« Faites confiance à votre patron… » même voyou !

« Faites confiance à votre patron ! » C'est Bercy qui répond ça aux 464 salariés de New-Look. Qu'importe que le patron, en l'occurrence, soit un fonds voyou, avec pillage de la trésorerie, comptes non certifiés, et société-écran basée à Malte...
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Mon intervention à l’Assemblée nationale

« Des actionnaires qui détruisent une entreprise, c’est comme un enfant qui casse son jouet, il faut les laisser faire. Ça s’appelle le libéralisme. » Cette maxime sort du ministère de l’économie. Elle pourrait résumer la politique industrielle du Gouvernement, qui est plutôt une non-politique.

Cette maxime, je l’ai entendue à Gerzat, près de Clermont-Ferrand, le 27 mars de cette année, dans l’entreprise Luxfer. Celle-ci fabriquait depuis 1939 des bonbonnes pouvant être mises sous haute pression, autant dire toutes les bouteilles contenant de l’oxygène qu’on voit dans les hôpitaux ou les camions de pompiers. Jusqu’alors, celles-ci étaient fabriquées en France.

L’entreprise étant désormais détenue par un fonds anglo-saxon, un manager de transition a décidé, face à une concurrence prétendue plus agressive, de tout fermer pour délocaliser la production dans des pays à bas coût. On nous parle de concurrence, mais, en 2018, Luxfer a réalisé 25 millions de dollars de bénéfice, soit une progression de 50 % par rapport à l’année précédente, quand le site de Gerzat enregistrait, lui, 9 % de rentabilité, 2 millions d’euros de profit, et que son carnet de commandes était plein. Un savoir-faire vieux de quatre-vingts ans et unique en Europe va disparaître, sacrifié sur l’autel des actionnaires.

Qu’importe ? Finance oblige, 136 salariés seraient laissés sur le carreau. Qu’ont-ils fait ? Ils ont proposé un contre-projet validé par les experts. Ils sont allés d’eux-mêmes chercher des repreneurs, notamment un repreneur chinois. Mais leur initiative a été balayée d’un revers de main par l’actionnaire, qui préfère la politique de la terre brûlée. Que rien ne repousse – surtout pas un concurrent !

Leur sort s’est réglé le jour où je suis passé. Les négociations se terminaient le matin même, avec 47 000 euros d’indemnités supra-légales et le paiement des quatre mois de grève. Mais, désormais, les pompiers et les hôpitaux français achèteront anglais ou américains ou se fourniront en Asie du Sud-Est.

Quel soutien les salariés ont-ils trouvé auprès du ministère de l’économie au cours de ce bras de fer ? Aucun. Au contraire, à Bercy, le délégué interministériel aux restructurations leur a exposé sa vision de l’économie avec franchise. Je répète : « Des actionnaires qui détruisent une entreprise, c’est comme un enfant qui casse son jouet, il faut les laisser faire. Ça s’appelle le libéralisme ».

Comme s’il suppléait le patronat et les forces de police, il a même mis en garde les salariés contre leur attitude : nous ne tolérerons, leur a-t-il dit, aucun débordement. Les débordements de la finance, eux, ont été amplement tolérés.

On pourrait citer Ford, Ascoval, General Electric, bref, tous les grands dossiers industriels, mais ils n’étaient pas sur ma route. Celle-ci s’est poursuivie jusqu’à Longvic, près de Dijon, où j’ai rencontré Imad, salarié de l’entreprise FranceEole. L’écologie, me déclarait-il, est dans l’air du temps, mais personne ne vient nous voir : nous sommes à l’abandon. Comme son nom l’indique, FranceEole œuvre dans le secteur éolien, et fabrique des mâts d’éolienne en acier. Elle est la seule entreprise française à le faire.

L’entreprise, m’ont dit ses salariés et sa directrice, a subi trois redressements judiciaires et, pourtant, nous n’avons jamais vu personne bouger. Trois redressements judiciaires en cinq ans : lente agonie industrielle ponctuée, comme souvent, de sursauts d’espoir. En septembre 2017, l’usine est ainsi rachetée par Nimbus, fonds d’investissement néerlandais qui promet monts et merveilles : la totalité des emplois préservés et, surtout, des investissements. La fatalité semble alors s’enrayer : l’éolien français n’a pas dit son dernier mot ! En fait, seulement 300 000 euros seront investis dans l’entreprise, soit le prix d’un seul segment de mât, 1 % du chiffre d’affaires de 2016. « Cela nous a permis de tenir dix-huit mois », m’a confié la directrice.

Face à la concurrence espagnole et portugaise ou à celle de pays d’Asie du Sud-Est, qui parviennent à produire de 10 à 15 % moins cher, FranceEole prend en effet des marchés, mais le fait à perte. Résultat : les salariés sont au chômage technique et, en ce moment même – je sonne l’alerte à ce sujet –, l’usine est au bord de la fermeture. Pourtant, il me semble possible de mettre en place un protectionnisme des industries naissantes : un bébé abandonné sur un trottoir mourra de froid et de faim si l’on ne s’en occupe pas, et un lionceau abandonné dans la jungle s’y fera dévorer. Il en va de même pour une industrie naissante. Si, à l’instar de l’éolien français, elle n’est pas protégée, elle est condamnée à péricliter, à survivre à peine ou à crever.

