Nous avons conscience que le dispositif proposé n’est pas parfait, cette proposition de loi vise avant tout à lancer le débat sur un système de quotas équitables pour organiser la décroissance du trafic aérien.


Proposition de loi

Article 1er

Après la section 2 du chapitre Ier du titre II du livre IV de la sixième partie du code des transports, il est inséré une section 3 ainsi rédigée :

« Section 3

« Dispositions relatives à la lutte contre le changement climatique

« Art. L. 6421‑5. – Pour contribuer à l’atteinte des objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre de 40 % entre 1990 et 2030 et de neutralité carbone à l’horizon 2050 énoncés au 1° du I de l’article L. 100‑4 du code de l’énergie, la délivrance du contrat de transport de passagers mentionné à l’article L. 6421‑1 du présent code est liée à un quota carbone individuel de transport aérien.

« Toute personne physique bénéficie chaque année d’un quota carbone individuel de transport aérien. Ce quota est strictement égal pour chaque personne physique.

« Le quota carbone individuel de transport aérien est fixé annuellement et pour chaque période de cinq ans par arrêté conjoint des ministres chargés de l’environnement et de l’énergie afin de respecter un plafond des émissions de gaz à effet de serre du secteur aérien conforme au budget carbone définis en application de l’article L. 222‑1 A du code de l’environnement et à la stratégie bas‑carbone mentionnée à l’article L. 222‑1 B du même code.

« Les droits délivrés dans le cadre du quota carbone individuel demeurent acquis en cas de non utilisation au cours de l’année civile précédente. Le compte carbone individuel comptabilise les droits cumulés par la personne au titre du quota individuel carbone. Il peut être créditeur ou débiteur dans les limites fixées par l’arrêté mentionné au précédent alinéa.

« Les quotas carbones individuels dont disposent les personnes physiques ne peuvent faire l’objet d’aucune transaction et ne sont pas transférables.

« Art. L. 6421‑6. ‑ Le quota individuel carbone est exprimé en tonne d’équivalent dioxyde de carbone.

« La méthode de calcul automatique relative au quota carbone individuel est précisée par arrêté conjoint des ministres chargés de l’environnement et de l’énergie. Elle s’appuie sur les données du traitement automatisé de données à caractère personnel prévu à l’article L. 232‑7 du code de la sécurité intérieure. Elle prend en compte :

« 1° La distance parcourue, incluant les correspondances éventuelles ;

« 2° La catégorie de confort dans laquelle s’effectue le transport aérien ;

« 3° La performance énergétique du ou des services aériens concernés.

« Les modalités d’application du présent article sont fixées par décret en Conseil d’État, pris après avis conforme de la Commission nationale de l’informatique et des libertés. Ce décret détermine les services chargés de la tenue du registre des comptes personnels de quota carbone individuel de transport aérien et les modalités de collecte, traitement et conservation des données ainsi que les modalités d’exercice des droits d’accès, d’information, d’opposition et de rectification des personnes concernées conformément aux dispositions du règlement (UE) 2016/679 du 27 avril 2016. »

Article 2

Larticle L. 6421‑1 du code des transports est complété par deux alinéas ainsi rédigés :

« La délivrance du contrat de transport mentionné au premier alinéa entraîne le débit d’un quota carbone correspondant au trajet dont le contrat de transport est l’objet sur le compte carbone individuel du passager.
« Un décret détermine les conditions dans lesquelles les dispositions du précédent alinéa ne sont pas applicables aux déplacements liés :
« 1° à la continuité territoriale de la République Française, au départ et à destination de la Corse, des collectivités territoriales mentionnées à l’article 72‑3 de la Constitution et de la Nouvelle Calédonie.
« 2° aux rapprochements familiaux ;
« 3° aux déplacements strictement nécessaires aux besoins familiaux ou de santé ».

Article 3

I. ‑ La présente loi entre en vigueur le premier jour du sixième mois suivant sa publication.

II. ‑ À compter du 1er janvier 2023, pour les déplacements de nature professionnelle, des quotas carbone de transport aérien sont mis en place pour les personnes morales.

Article 4

La charge pour l’État est compensée, à due concurrence, par la création d’une taxe additionnelle aux droits mentionnés aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.

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