Flixecourt : une alternance pour Sabrina ?

« J’ai arrêté de travailler quand on a découvert une maladie génétique à ma fille, Sabrina… » Au Café du Centre, à Flixecourt, Christel est venue en famille, juste comme ça, pour se donner des nouvelles depuis le temps du rond-point et du Gilet jaune.

« Elle a subi deux opérations du crâne, et elle devait en avoir une troisième à ses dix-huit ans, mais le professeur Devauchelle préfère repousser à ses vingt ans. Même s’il sera à la retraite, il reviendra pour elle. C’est un peu sa chouchoute… »

Je me tourne vers la gamine, « et toi, tu fais quoi, alors ? », timide comme une gamine, en retrait derrière ses lunettes.

« Je cherche une alternance. J’ai une place à la Maison Familiale Rurale, pour un BTS MCO Management Commercial Opérationnel , mais il me manque l’entreprise. »

Christel reprend : « Elle a obtenu son bac avec mention, mention bien. Jamais elle n’a voulu se reposer sur son handicap, elle l’effaçait plutôt. Par exemple, jamais elle n’a dit qu’elle était sourde, on ne le savait pas. Pendant des années, elle lisait sur les lèvres, elle se débrouillait toute seule. Jusqu’à faire un malaise, un jour, et alors nous, ses professeurs, on a compris. Elle est maintenant appareillée des deux côtés. »

Un coup d’œil, ça ne se voit pas, les oreilles cachées par sa longue chevelure brune.

 « Elle a son projet : c’est le BTS management, et ensuite, de partir un an en Espagne, à Ténérife, pour compléter avec une formation en commerce international. Elle a déjà fait un stage là-bas, ça lui a énormément plus, des gens sont prêts à l’accueillir… Mais là, c’est la galère, y a aucune entreprise pour la prendre.
– Tu fais beaucoup de démarches ?
je lui demande.
– Ah oui ! Ce printemps, avant le confinement, j’étais allée chez Jennyfer, chez H et M, pour me proposer comme vendeuse en alternance. C’était plutôt d’accord, ils m’avaient dit : ‘Reviens après ton bac.’ Mais là, j’ai rappelé, et tous les magasins, c’est : ‘On attend, avec ce qui se passe…’ J’appelle des entreprises toutes les semaines, j’ai envoyé au moins cinquante CV, partout c’est : ‘On attend.’ Mais pour moi, si ça ne se débloque pas avant décembre, je perds ma place en formation. Dans toute ma classe, y en a qu’une seule qui a trouvé une alternance, et c’est en partant dans le sud.
– Et tu veux pas faire un BTS normal, sans alternance ?
– Non, je n’aime pas trop les cours.
– Et elle veut gagner des sous, ajoute Christel, elle veut quitter ses parents, habiter du côté d’Abbeville avec son copain, passer le permis… Et pour elle, c’est la galère, parce qu’elle n’a droit à rien, là, ni à une bourse ni à la garantie jeune…
– Et tu ne veux pas être reconnue adulte handicapée ? »

Sabrina secoue la tête.
« Non, elle ne veut pas. Elle ne veut pas faire le dossier. Je lui ai proposé, mais elle refuse. Comme elle est majeure, c’est à elle de décider. »
Et on sent bien, quand même, chez la mère, une fierté de ce refus.

On a causé de la pauvreté chez les jeunes, de l’envie d’avoir envie, de la crise en cours, etc. Je lui ai dit, aussi, combien j’étais confiant pour elle : elle a trouvé le courage, durant des années, de surmonter sa maladie, son handicap, elle s’est forgée une force qui ne va pas la quitter, et de cette épreuve nouvelle, de cette attente, je suis convaincu qu’elle saura faire une chance pour découvrir – je l’espère – d’autres horizons.

Mais bon, laissons tomber la petite philo, passons plutôt une petite annonce : y aurait pas, dans la Somme, entre Amiens et Abbeville, une boutique pour permettre une alternance à Sabrina ? Pour qu’elle poursuive son parcours hors-norme ?

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