Du haut même de cette tribune, le Premier ministre a plaidé pour un grand plan en faveur de l’éolien en France, et l’on a parlé d’un doublement – de 8 000 à 16 000 – du nombre d’installations en dix ans. Cela passe, je pense, par l’édification d’une industrie française du secteur : voilà ce que pourrait être une vraie politique industrielle. Ce protectionnisme des industries naissantes, la filière le réclame : il consisterait, pour un État stratège, à choisir quelques pans industriels, soit pour y investir massivement, soit pour permettre leur développement.

Je suis ensuite rentré chez moi, où, au lendemain des élections européennes, nous avons appris, de façon soudaine, le redressement judiciaire de WN, le repreneur de Whirlpool. Le Président de la République, on s’en souvient, s’était rendu sur le site de Whirlpool, à Amiens, où, devant à peu près tout ce que le pays compte de caméras, micros et stylos, et devant toutes les autorités, du président de région jusqu’au préfet, il avait vanté la reprise de cette usine et de ses 180 salariés par la société de M. Decayeux, dans un esprit « start-up ». Un esprit« start-up » pour une usine de 180 salariés, me direz-vous, cela paraissait un peu contradictoire ; mais le miracle était tel, pour Amiens et pour moi-même, que nous voulions y croire.

Le pari, toutefois, était incertain : on a d’abord évoqué la production de casiers réfrigérés, puis de boîtes à lettres électroniques, de moteurs pour voitures sans permis, bref, de choses qui appelaient une vigilance redoublée de la part du ministère concerné et de l’État. Pour ce projet, WN s’est vu confier 2,5 millions d’euros par l’État, lequel, en cette occasion, n’a pas joué son rôle d’actionnaire. Qu’aurait fait n’importe quel fonds actionnaire en pareil cas ? Il aurait revendiqué un siège au conseil d’administration ! Il aurait exigé des rapports d’activité mensuels pour analyser la situation des marchés et avoir connaissance des produits qui s’y développent ou non.

De tout cela, il n’y eut rien. Il y a six mois, nous avons pourtant lancé l’alerte avec les syndicats de Whirlpool : les salariés, disions-nous, ne font rien, ils « glandouillent », et c’est préoccupant. Nous n’avons reçu aucune réponse, ni de l’Élysée, ni du ministère du travail, ni de la préfecture. Pas même une réponse de courtoisie. Une nouvelle préfète, finalement, a pris le dossier à bras-le-corps : on a alors appuyé sur le frein, mais on était déjà rentré dans le mur.

Pourquoi ? Comment comprendre que l’État, qui avait mis de l’argent dans la boutique et, par là, se portait garant du projet auprès des salariés, n’ait pas joué son rôle ? La cause, je crois, est dans l’incompétence des services : ce n’est pas parce qu’un ministère compte des milliers de fonctionnaires surdiplômés que ceux-ci connaissent le terrain et qu’ils y viennent. Il y a de leur part, je pense, une espèce d’indifférence au sort des salariés concernés, une fois partis les caméras, les micros et les médias. Plus profondément, il y a chez eux l’idée qu’aucune ingérence ne doit être admise dans les affaires de l’entreprise : un seul maître à bord devrait y régner.

Pour moi, au contraire, l’entreprise est une chose trop sérieuse pour être laissée aux seuls chefs d’entreprise. Ceux-ci n’en sont pas moins les capitaines du vaisseau, nous en sommes d’accord, mais ils ne doivent pas être les seuls maîtres à bord. En l’espèce, il était de la responsabilité de l’État de s’investir dans l’entreprise.

Un autre symbole de cette attitude nous est offert par l’entreprise New Look, dont 464 salariés sont en voie de licenciement. Le ministre de l’économie est venu leur dire : « Faites confiance à votre patron ! » Pourtant, celui-ci a liquidé la branche belge en un claquement de doigts lors d’un comité d’entreprise qui n’était pas prévu ; New Look a siphonné la branche française, pompé la trésorerie et fait remonter l’argent vers la société mère, domiciliée à Malte, tout cela dans l’opacité la plus totale, via une succession de holdings installées dans des paradis fiscaux. Malgré tout cela, donc, le message du ministère de l’économie aux salariés, c’est : « Faites confiance à votre patron ! »

L’État, à mes yeux, n’a pas joué son rôle, non seulement d’actionnaire, mais aussi de protecteur, de bouclier contre les coups portés par la finance mondialisée, par le capital contre les salariés – en l’occurrence, par un fonds sud-africain contre les salariés de New Look. Ces salariés, il les a laissés seuls, dans le désarroi et, comme ils le répètent tous, à l’abandon. Face à cela, une véritable politique industrielle est nécessaire.

Ma question écrite au gouvernement

M. François Ruffin interpelle M. le ministre de l’Economie et des Finances à propos de l’abandon par l’Etat des 464 salariés des magasins de prêt-à-porter New Look.

Le 10 septembre 2018, la direction française du groupe anglais New Look a brutalement annoncé la fermeture de 21 des 31 boutiques de l’enseigne en France. A Calais et à Rouen, les rideaux ont été aussitôt baissés, les employés congédiés, les stocks de vêtements vidés en pleine nuit et rapatriés par camion en Angleterre. En toute illégalité, en violation des procédures d’information et de consultation du personnel, et au mépris total des règles et des salariés.

D’abord abasourdis par le blitzkrieg mené par New Look, les salariés se sont ensuite mobilisés. Ils ont fait grève, occupé les magasins et obtenu la réouverture du New Look de Calais, après un recours en justice. Alors, les dirigeants de New Look ont changé leur fusil d’épaule en décembre 2018. Il n’est plus question, disent-ils, de « restructuration », mais de la « recherche de repreneurs ». Concrètement, l’objectif reste le même : liquider les activités françaises du groupe.

Pour réaliser cette tâche, New Look a fait appel, sur les conseils de Deloitte, à un véritable spécialiste en la matière : Paul-Henri Cécillon. Il a été nommé président de New Look France, mais il est surtout le directeur de Phinancia, un cabinet de « retournement d’entreprise ». Son job ? Que la liquidation de New Look France s’effectue sans vague, en minimisant les dépenses pour la multinationale. Cécillon s’est déjà fait la main en début d’année en Belgique, où il a réussi l’exploit de liquider New Look en un claquement de doigts. « Le 16 janvier, les salariés étaient convoqués en CE, tout ce qu’il y a de plus ordinaire. Mais alors que les affaires marchaient bien, on nous a expliqué en dix minutes que la Belgique n’était plus assez rentable pour les actionnaires et que la faillite était imminente. Cinq jours après, on était licenciés. On attend toujours nos trois semaines non-payées de janvier » explique Grégory, ancien salarié de New Look Belgique. Une liquidation par surprise, pour la centaine de salariés belges.

C’est que le fonds d’investissement sud-africain Brait, actionnaire de New-Look, met la pression, réclame plus de dividendes. Il y a une dizaine d’années, le groupe s’était lancé à l’international. Injonction financière oblige, il se recentre aujourd’hui sur l’Angleterre. Après son retrait de Chine, de Pologne et de Belgique, voici donc venu le tour de la France.

Depuis deux ans, New Look siphonne sa branche française, pompe sa trésorerie, fait remonter l’argent vers la société mère… domiciliée à Malte, dans l’opacité la plus totale, à travers une succession de holdings dans des paradis fiscaux. Les managements fees ont explosé. Les ventes aux internautes français sont enregistrées en Angleterre, et non sur le compte de New Look France. Et forcément, le chiffre d’affaires de New Look France a chuté. D’ailleurs, signe de ces irrégularités, les comptes de l’année passée n’ont toujours pas été certifiés. Depuis le début de l’année, la stratégie de New Look est encore plus visible : les rayons se vident, les rares marchandises livrées sont des rebuts ou des collections des années passées. A tel point que le service de la répression des fraudes a rappelé New Look à l’ordre en avril 2019.

Les délégués syndicaux de New Look France se sont donc rendus à Bercy, pour demander la médiation de l’Etat, pour solliciter une réunion avec les dirigeants anglais du groupe. « On n’organise pas ce genre de choses quand il n’y a pas d’important mouvement social dans l’entreprise. Faites confiance à votre patron »,leur a répondu Jean-Pierre Floris, le délégué interministériel aux restructurations. Voilà les paroles prononcées par le « monsieur industrie » du gouvernement, celui-là même qui disait lors de sa nomination vouloir « favoriser le dialogue social et trouver des solutions pérennes ».

Le dialogue social ne peut avoir lieu que si les salariés se révoltent donc, selon Jean-Pierre Floris. Serait-ce là une incitation à séquestrer les patrons, à déchirer les chemises des DRH, et à saccager les sous-préfectures ? « Nous les élus du personnel, on se retient, confie Moussa Koita, délégué du personnel SUD. Mais franchement c’est dur, ça peut dégénérer à tout moment. On essaye de se maîtriser, mais là on est à deux doigts d’exploser ».

« Faites confiance à votre patron ». Comment les salariés pourrait-il faire confiance à Paul-Henri Cécillon en connaissant son passif en Belgique ? Il n’a été nommé directeur que pour liquider l’entreprise, pour faire le sale boulot. Fossoyeur d’entreprises, c’est là sa raison d’être. Aucun repreneur ne se profile à l’horizon. La recherche d’un repreneur n’est qu’un miroir aux alouettes, destiné endormir les salariés, à les berner.

Dans ce dossier, à nouveau, vous êtes complice d’un fonds vorace. Alors, M. le ministre, que comptez-vous faire pour que New Look passe à la caisse, rende les 1,2 millions d’euros de CICE perçus, fasse un gros chèque aux salariés pour qu’à la fin, ce ne soit pas la solidarité nationale avec les AGS qui paie les pots cassés des actionnaires ?

Question rédigée par mon collab’ Hector et relue par mes soins.

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